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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
est bien de ma composition. ^ Alors le directeur : « A merveille, à
merveille... Je n'aurais jamais cru... » Ce n'est peut-être qu'un
banal compliment, mais le jeune homme se rengorge. Denon con-
tinue : « Avez-vous quelques ressources pour vivre? Que font vos
parents? — Mes parents sont morts; il ne me reste que des frères
et des sœurs. Mon père était maître poêlier-serrurier : il a fallu
renoncer à la forge et fermer boutique. Pour toute ressource, j'ai
mes deux bras, qui sont solides, avec ma bonne volonté, qui est
immense... Si j'avais seulement un peu d'ouvrage pour gagner
mon pain et du loisir pour étudier... — Vous pourriez aller chez
Cartellier de ma part, à la Sorbonne. C'est un bon sculpteur et un
homme excellent dont l'histoire est un peu la vôtre... le dis d'un
serrurier, lui aussi, arrivé par son énergie comme vous arriverez.
Il s'intéresserait, certainement, à vous. Vous fréquenteriez en même
temps l'Ecole des Beaux-Arts et rien ne vous empêcherait de con-
courir, un peu plus tard, pour le prix de Rome. )> Rude, à ce discours,
est tout ravi, mais l'idée de sa pauvreté lui revient et il reprend avec
une nuance d'embarras : « C'est que j'ai à peine quatre cents francs
et, cet argent dépensé, que deviendrai-je?... — Vous avez raison,
fait l'homme indispensable. Eh bien! présentez-vous en mon nom
chez Edme Gaulle, 61, rue de Vaugirard. Il me doit un peu et il doit
beaucoup à M. Devosge. Je ne doute pas qu'il vous accueille dans son
atelier pour participer à l'exécution de ses commandes. »
Sans remettre au lendemain, Rude frappe à la porte de Gaulle, à
qui, certainement, son vieux maître n'a pas manqué de l'annoncer.
Cet artiste, originaire de Langres Q a passé, comme nous savons,
par l'école dijonnaise, où il a obtenu tour à tour, l'accessit, le second
prix et le premier aux concours ordinaires pour 1786, 1787 et 1788,
sans compter la deuxième médaille au concours pour le prix de Rome
en 1787, sur le sujet suivant : Le Gdvmd Go/idd Messe d MihdLe de
Seyae/i Fixé à Paris après les jours tragiques, le second prix de
Rome lui est échu en 1799 et le premier en 1803, mais la guerre,
menée par Bonaparte au delà des Alpes, ne lui permet point de
gagner l'Italie. En dédommagement, l'administration lui accorde
assez souvent des travaux. Il est doué d'une faculté d'improviser qui
le rend précieux pour les décorations de circonstance et son ambition
,1. Edme Gaulle, né à Langres en 1770, mort à Paris, conservateur au dépôt
des marbres, en 18-11. Sur son passage et ses succès à l'école de Devosge, Cf.
l'LcoL & Th'yoa, brochure de M. Joseph Garnier, archiviste de la
Côte-d'Or.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
est bien de ma composition. ^ Alors le directeur : « A merveille, à
merveille... Je n'aurais jamais cru... » Ce n'est peut-être qu'un
banal compliment, mais le jeune homme se rengorge. Denon con-
tinue : « Avez-vous quelques ressources pour vivre? Que font vos
parents? — Mes parents sont morts; il ne me reste que des frères
et des sœurs. Mon père était maître poêlier-serrurier : il a fallu
renoncer à la forge et fermer boutique. Pour toute ressource, j'ai
mes deux bras, qui sont solides, avec ma bonne volonté, qui est
immense... Si j'avais seulement un peu d'ouvrage pour gagner
mon pain et du loisir pour étudier... — Vous pourriez aller chez
Cartellier de ma part, à la Sorbonne. C'est un bon sculpteur et un
homme excellent dont l'histoire est un peu la vôtre... le dis d'un
serrurier, lui aussi, arrivé par son énergie comme vous arriverez.
Il s'intéresserait, certainement, à vous. Vous fréquenteriez en même
temps l'Ecole des Beaux-Arts et rien ne vous empêcherait de con-
courir, un peu plus tard, pour le prix de Rome. )> Rude, à ce discours,
est tout ravi, mais l'idée de sa pauvreté lui revient et il reprend avec
une nuance d'embarras : « C'est que j'ai à peine quatre cents francs
et, cet argent dépensé, que deviendrai-je?... — Vous avez raison,
fait l'homme indispensable. Eh bien! présentez-vous en mon nom
chez Edme Gaulle, 61, rue de Vaugirard. Il me doit un peu et il doit
beaucoup à M. Devosge. Je ne doute pas qu'il vous accueille dans son
atelier pour participer à l'exécution de ses commandes. »
Sans remettre au lendemain, Rude frappe à la porte de Gaulle, à
qui, certainement, son vieux maître n'a pas manqué de l'annoncer.
Cet artiste, originaire de Langres Q a passé, comme nous savons,
par l'école dijonnaise, où il a obtenu tour à tour, l'accessit, le second
prix et le premier aux concours ordinaires pour 1786, 1787 et 1788,
sans compter la deuxième médaille au concours pour le prix de Rome
en 1787, sur le sujet suivant : Le Gdvmd Go/idd Messe d MihdLe de
Seyae/i Fixé à Paris après les jours tragiques, le second prix de
Rome lui est échu en 1799 et le premier en 1803, mais la guerre,
menée par Bonaparte au delà des Alpes, ne lui permet point de
gagner l'Italie. En dédommagement, l'administration lui accorde
assez souvent des travaux. Il est doué d'une faculté d'improviser qui
le rend précieux pour les décorations de circonstance et son ambition
,1. Edme Gaulle, né à Langres en 1770, mort à Paris, conservateur au dépôt
des marbres, en 18-11. Sur son passage et ses succès à l'école de Devosge, Cf.
l'LcoL & Th'yoa, brochure de M. Joseph Garnier, archiviste de la
Côte-d'Or.