116
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
souvenir de l’un des procédés les plus expressifs que lui aient légués
ses ancêtres : cette répétition de l’image ou du mouvement, d’un effet
si intense, qu’elle suffit à nous faire sentir la grandeur des vieux
pharaons. Une fois encore, il reprend ces réseaux de carrés, de cercles
et de losanges qui, jadis, ont servi à la décoration des plafonds des
tombes; il y grave des semis de croix et en revêt des murs entiers.
Ainsi répété à l’infini, le symbole se transfigure : l’impression qui
en émane se développe à mesure que le décor grandit. Immense,
elle devient sublime : le regard erre sur sa surface sans trouver où
se reposer. Un moment, dans l’assemblage de quelques-uns de ces
carrés, de ces cercles ou de ces losanges, il croit voir se profiler une
forme étrange. Ya-t-il plus loin; l’image ainsi construite aussitôt
change et se déforme, puis une autre surgit plus fantastique encore.
La continuité agrandit les lignes et l’esprit demeure étonné, sub-
jugué et comme écrasé.
Telles sont, à grands traits, les phases par lesquelles a passé en
Egypte l’évolution de la sculpture à l’époque chrétienne. Les carac-
tères en sont nets et tranchés. Tout d’abord, en devenant chrétienne,
l’Égypte n’entend point renoncer à sa foi antique; c’est au contraire
le christianisme qu’elle entend modifier au gré de ses anciennes
conceptions. Logiquement, elle se contente d’effacer de ses bas-reliefs
les noms des divinités du Panthéon païen pour y graver le mono-
gramme de Jésus. Puis, les Grecs lui imposent les thèmes et les
procédés de la sculpture de Byzance; mais cet art lui répugne et lui
reste étranger; si étranger, que jusqu’aux copies des modèles byzan-
tins portent le sceau de la tradition antique. Est-ce un chapiteau; ses
volutes seront contournées et décorées selon le style du Bas-Empire :
des feuillages s’épanouiront à son pourtour, de même que s’il avait été
taillé par un artiste grec; mais un buste de femme émergera du feuil-
lage, qui semblera descendu d’un bas-relief saïte de la xxvie dynastie,
comme pour protester de cette répugnance de l’Egypte pour l’art
gréco-byzantin; puis, une à une, ses affinités de race remontent à la
surface; des dissensions religieuses se produisent et la sculpture se
modifie à mesure que le trouble grandit. La ligne se rigidifie, le
modelé humain s’efface, des agencements décoratifs usurpent sa
place, se développent et se combinent au gré du tempérament
égyptien. Rendue à elle-même, elle oublie cette phraséologie de pierre
qu’un instant elle a bégayée, pour ne conserver que le signe extérieur
de sa religion. A son tour, l’expression de ce signe entre ses mains
se modifie. Pour elle, ce ne doit point être le symbole consolateur de
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
souvenir de l’un des procédés les plus expressifs que lui aient légués
ses ancêtres : cette répétition de l’image ou du mouvement, d’un effet
si intense, qu’elle suffit à nous faire sentir la grandeur des vieux
pharaons. Une fois encore, il reprend ces réseaux de carrés, de cercles
et de losanges qui, jadis, ont servi à la décoration des plafonds des
tombes; il y grave des semis de croix et en revêt des murs entiers.
Ainsi répété à l’infini, le symbole se transfigure : l’impression qui
en émane se développe à mesure que le décor grandit. Immense,
elle devient sublime : le regard erre sur sa surface sans trouver où
se reposer. Un moment, dans l’assemblage de quelques-uns de ces
carrés, de ces cercles ou de ces losanges, il croit voir se profiler une
forme étrange. Ya-t-il plus loin; l’image ainsi construite aussitôt
change et se déforme, puis une autre surgit plus fantastique encore.
La continuité agrandit les lignes et l’esprit demeure étonné, sub-
jugué et comme écrasé.
Telles sont, à grands traits, les phases par lesquelles a passé en
Egypte l’évolution de la sculpture à l’époque chrétienne. Les carac-
tères en sont nets et tranchés. Tout d’abord, en devenant chrétienne,
l’Égypte n’entend point renoncer à sa foi antique; c’est au contraire
le christianisme qu’elle entend modifier au gré de ses anciennes
conceptions. Logiquement, elle se contente d’effacer de ses bas-reliefs
les noms des divinités du Panthéon païen pour y graver le mono-
gramme de Jésus. Puis, les Grecs lui imposent les thèmes et les
procédés de la sculpture de Byzance; mais cet art lui répugne et lui
reste étranger; si étranger, que jusqu’aux copies des modèles byzan-
tins portent le sceau de la tradition antique. Est-ce un chapiteau; ses
volutes seront contournées et décorées selon le style du Bas-Empire :
des feuillages s’épanouiront à son pourtour, de même que s’il avait été
taillé par un artiste grec; mais un buste de femme émergera du feuil-
lage, qui semblera descendu d’un bas-relief saïte de la xxvie dynastie,
comme pour protester de cette répugnance de l’Egypte pour l’art
gréco-byzantin; puis, une à une, ses affinités de race remontent à la
surface; des dissensions religieuses se produisent et la sculpture se
modifie à mesure que le trouble grandit. La ligne se rigidifie, le
modelé humain s’efface, des agencements décoratifs usurpent sa
place, se développent et se combinent au gré du tempérament
égyptien. Rendue à elle-même, elle oublie cette phraséologie de pierre
qu’un instant elle a bégayée, pour ne conserver que le signe extérieur
de sa religion. A son tour, l’expression de ce signe entre ses mains
se modifie. Pour elle, ce ne doit point être le symbole consolateur de