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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
depuis une dizaine d'années, lui impriment une direction nouvelle
ont beaucoup appris au dehors, soit des anciens en Hollande, soit des
modernes en France, mais ils prétendent bien ne rien oublier de ce
qui doit donner à leurs œuvres un caractère national. Ils ne sont
pas détachés du passé, tout au moins d'un certain passé qui n'est pas
le plus récent. Le Danemark compte dans la première moitié du
siècle plusieurs peintres dont l'idéal garde une valeur classique, et
l'on ne peut bien comprendre les contemporains sans avoir fait
connaissance avec ces ancêtres. Aujourd'hui l'on peint tout autre-
ment et beaucoup mieux à Copenhague et à Skagen que les Eckersberg
et les Lundbye, mais le sentiment de l'intimité ou de la nature n'a
pas varié. Si l'on s'est mis en route fort tard (et l'on rattrape en
ce moment le temps perdu), c'est qu'on s'est enfermé pendant de
longues années dans une sorte de particularisme artistique ; crai-
gnant les influences étrangères, on a voulu vivre sur soi-même et
prolonger dans un demi-sommeil un rêve enfantin de l'univers. Ainsi
rien des ardeurs romantiques ou des recherches réalistes n'a pénétré
dans la place avant 1878; longtemps Corot, Rousseau, Dupré, Millet,
Courbet ont été comme non avenus. Le professeur Hoyen, un orateur
d'art plutôt qu'un critique, tenait les artistes dans une sainte terreur
de tout ce qui venait du dehors. Il voulait un art d'inspiration locale,
en quoi il n'avait pas tort; mais il oubliait que les progrès accom-
plis dans l'expression pittoresque appartiennent à tout le monde
(d'autant qu'ils sont presque toujours des vérités retrouvées), et
qu'avec les mêmes méthodes on peut dire des choses fort différentes.
Aussi voyons-nous en Danemark, vers le milieu du siècle, un art
immobilisé dans des formules vieillies, qui, ne se renouvelant pas,
s'affadit et répète avec moins de conviction ce qu'avaient dit les
premiers venus. Puis brusquement le spectacle change en 1878.
L'horizon s'est élargi, on a parcouru les Musées, on est venu à Paris;
on s'est aperçu qu'il existait une manière plus large, plus vibrante et
plus vraie de comprendre la nature, d'exprimer la lumière et d'en
faire l'agent principal de l'émotion. De cette époque date un art très
vivant qui a rejeté peu à peu dans l'ombre les pâles intermédiaires
et triomphe sur toute la ligne à l'Exposition '.
Mais, avant d'y entrer, quelques mots seulement sur les précur-
seurs de la peinture danoise ; ils ne sont pas sans intérêt. En par-
E Un excellent catalogue illustré de nombreux fac-similés de dessins des
artistes eux-mêmes, a été publié par la librairie Auguste Bang, de Copenhague.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
depuis une dizaine d'années, lui impriment une direction nouvelle
ont beaucoup appris au dehors, soit des anciens en Hollande, soit des
modernes en France, mais ils prétendent bien ne rien oublier de ce
qui doit donner à leurs œuvres un caractère national. Ils ne sont
pas détachés du passé, tout au moins d'un certain passé qui n'est pas
le plus récent. Le Danemark compte dans la première moitié du
siècle plusieurs peintres dont l'idéal garde une valeur classique, et
l'on ne peut bien comprendre les contemporains sans avoir fait
connaissance avec ces ancêtres. Aujourd'hui l'on peint tout autre-
ment et beaucoup mieux à Copenhague et à Skagen que les Eckersberg
et les Lundbye, mais le sentiment de l'intimité ou de la nature n'a
pas varié. Si l'on s'est mis en route fort tard (et l'on rattrape en
ce moment le temps perdu), c'est qu'on s'est enfermé pendant de
longues années dans une sorte de particularisme artistique ; crai-
gnant les influences étrangères, on a voulu vivre sur soi-même et
prolonger dans un demi-sommeil un rêve enfantin de l'univers. Ainsi
rien des ardeurs romantiques ou des recherches réalistes n'a pénétré
dans la place avant 1878; longtemps Corot, Rousseau, Dupré, Millet,
Courbet ont été comme non avenus. Le professeur Hoyen, un orateur
d'art plutôt qu'un critique, tenait les artistes dans une sainte terreur
de tout ce qui venait du dehors. Il voulait un art d'inspiration locale,
en quoi il n'avait pas tort; mais il oubliait que les progrès accom-
plis dans l'expression pittoresque appartiennent à tout le monde
(d'autant qu'ils sont presque toujours des vérités retrouvées), et
qu'avec les mêmes méthodes on peut dire des choses fort différentes.
Aussi voyons-nous en Danemark, vers le milieu du siècle, un art
immobilisé dans des formules vieillies, qui, ne se renouvelant pas,
s'affadit et répète avec moins de conviction ce qu'avaient dit les
premiers venus. Puis brusquement le spectacle change en 1878.
L'horizon s'est élargi, on a parcouru les Musées, on est venu à Paris;
on s'est aperçu qu'il existait une manière plus large, plus vibrante et
plus vraie de comprendre la nature, d'exprimer la lumière et d'en
faire l'agent principal de l'émotion. De cette époque date un art très
vivant qui a rejeté peu à peu dans l'ombre les pâles intermédiaires
et triomphe sur toute la ligne à l'Exposition '.
Mais, avant d'y entrer, quelques mots seulement sur les précur-
seurs de la peinture danoise ; ils ne sont pas sans intérêt. En par-
E Un excellent catalogue illustré de nombreux fac-similés de dessins des
artistes eux-mêmes, a été publié par la librairie Auguste Bang, de Copenhague.