LES SALONS DE 1892.
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quables de l’année, et songez qu’elle est sortie du cerveau qui a conçu
les Premières Funérailles. Vous verrez comment un esprit supérieur
sait allier le goût des belles formes et le respect de la vérité, se
montrer poétique dans les conceptions idéales, précis et expressif
dans les reproductions de la vie réelle. Vous verrez aussi que le
costume moderne, quoi qu’on en dise, a ses chutes de draperie, ses
plis cassés ou onduleux, sa structure personnelle et caractéristique.
Mais, pour le voir et le rendre ainsi, il faut avoir appris qu’une
étoffe n’est pas une matière inerte jetée sur un corps ; il faut avoir été
nourri de la moelle antique, et c’est là que triomphe le principe dont
on ne saurait trop haut proclamer l’importance : dans l’enseigne-
ment grec, voyons l’esprit, et non la lettre; regardons comment les
anciens ont fait, ne copions pas ce qu’ils ont fait.
Les mêmes observations peuvent s’appliquer à la façon dont on
comprend actuellement le buste. Le buste est la forme la plus usitée
du portrait sculptural. Chaque année des centaines d’effigies alignent
le long des allées sablées leurs têtes correctes ou irrégulières, pré-
tentieuses ou bonasses, souriantes ou résignées. Rappeler pour les
Champs-Elysées les noms de MM. Barthélemy, Cariés, Crauk, Deloye,
Franceschi, Hugues, Puech et Yasselot; pour le Champ-de-Mars ceux
de MM. Baffier, Dalou, Injalbert, Lanson et Lenoir, est rendre insuffi-
samment justice aux nombreux artistes qui se sont fait dans ce
genre une réputation méritée. Mais tirer de la foule une œuvre nou-
velle n’est pas chose facile. Je signalerai pourtant un effort pour
rompre avecla tradition uniforme du piédouchesupportantlatête seule
du personnage. L’art grec n’a pas connu cette convention: les bustes
de Périclès, de Démosthènes, d’Alexandre sont taillés comme des
hermès et donnent au cou la solide assiette des épaules et de la poi-
trine entière. L’art romain a inventé une commode simplification
qui n’est pourtant pas sans inconvénient, car elle réduit parfois le
corps à un état si fragmentaire qu’on ne peut juger ni des propor-
tions générales du buste ni du rapport de la tête avec les épaules,
ce qui diminue la ressemblance. Avouons de plus qu’elle est assez
disgracieuse. Je ne vois jamais la tête de mon voisin montée sur
une espèce de pivot, tandis que je puis l’apercevoir coupé aux
épaules ou au milieu du torse par une ligne quelconque. La Renais-
sance a bien compris cette anomalie et elle est revenue souvent à la
méthode grecque, comme on peut s’en assurer en regardant au Louvre
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quables de l’année, et songez qu’elle est sortie du cerveau qui a conçu
les Premières Funérailles. Vous verrez comment un esprit supérieur
sait allier le goût des belles formes et le respect de la vérité, se
montrer poétique dans les conceptions idéales, précis et expressif
dans les reproductions de la vie réelle. Vous verrez aussi que le
costume moderne, quoi qu’on en dise, a ses chutes de draperie, ses
plis cassés ou onduleux, sa structure personnelle et caractéristique.
Mais, pour le voir et le rendre ainsi, il faut avoir appris qu’une
étoffe n’est pas une matière inerte jetée sur un corps ; il faut avoir été
nourri de la moelle antique, et c’est là que triomphe le principe dont
on ne saurait trop haut proclamer l’importance : dans l’enseigne-
ment grec, voyons l’esprit, et non la lettre; regardons comment les
anciens ont fait, ne copions pas ce qu’ils ont fait.
Les mêmes observations peuvent s’appliquer à la façon dont on
comprend actuellement le buste. Le buste est la forme la plus usitée
du portrait sculptural. Chaque année des centaines d’effigies alignent
le long des allées sablées leurs têtes correctes ou irrégulières, pré-
tentieuses ou bonasses, souriantes ou résignées. Rappeler pour les
Champs-Elysées les noms de MM. Barthélemy, Cariés, Crauk, Deloye,
Franceschi, Hugues, Puech et Yasselot; pour le Champ-de-Mars ceux
de MM. Baffier, Dalou, Injalbert, Lanson et Lenoir, est rendre insuffi-
samment justice aux nombreux artistes qui se sont fait dans ce
genre une réputation méritée. Mais tirer de la foule une œuvre nou-
velle n’est pas chose facile. Je signalerai pourtant un effort pour
rompre avecla tradition uniforme du piédouchesupportantlatête seule
du personnage. L’art grec n’a pas connu cette convention: les bustes
de Périclès, de Démosthènes, d’Alexandre sont taillés comme des
hermès et donnent au cou la solide assiette des épaules et de la poi-
trine entière. L’art romain a inventé une commode simplification
qui n’est pourtant pas sans inconvénient, car elle réduit parfois le
corps à un état si fragmentaire qu’on ne peut juger ni des propor-
tions générales du buste ni du rapport de la tête avec les épaules,
ce qui diminue la ressemblance. Avouons de plus qu’elle est assez
disgracieuse. Je ne vois jamais la tête de mon voisin montée sur
une espèce de pivot, tandis que je puis l’apercevoir coupé aux
épaules ou au milieu du torse par une ligne quelconque. La Renais-
sance a bien compris cette anomalie et elle est revenue souvent à la
méthode grecque, comme on peut s’en assurer en regardant au Louvre