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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
son jeune ami, n’aurait pas éprouvé à son égard la même sympathie .
car sous les dehors de l’homme du monde sceptique et sans préjugés,
il avait gardé une âme profondément droite, et simple comme l’àme
d’un enfant. Mais il ne sut jamais quel vilain personnage était, en
réalité, ce beau jeune homme qui mettait tant d’empressement à
recueillir ses conseils et lui témoignait une admiration si touchante.
En 1829, quand Wainewright empoisonna son oncle, Lawrence avait
décidément renoncé aux plaisirs de la société. Il est mort dans les
premiers jours de 1830.
Et il est temps que nous revenions au récit de ses dernières années,
qui furent les plus tristes pour lui, malgré toute sorte d’honneurs et
de triomphes, mais qui furent aussi les plus précieuses pour l’art
anglais, car elles marquent le complet épanouissement d’un très per-
sonnel et très noble génie.
VII.
LE SÉJOUR DE ROME.
Le voyage de Lawrence en Italie, en 1819, après le congrès de
Vienne, fut le prélude de cette dernière époque de sa vie. Il eut sur
son talent l’influence la plus heureuse, en l’affermissant à jamais
contre les tentations de la mode. Lorsque Lawrence revint à Londres,
en 1819, il n’était ni plus habile, ni plus sûr de son oeil et de sa main
qu’avant son voyage; mais un an de séjour parmi les chefs-d’œuvre
de l’art classique avait achevé de faire de lui un peintre classique.
Depuis lors, il n’a plus cessé de vouloir pour ainsi dire consacrer son
style, sans lui rien enlever de son élégance et de sa grâce féminine,
mais en élevant d’un degré, en anoblissant par la pureté de l’inten-
tion chacune des précieuses qualités qu’il se reprochait d’avoir jusque-
là employées à des œuvres futiles.
C’est avec l’impatience d’un jeune amoureux qu’il lit, en mai 1819,
la route entre Vienne et Rome. Il refusa de s’arrêter la nuit dans les
villes qu’il traversait, préféra mal dormir dans sa chaise de poste et
arriver plus vite. A Bologne seulement il fit une halte, pour voir les
chefs-d’œuvre de cette école bolonaise alors si fameuse, et si injuste-
ment dépréciée aujourd’hui. Mais c’était Rome qu’il convoitait. Il
commença pourtant par trouver la Ville sainte plus petite qu’il
n’aurait voulu. Puis il la trouva trop grande, car il fut, dit-il,
« accablé de son immensité ». Enfin il se sentit à l’aise, et pendant
six mois il vécut dans une admiration de tous les instants.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
son jeune ami, n’aurait pas éprouvé à son égard la même sympathie .
car sous les dehors de l’homme du monde sceptique et sans préjugés,
il avait gardé une âme profondément droite, et simple comme l’àme
d’un enfant. Mais il ne sut jamais quel vilain personnage était, en
réalité, ce beau jeune homme qui mettait tant d’empressement à
recueillir ses conseils et lui témoignait une admiration si touchante.
En 1829, quand Wainewright empoisonna son oncle, Lawrence avait
décidément renoncé aux plaisirs de la société. Il est mort dans les
premiers jours de 1830.
Et il est temps que nous revenions au récit de ses dernières années,
qui furent les plus tristes pour lui, malgré toute sorte d’honneurs et
de triomphes, mais qui furent aussi les plus précieuses pour l’art
anglais, car elles marquent le complet épanouissement d’un très per-
sonnel et très noble génie.
VII.
LE SÉJOUR DE ROME.
Le voyage de Lawrence en Italie, en 1819, après le congrès de
Vienne, fut le prélude de cette dernière époque de sa vie. Il eut sur
son talent l’influence la plus heureuse, en l’affermissant à jamais
contre les tentations de la mode. Lorsque Lawrence revint à Londres,
en 1819, il n’était ni plus habile, ni plus sûr de son oeil et de sa main
qu’avant son voyage; mais un an de séjour parmi les chefs-d’œuvre
de l’art classique avait achevé de faire de lui un peintre classique.
Depuis lors, il n’a plus cessé de vouloir pour ainsi dire consacrer son
style, sans lui rien enlever de son élégance et de sa grâce féminine,
mais en élevant d’un degré, en anoblissant par la pureté de l’inten-
tion chacune des précieuses qualités qu’il se reprochait d’avoir jusque-
là employées à des œuvres futiles.
C’est avec l’impatience d’un jeune amoureux qu’il lit, en mai 1819,
la route entre Vienne et Rome. Il refusa de s’arrêter la nuit dans les
villes qu’il traversait, préféra mal dormir dans sa chaise de poste et
arriver plus vite. A Bologne seulement il fit une halte, pour voir les
chefs-d’œuvre de cette école bolonaise alors si fameuse, et si injuste-
ment dépréciée aujourd’hui. Mais c’était Rome qu’il convoitait. Il
commença pourtant par trouver la Ville sainte plus petite qu’il
n’aurait voulu. Puis il la trouva trop grande, car il fut, dit-il,
« accablé de son immensité ». Enfin il se sentit à l’aise, et pendant
six mois il vécut dans une admiration de tous les instants.