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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
grande dame n’a certes rien d’attrayant, mais la facture du portrait combine la
fermeté consciencieuse de la manière flamande et les élégances raffinées de la
manière anglaise. Un portrait double, Dorothée, comtesse de Leicester, avec sa sœur
Lucie, comtesse de Carliste (à M. Charles Morrison) est moins intéressant, quoique
d’une grande force d’exécution. C’est un de ces Van Dyck sur lesquels Lely a
plus tard basé son style si apprécié par les beautés honnêtes et autres de la
Restauration anglaise. De cette même collection peu connue proviennent deux
Teniers gris argenté de première qualité.
On ne vit jamais une exposition de maîtres anciens en Angleterre sans de
beaux échantillons de l’art hollandais du xvne siècle, et celle-ci ne fait guère
exception à la règle. Le nom de Rembrandt apparaît deux fois dans le catalogue,
mais je ne reconnais son pinceau ni dans Tune ni dans l’autre des deux toiles
exposées; pas même dans ce Portrait d'homme (A M. Alfred Morrison) ne dépassant
guère la médiocrité, mais que certains connaisseurs avisés acceptent néanmoins,
me dit-on, comme une œuvre de sa main. En revanche, voici un autre Portrait
d’homme par Frans Hais, provenant de Buckingham Palace et portant la date de
1630, qui n’est rien moins qu’un chef-d’œuvre. Cette tête blonde, un peu fadasse,
montre des finesses de ton et d’exécution inusitées chez le fougueux maître de
llaarlem, qui, cependant, n’a jamais peint d'une main plus sûre : en Angleterre,
il n’y a que le fameux Jeune cavalier de la collection Wallace qui l’égale. Pour la
seconde fois la reine envoie de cette même collection le superbe Nicolas Maas appelé
la Jeune servante qui écoute; et sur les mêmes parois on retrouve trois merveilleux
Metsu de la collection Wallace : le Chasseur endormi, Maîtresse et servante, et la
Marchande de poisson. Je connais de plus beaux et de plus attrayants Vermeer de
Delft que la Dame jouant de la guitare (à lord Iveagh), dont l’authenticité ne peut
être révoquée en doute, mais qui révèle un peu trop évidemment la recherche du
tour de force qui attirait toujours le grand luministe.
Parmi les Albert Cuyp, le plus beau est l’adorable petit paysage ensoleillé avec
les vaches obligées, qui appartient à lord Iveagh; le plus curieux, un Intérieur de
l’église de Dordrecht, remarquablement éclairé, quoique plus froid de ton que
l’admirable page analogue du Ferdinandeum d’Innsbrück. Fort intéressant aussi
est un grand paysage du maître, d’aspect quelque peu inusité, puisqu’il représente
une rivière fort agitée sous un ciel tourmenté et menaçant. Il faut avouer que les
vagues, trop régulièrement espacées, y sont représentées d’une façon presque
enfantine, mais le tableau a néanmoins de belles qualités, et montre encore
certains rapports avec l’école de Van Goyen, A laquelle les œuvres de jeunesse de
Cuyp touchent de si près. Signalons encore deux fort belles pages de Hobbema
(Tune à M. Charles Morrison, l’autre à lady Wallace); puis un Jan Steen, un
immense Berghem rappelant, avec un accent plus sec, les Both d'Italie, un beau
Jean-Baptiste Weenix, un Philips de Ivoninck fort rembranesque, deux Brekelenkam
qui ne soutiennent pas victorieusement la comparaison avec les œuvres de premier
ordre qu’ils coudoyent, et finalement ce magnifique Jeune taureau avec deux vaches,
de Paul Potter, qui est un des ornements de la galerie de Buckingham-Palace.
L’École française compte aussi quelques bonnes pages à l’exposition : entre
autres, deux paysages de Claude Lorrain, un arrangement classique du Guaspre,
un soi-disant Portrait de Sophie Arnould, par Greuze (à lord Normanton), et
surtout VAccordée de village, page exquise et au-dessus du soupçon, datant appa-
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
grande dame n’a certes rien d’attrayant, mais la facture du portrait combine la
fermeté consciencieuse de la manière flamande et les élégances raffinées de la
manière anglaise. Un portrait double, Dorothée, comtesse de Leicester, avec sa sœur
Lucie, comtesse de Carliste (à M. Charles Morrison) est moins intéressant, quoique
d’une grande force d’exécution. C’est un de ces Van Dyck sur lesquels Lely a
plus tard basé son style si apprécié par les beautés honnêtes et autres de la
Restauration anglaise. De cette même collection peu connue proviennent deux
Teniers gris argenté de première qualité.
On ne vit jamais une exposition de maîtres anciens en Angleterre sans de
beaux échantillons de l’art hollandais du xvne siècle, et celle-ci ne fait guère
exception à la règle. Le nom de Rembrandt apparaît deux fois dans le catalogue,
mais je ne reconnais son pinceau ni dans Tune ni dans l’autre des deux toiles
exposées; pas même dans ce Portrait d'homme (A M. Alfred Morrison) ne dépassant
guère la médiocrité, mais que certains connaisseurs avisés acceptent néanmoins,
me dit-on, comme une œuvre de sa main. En revanche, voici un autre Portrait
d’homme par Frans Hais, provenant de Buckingham Palace et portant la date de
1630, qui n’est rien moins qu’un chef-d’œuvre. Cette tête blonde, un peu fadasse,
montre des finesses de ton et d’exécution inusitées chez le fougueux maître de
llaarlem, qui, cependant, n’a jamais peint d'une main plus sûre : en Angleterre,
il n’y a que le fameux Jeune cavalier de la collection Wallace qui l’égale. Pour la
seconde fois la reine envoie de cette même collection le superbe Nicolas Maas appelé
la Jeune servante qui écoute; et sur les mêmes parois on retrouve trois merveilleux
Metsu de la collection Wallace : le Chasseur endormi, Maîtresse et servante, et la
Marchande de poisson. Je connais de plus beaux et de plus attrayants Vermeer de
Delft que la Dame jouant de la guitare (à lord Iveagh), dont l’authenticité ne peut
être révoquée en doute, mais qui révèle un peu trop évidemment la recherche du
tour de force qui attirait toujours le grand luministe.
Parmi les Albert Cuyp, le plus beau est l’adorable petit paysage ensoleillé avec
les vaches obligées, qui appartient à lord Iveagh; le plus curieux, un Intérieur de
l’église de Dordrecht, remarquablement éclairé, quoique plus froid de ton que
l’admirable page analogue du Ferdinandeum d’Innsbrück. Fort intéressant aussi
est un grand paysage du maître, d’aspect quelque peu inusité, puisqu’il représente
une rivière fort agitée sous un ciel tourmenté et menaçant. Il faut avouer que les
vagues, trop régulièrement espacées, y sont représentées d’une façon presque
enfantine, mais le tableau a néanmoins de belles qualités, et montre encore
certains rapports avec l’école de Van Goyen, A laquelle les œuvres de jeunesse de
Cuyp touchent de si près. Signalons encore deux fort belles pages de Hobbema
(Tune à M. Charles Morrison, l’autre à lady Wallace); puis un Jan Steen, un
immense Berghem rappelant, avec un accent plus sec, les Both d'Italie, un beau
Jean-Baptiste Weenix, un Philips de Ivoninck fort rembranesque, deux Brekelenkam
qui ne soutiennent pas victorieusement la comparaison avec les œuvres de premier
ordre qu’ils coudoyent, et finalement ce magnifique Jeune taureau avec deux vaches,
de Paul Potter, qui est un des ornements de la galerie de Buckingham-Palace.
L’École française compte aussi quelques bonnes pages à l’exposition : entre
autres, deux paysages de Claude Lorrain, un arrangement classique du Guaspre,
un soi-disant Portrait de Sophie Arnould, par Greuze (à lord Normanton), et
surtout VAccordée de village, page exquise et au-dessus du soupçon, datant appa-