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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
la vanité. Avec d’innombrables amis, il se trouvait seul; personne
ne lui était assez proche pour prendre une part de ses tristesses.
Il était né pour l’amour et pour les douces joies de la famille.
Jamais fils n’adora ses parents d’une tendresse aussi constante, aussi
pleine de sollicitude. Tout le temps que vécut son père, Lawrence
l’entoura de tous les soins d’une affection quasi-paternelle. Il habitua
ses frères et ses sœurs à compter sur lui pour toute chose. La mort
lui enleva successivement tous ces êtres qu’il chérissait. J’ai dit déjà
comment il perdit coup sur coup sa mère et son père, et l’affreuse
angoisse qu’il en eut. En 1818 mourut un de ses frères, major de
l’armée anglaise. Un autre frère, le révérend Lawrence, mourut
en 1821. Six ans après, ce fut sa sœur bien-aimée, la préférée de son
cœur, qui commença à dépérir, et pendant des mois, Lawrence n’eut
de pensée que pour elle. Les lettres qu’il écrivait à sa sœur sont
pleines d’une émotion profonde; elles le font voir tel qu'il était : « Il
faut, écrivait-il, que ma sœur chérie garde son esprit au repos et
s’interrompe de travailler pour les autres, ce qui, à son insu, lui est
une source d’inquiétudes. Il faut qu’elle se rappelle qu’elle n’a pas le
droit de penser, ni de parler, ni de remuer, ni de rien lire, sinon des
romans de lecture facile. » Une autre fois il écrit : « Oh! faites que
j’apprenne que vous allez mieux : ce sera le plus grand bonheur qui
puisse désormais arriver à votre frère plein d’amour pour vous. »
Il avait toujours aimé la société des femmes. Toujours il avait
aspiré au tranquille bonheur de la vie de famille. Et maintenant il
n’avait personne autour de lui; ses parents étaient morts; l’àge du
mariage était passé; il se voyait condamné à la solitaire existence
d’un vieux garçon.
Il adorait les enfants. Mrae Calmady a raconté que, pendant qu’il
travaillait au portrait de ses enfants, il était pour eux à la fois une
nourrice et un compagnon de jeux. Il se faisait raconter des fables,
en racontait lui-même de charmantes, dont il semblait avoir une
provision dans ses poches comme de jouets et de sucreries. Et l’on
peut imaginer combien il se sentait malheureux, dans la solitude de
son atelier, en songeant qu’il n’arriverait jamais à satisfaire les goûts
naturels de son cœur, non plus que les belles ambitions de grand art
qui se pressaient dans sa tête.
Joignez à tous ces chagrins moraux les ennuis d’argent les plus
sérieux. Lawrence n’avait jamais rien su garder des sommes énormes
qu’il gagnait. Il avait pris l’habitude de donner au premier venu tout
ce qui lui tombait dans la main. Il payait des pensions à une foule de
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
la vanité. Avec d’innombrables amis, il se trouvait seul; personne
ne lui était assez proche pour prendre une part de ses tristesses.
Il était né pour l’amour et pour les douces joies de la famille.
Jamais fils n’adora ses parents d’une tendresse aussi constante, aussi
pleine de sollicitude. Tout le temps que vécut son père, Lawrence
l’entoura de tous les soins d’une affection quasi-paternelle. Il habitua
ses frères et ses sœurs à compter sur lui pour toute chose. La mort
lui enleva successivement tous ces êtres qu’il chérissait. J’ai dit déjà
comment il perdit coup sur coup sa mère et son père, et l’affreuse
angoisse qu’il en eut. En 1818 mourut un de ses frères, major de
l’armée anglaise. Un autre frère, le révérend Lawrence, mourut
en 1821. Six ans après, ce fut sa sœur bien-aimée, la préférée de son
cœur, qui commença à dépérir, et pendant des mois, Lawrence n’eut
de pensée que pour elle. Les lettres qu’il écrivait à sa sœur sont
pleines d’une émotion profonde; elles le font voir tel qu'il était : « Il
faut, écrivait-il, que ma sœur chérie garde son esprit au repos et
s’interrompe de travailler pour les autres, ce qui, à son insu, lui est
une source d’inquiétudes. Il faut qu’elle se rappelle qu’elle n’a pas le
droit de penser, ni de parler, ni de remuer, ni de rien lire, sinon des
romans de lecture facile. » Une autre fois il écrit : « Oh! faites que
j’apprenne que vous allez mieux : ce sera le plus grand bonheur qui
puisse désormais arriver à votre frère plein d’amour pour vous. »
Il avait toujours aimé la société des femmes. Toujours il avait
aspiré au tranquille bonheur de la vie de famille. Et maintenant il
n’avait personne autour de lui; ses parents étaient morts; l’àge du
mariage était passé; il se voyait condamné à la solitaire existence
d’un vieux garçon.
Il adorait les enfants. Mrae Calmady a raconté que, pendant qu’il
travaillait au portrait de ses enfants, il était pour eux à la fois une
nourrice et un compagnon de jeux. Il se faisait raconter des fables,
en racontait lui-même de charmantes, dont il semblait avoir une
provision dans ses poches comme de jouets et de sucreries. Et l’on
peut imaginer combien il se sentait malheureux, dans la solitude de
son atelier, en songeant qu’il n’arriverait jamais à satisfaire les goûts
naturels de son cœur, non plus que les belles ambitions de grand art
qui se pressaient dans sa tête.
Joignez à tous ces chagrins moraux les ennuis d’argent les plus
sérieux. Lawrence n’avait jamais rien su garder des sommes énormes
qu’il gagnait. Il avait pris l’habitude de donner au premier venu tout
ce qui lui tombait dans la main. Il payait des pensions à une foule de