GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
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Il est né en 1794, à Chiswick, d’une vieille famille des plus hono-
rables. Orphelin de bonne heure, il fut élevé dans la maison d’un de
ses oncles, Georges Edouard Griffiths. Ses goûts artistiques se révé-
lèrent dès son enfance : un album d’esquisses datant de ses premières
années de collège, témoigne déjà de sa justesse d’observation et de la
naturelle sûreté de sa main.
Au sortir de l’école, il s’engagea dans la garde royale, et rêva
quelque temps d’une vie d’aventures. « Mais l’art, nous dit-il lui-
même, l’art toucha son renégat : sa pure et haute influence dissipa
les méchants brouillards, raviva mes sentiments, leur rendit le frais
éclat qui plaît aux cœurs simples. » Il quitta l’armée, revint à Linden
House, cette maison de son oncle où il avait été élevé, et résolut
désormais de se consacrer tout entier à la peinture et aux lettres.
11 publia dans le London Magazine, sous divers pseudonymes, des
articles de critique où, en même temps qu’il appréciait les œuvres
d’art anciennes et contemporaines, il s’efforçait de les paraphraser
en des façons de poèmes en prose, pour en traduire l’impression. Il
inaugurait ainsi un genre de critique d’art qui, depuis, est devenu
à la mode, en Angleterre, et où excelle M. Ruskin : une critique
moins soucieuse de l’exactitude de ses jugements que de l’élégance de
son style et de ses images, se considérant elle-même comme un art
indépendant. Et, de fait, plusieurs de ces paraphrases de Wainewright
sont des morceaux d’une grande valeur littéraire; elles dénotent
aussi un goût très délicat, une remarquable variété de connaissances ;
et une constante préoccupation de la technique y fait deviner le peintre
sous le critique d’art. Wainewright a été des premiers à reconnaître
le génie de Crome et de Constable : il a senti mieux que personne la
profonde originalité du tempérament de Lawrence. Mais c’est aux
œuvres anciennes surtout qu’il s’est attaché. « Les œuvres contem-
poraines, disait-il, me troublent, m’étourdissent. Je ne puis bien voir
les œuvres d’art qu’à travers le télescope du temps. Il en est pour
moi des peintures comme des poèmes, dont je n’apprécie la valeur
que quand je les vois imprimés : il faut que cinquante ans aient passé
sur un tableau pour me le mettre au point. » Il ne paraît pas avoir
beaucoup aimé l’art du moyen âge : mais aussi bien personne, en son
temps, n’avait encore le goût des primitifs. Les maîtres de la Renais-
sance, au contraire, le passionnaient, et davantage encore les artistes
grecs. « Il en parlait, dit Quincey, avec un accent de sincérité et
d’émotion profondes, comme s’il s’était parlé à lui-même. »
Ses articles lui avaient valu la connaissance et l’amitié de toutes
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Il est né en 1794, à Chiswick, d’une vieille famille des plus hono-
rables. Orphelin de bonne heure, il fut élevé dans la maison d’un de
ses oncles, Georges Edouard Griffiths. Ses goûts artistiques se révé-
lèrent dès son enfance : un album d’esquisses datant de ses premières
années de collège, témoigne déjà de sa justesse d’observation et de la
naturelle sûreté de sa main.
Au sortir de l’école, il s’engagea dans la garde royale, et rêva
quelque temps d’une vie d’aventures. « Mais l’art, nous dit-il lui-
même, l’art toucha son renégat : sa pure et haute influence dissipa
les méchants brouillards, raviva mes sentiments, leur rendit le frais
éclat qui plaît aux cœurs simples. » Il quitta l’armée, revint à Linden
House, cette maison de son oncle où il avait été élevé, et résolut
désormais de se consacrer tout entier à la peinture et aux lettres.
11 publia dans le London Magazine, sous divers pseudonymes, des
articles de critique où, en même temps qu’il appréciait les œuvres
d’art anciennes et contemporaines, il s’efforçait de les paraphraser
en des façons de poèmes en prose, pour en traduire l’impression. Il
inaugurait ainsi un genre de critique d’art qui, depuis, est devenu
à la mode, en Angleterre, et où excelle M. Ruskin : une critique
moins soucieuse de l’exactitude de ses jugements que de l’élégance de
son style et de ses images, se considérant elle-même comme un art
indépendant. Et, de fait, plusieurs de ces paraphrases de Wainewright
sont des morceaux d’une grande valeur littéraire; elles dénotent
aussi un goût très délicat, une remarquable variété de connaissances ;
et une constante préoccupation de la technique y fait deviner le peintre
sous le critique d’art. Wainewright a été des premiers à reconnaître
le génie de Crome et de Constable : il a senti mieux que personne la
profonde originalité du tempérament de Lawrence. Mais c’est aux
œuvres anciennes surtout qu’il s’est attaché. « Les œuvres contem-
poraines, disait-il, me troublent, m’étourdissent. Je ne puis bien voir
les œuvres d’art qu’à travers le télescope du temps. Il en est pour
moi des peintures comme des poèmes, dont je n’apprécie la valeur
que quand je les vois imprimés : il faut que cinquante ans aient passé
sur un tableau pour me le mettre au point. » Il ne paraît pas avoir
beaucoup aimé l’art du moyen âge : mais aussi bien personne, en son
temps, n’avait encore le goût des primitifs. Les maîtres de la Renais-
sance, au contraire, le passionnaient, et davantage encore les artistes
grecs. « Il en parlait, dit Quincey, avec un accent de sincérité et
d’émotion profondes, comme s’il s’était parlé à lui-même. »
Ses articles lui avaient valu la connaissance et l’amitié de toutes