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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 8.1892

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Nr. 2
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Leprieur, Paul: Correspondance d'Angleterre
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https://doi.org/10.11588/diglit.24661#0182

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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

Étrange et curieux esprit que celui de Dante-Gabriel Rossetti. Dans le groupe
des Pre-Raphaelite Brothers, c’est lui peut-être qui eut le plus d’action, au moins
la plus forte et la plus durable, qui fut au plus haut point le maître, et pourtant il
manquait absolument de cette précision, de cette rigueur scientifique, qui font
généralement la portée d'un enseignement. Capricieux dans son art comme dans
sa vie, et sous des formules absolues cachant toute l’indécision et le vague du rêve,
il fut surtout poète, avant même d’être théoricien, et c’est par là qu’il enchanta
les âmes. Ni Holman Itunt ni Millais, pourtant plus peintres que lui, mais aussi
plus terre à terre, plus épris des réalités visibles, n’ont exercé pareille fascination.
Cet Italien trempé de brume anglaise, ce quattrocenliste raffiné et subtil, dans
lequel s’unissait à la langueur de sa race, au mysticisme et à la préciosité d’autre-
fois, l’amour des choses vaporeuses et flottantes, un peu obscures, particulières à
la poésie du sol où il vivait, a excité par ses élans, ses effusions lyriques, son idéa-
lisme qui n’était pas sans manière, le culte d’une sorte de petite église. La forme
souvent ne vaut pas le fond, au moins dans sa peinture. Mais ce besoin de senti-
mentalité, que nous avons constaté dans l'art anglais et qui risquait de se perdre,
de s’égarer, en s’attachant à des sujets inférieurs, plus que tout autre il l’a ramené
dans sa voie la plus haute, vers le monde des idées supra-sensibles et éternelles.
C’est ce qu’il importe de se rappeler pour apprécier sans injustice les dix ou
douze tableaux de lui que possédait M. Leyland, depuis la Coupe d’amour (186 7),
Proserpine (1874) ou la célèbre Damoiselle élue (The blessed Drimozel), jusqu’à la
Mnémosyne (1880) ou Pia de’ Tolomei (1881) : figures à mi-corps généralement
vouées comme la Beata Beatrix de la National Gallery à l'adoration de la femm e
et où revient perpétuellement le même type aimé à grands cheveux bouffants,
imité des Vénitiens, dePalma surtout, en même temps qu’inspiré, nous dit-on, par
ses divers amours. A les voir, on les prendrait pour de simples motifs d’étude, des
académies en leur genre. Une certaine recherche d’intensité dans l’expression,
tout au plus, les caractérise et les distingue, ou un de ces accessoires mystérieux,
souvent inconnus sur notre planète, dans lesquels il entendait concentrer ses
intentions. Ces refrains toujours les mêmes, ces préludes de harpe nous touchent
peu; mais il faut songer qu’ils ont eu leur écho en quelques âmes et leur ont paru
l’appel même d'en haut. Au moins à titre de précurseur, Rossetti mérite une
place à part dans l’histoire de la peinture anglaise au xixe siècle.

Autour de Rosetti figuraient, dans la collection Leyland, un certain nombre
d’œuvres de maîtres rares et peu connus, Madox Brown, Windus, Sandys, qui
adhérèrent plus ou moins aux doctrines préraphaélites, mais sans jamais
occuper dans l’école un rang de premier ordre. On y trouvait également le fameux
tableau de Millais, la Veille de sainte Agnès, envoyé chez nous à l’Exposition
universelle de 1867. Mais on oublie tout, fùt-ce même Rossetti ou Millais, devant
les peintures ingénieuses, délicates autant que pittoresques, de celui qui est pour
nous aujourd'hui comme le représentant par excellence et la fleur dernière du
préraphaélisme, M. Burne-Jones. Rarement on aura vu de lui un pareil choix de
chefs-d’œuvre. Merlin et Viviane, le Miroir de Vénus, Cupidon et Psyché parmi les
tableaux, les six panneaux décoratifs des Saisons ou du Jour et de la Nuit, le Vin
de Circé, Phyllis et Demophon parmi les aquarelles, le montraient dans toute la
perfection de son talent très étudié, très voulu, mais aussi fin et souple que
parfumé de poésie. Sorti de Rosetti en ses premières œuvres, ayant goûté par lui
 
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