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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
fragments d'une correspondance de Rosselti avec M. Leyland. Je me bornerai à en
citer quelques lignes. D’un bout à l’autre, il n’est question que de nouveaux
tableaux offerts au brave commerçant, et toujours présentés comme plus beaux
encore que les précédents.
En 1865, Rossetti écrit à M. Leyland qu’il a entendu parler du désir de celui-ci
d’acquérir un de ses tableaux, et qu'il en a précisément un très beau à lui propo-
ser. En 1867, il lui annonce qu’il achève pour lui un nouveau tableau. « La drape-
rie vient remarquablement bien, et s'harmonise avec la figure. » En 1871, il écrit :
« Mon cher Leyland, je me rappelle que dans votre dernière lettre vous expri-
miez le désir que j’aie quelque peinture achevée pour le moment de votre visite à
Londres. Laissez-moi donc vous donner la première offre d’un Chant d'amour dont
je vous envoie l’esquisse. Je suis en train de le finir : ce sera une de mes meilleures
choses... Je suis sûr que la peinture vous plaira quand je l’aurai achevée. Son
prix est de 750 guinées; et comme c’est une peinture à trois figures, vous recon-
naîtrez avec moi que le prix n’est pas trop élevé. Mais je tiens à travailler pour
vous, et pour nul autre, autant que possible... »
M. Charles Yriarte a décrit, dans sa Vie d’un patricien de Venise au xvie siècle,
le tableau d’ailleurs bien connu d’Andrea Vicentino, qui est encore conservé aujour-
d’hui au Palais ducal de Venise, et qui représente la réception de Henri III à
Venise, en 1574. Le même peintre avait exécuté une autre représentation du même
sujet, qui faisait partie, jusqu'au xviii' siècle, de la collection de la famille Foscari,
et avait ensuite disparu, on ne savait quand ni comment. Ce second tableau de
Vicentino vient d’être retrouvé au Musée de Leitmeritz en Bohême, par M. Mathias
Bersohn, qui le décrit dans une intéressante plaquette et en publie la photographie.
Il diffère complètement du tableau de Venise. Henri III se tient debout, au seuil du
bel arc de triomphe construit par Palladio; au premier plan, la grande barque de
l’Amirauté, toute pavoisée et chargée des principaux personnages vénitiens, parmi
lesquels se remarque surtout le grand amiral Alberto Foscari, ressemblant de la
plus saisissante façon à M. Carnot. Le tableau, long de 3 mètres 30 et large de
2 mètres 08, porte, en outre d’une longue inscription énonçant le sujet de la scène,
cette mention spéciale : Pro serenissima Foscarorum cede.
Il a été vendu à Venise, en 1730, par la famille Foscari au comte Mitrovilz,
évêque de Leitmeritz, mais vendu secrètement, de sorte que le comte bohémien
fut obligé de faire peindre un autre sujet sur la toile, pour dépister les douaniers.
C’est seulement dans ces temps derniers qu’on s’est avisé d’enlever le barbouillage
qui recouvrait la peinture originale de Vicentino. Ceux de nos lecteurs qui, pour
voir ce curieux tableau, voudront faire le voyage de Leitmeritz, en seront encore
récompensés par la vue, dans cette petite ville épiscopale, de trois églises du
moyen âge et d’un curieux hôtel de ville du xvie siècle.
T. DE WYZEWA.
Le Rédacteur en chef gérant : LOUIS GONSE.
SCEAUX. — 1 M P . CHAR AIRE ET C>
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
fragments d'une correspondance de Rosselti avec M. Leyland. Je me bornerai à en
citer quelques lignes. D’un bout à l’autre, il n’est question que de nouveaux
tableaux offerts au brave commerçant, et toujours présentés comme plus beaux
encore que les précédents.
En 1865, Rossetti écrit à M. Leyland qu’il a entendu parler du désir de celui-ci
d’acquérir un de ses tableaux, et qu'il en a précisément un très beau à lui propo-
ser. En 1867, il lui annonce qu’il achève pour lui un nouveau tableau. « La drape-
rie vient remarquablement bien, et s'harmonise avec la figure. » En 1871, il écrit :
« Mon cher Leyland, je me rappelle que dans votre dernière lettre vous expri-
miez le désir que j’aie quelque peinture achevée pour le moment de votre visite à
Londres. Laissez-moi donc vous donner la première offre d’un Chant d'amour dont
je vous envoie l’esquisse. Je suis en train de le finir : ce sera une de mes meilleures
choses... Je suis sûr que la peinture vous plaira quand je l’aurai achevée. Son
prix est de 750 guinées; et comme c’est une peinture à trois figures, vous recon-
naîtrez avec moi que le prix n’est pas trop élevé. Mais je tiens à travailler pour
vous, et pour nul autre, autant que possible... »
M. Charles Yriarte a décrit, dans sa Vie d’un patricien de Venise au xvie siècle,
le tableau d’ailleurs bien connu d’Andrea Vicentino, qui est encore conservé aujour-
d’hui au Palais ducal de Venise, et qui représente la réception de Henri III à
Venise, en 1574. Le même peintre avait exécuté une autre représentation du même
sujet, qui faisait partie, jusqu'au xviii' siècle, de la collection de la famille Foscari,
et avait ensuite disparu, on ne savait quand ni comment. Ce second tableau de
Vicentino vient d’être retrouvé au Musée de Leitmeritz en Bohême, par M. Mathias
Bersohn, qui le décrit dans une intéressante plaquette et en publie la photographie.
Il diffère complètement du tableau de Venise. Henri III se tient debout, au seuil du
bel arc de triomphe construit par Palladio; au premier plan, la grande barque de
l’Amirauté, toute pavoisée et chargée des principaux personnages vénitiens, parmi
lesquels se remarque surtout le grand amiral Alberto Foscari, ressemblant de la
plus saisissante façon à M. Carnot. Le tableau, long de 3 mètres 30 et large de
2 mètres 08, porte, en outre d’une longue inscription énonçant le sujet de la scène,
cette mention spéciale : Pro serenissima Foscarorum cede.
Il a été vendu à Venise, en 1730, par la famille Foscari au comte Mitrovilz,
évêque de Leitmeritz, mais vendu secrètement, de sorte que le comte bohémien
fut obligé de faire peindre un autre sujet sur la toile, pour dépister les douaniers.
C’est seulement dans ces temps derniers qu’on s’est avisé d’enlever le barbouillage
qui recouvrait la peinture originale de Vicentino. Ceux de nos lecteurs qui, pour
voir ce curieux tableau, voudront faire le voyage de Leitmeritz, en seront encore
récompensés par la vue, dans cette petite ville épiscopale, de trois églises du
moyen âge et d’un curieux hôtel de ville du xvie siècle.
T. DE WYZEWA.
Le Rédacteur en chef gérant : LOUIS GONSE.
SCEAUX. — 1 M P . CHAR AIRE ET C>