122
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
modèle revint de ses guerres et consentît à une nouvelle séance. On
le lui fournira pareil aux précédentes effigies, de la grosseur d’un
écu si elle le désire, ou de grandeur naturelle même à son choix.
Jean Clouet est pour l’instant en titre d’office à la cour de France;
on l’a mandé pour la singulière habileté dont il sait manier les
oeuvres de portraiture. Disciple des Flamands, imbu des théories
naturalistes et puissantes de Fouquet, rival d’Holbein pour les
crayons, supérieur à Bourdichon et à Perréal, ses confrères dans
l’étude de la physionomie humaine, c’est lui qu’on a chargé de por-
traire les princes et les courtisans au petit bonheur des poses. La
plupart de ces esquisses rapides, de ces brouillons prestement tracés
à la sanguine nous sont parvenus. Ils sont à Chantilly aujourd’hui
et proviennent d’une acquisition récente faite par Msr le duc
d’Aumale à lord Carlisle vers la fin de 1889. On sent à les voir
quelle dextérité merveilleuse le maitre apportait à son œuvre, quel
souci de ne rien omettre, quelle intuition aussi dans la façon de sous-
entendre ce qui lui sera plus tard nécessaire à la transcription finie
et parachevée! Lorsqu’il n’a point loisir de se reprendre, il se contente
d’écrire les changements à apporter; il note les nez plus rouges, les
lèvres plus grosses, les barbes plus épaisses, les couleurs du pour-
point, la grosseur des bijoux. Ce sont donc bien là des originaux
munis de tous les sacrements, sans parler de leur franchise d’allure,
de leur liberté, et de ce je ne sais quoi qui ne trompe guère. Or,
voici qu’un argument nouveau nous est fourni dont on n’a point
facilité de discuter la valeur. Tous les preux du roi François,
retrouvés à Chantilly dans leur attitude tranquille et majestueuse,
Boisy, Tournon, Lautrec, Fleuranges, Bonnivet, ont été depuis exé-
cutés en miniature dans les feuillets d’un manuscrit, et copiés si
parfaitement sur les crayons, si méticuleusement calqués on pour-
rait dire, que pas un ruban, pas un ornement n’a été omis, et que
même l’artiste a tenu compte des repentirs signalés dans son œuvre de
premier jet *. Et ce ne sont point là des personnages figurant dans les
enluminures d’un livre, en pied, mêlés à des groupes, mais des por-
traits en buste, traités à la façon de nos miniatures modernes, sur
fond bleu uniforme. Découpés, ils eussent pu très bien s’enchàsser
dans un cercle d’or, se suspendre au col ou se placer dans une boîte. 1
1. Ces miniatures sont peintes dans le manuscrit 13429 de la Bibliothèque
nationale f. français. Ils accompagnent des grisailles de Godefroy le Hollandais,
illustrant les Commentaires de la guerre gallique. Une main contemporaine a inscrit
les noms des personnages représentés.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
modèle revint de ses guerres et consentît à une nouvelle séance. On
le lui fournira pareil aux précédentes effigies, de la grosseur d’un
écu si elle le désire, ou de grandeur naturelle même à son choix.
Jean Clouet est pour l’instant en titre d’office à la cour de France;
on l’a mandé pour la singulière habileté dont il sait manier les
oeuvres de portraiture. Disciple des Flamands, imbu des théories
naturalistes et puissantes de Fouquet, rival d’Holbein pour les
crayons, supérieur à Bourdichon et à Perréal, ses confrères dans
l’étude de la physionomie humaine, c’est lui qu’on a chargé de por-
traire les princes et les courtisans au petit bonheur des poses. La
plupart de ces esquisses rapides, de ces brouillons prestement tracés
à la sanguine nous sont parvenus. Ils sont à Chantilly aujourd’hui
et proviennent d’une acquisition récente faite par Msr le duc
d’Aumale à lord Carlisle vers la fin de 1889. On sent à les voir
quelle dextérité merveilleuse le maitre apportait à son œuvre, quel
souci de ne rien omettre, quelle intuition aussi dans la façon de sous-
entendre ce qui lui sera plus tard nécessaire à la transcription finie
et parachevée! Lorsqu’il n’a point loisir de se reprendre, il se contente
d’écrire les changements à apporter; il note les nez plus rouges, les
lèvres plus grosses, les barbes plus épaisses, les couleurs du pour-
point, la grosseur des bijoux. Ce sont donc bien là des originaux
munis de tous les sacrements, sans parler de leur franchise d’allure,
de leur liberté, et de ce je ne sais quoi qui ne trompe guère. Or,
voici qu’un argument nouveau nous est fourni dont on n’a point
facilité de discuter la valeur. Tous les preux du roi François,
retrouvés à Chantilly dans leur attitude tranquille et majestueuse,
Boisy, Tournon, Lautrec, Fleuranges, Bonnivet, ont été depuis exé-
cutés en miniature dans les feuillets d’un manuscrit, et copiés si
parfaitement sur les crayons, si méticuleusement calqués on pour-
rait dire, que pas un ruban, pas un ornement n’a été omis, et que
même l’artiste a tenu compte des repentirs signalés dans son œuvre de
premier jet *. Et ce ne sont point là des personnages figurant dans les
enluminures d’un livre, en pied, mêlés à des groupes, mais des por-
traits en buste, traités à la façon de nos miniatures modernes, sur
fond bleu uniforme. Découpés, ils eussent pu très bien s’enchàsser
dans un cercle d’or, se suspendre au col ou se placer dans une boîte. 1
1. Ces miniatures sont peintes dans le manuscrit 13429 de la Bibliothèque
nationale f. français. Ils accompagnent des grisailles de Godefroy le Hollandais,
illustrant les Commentaires de la guerre gallique. Une main contemporaine a inscrit
les noms des personnages représentés.