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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
un peu de bonne volonté, des Parisiennes de 1760. Leurs toilettes y
sont, aussi leurs gestes d’un naturel si maniéré : tout y est, sauf la
parole. Et je n’arrive pas en vérité à m’expliquer pourquoi la simple
vue de l’estampe de Moreau me donne plus complètement l’illusion
de la vie que ce beau groupe en cire exécuté avec tant de soin.
Dans un autre cabinet, c’est la Parisienne d’aujourd’hui qui nous
est montrée; d’aujourd’hui ou plutôt d’hier, autant dire d’autrefois,
car les modes vont vite chez nous, et rien n’est plus démodé, lorsque
vient l’hiver, que les modes de l’hiver précédent. C’est donc un
document historique qui nous est offert là, tout comme dans la
reproduction de l’estampe de Moreau : nous y voyons ce qu’a été un
salon bourgeois à Paris, au commencement de 1892. Des dames en
cire prennent le thé, dans un mobilier neuf dont le style Louis XVI
est tempéré çà et là d’autres styles non moins bien imités. Ce style
Louis XVI tempéré d’autres styles également anciens, c’est ce qui
constituera, dans l’histoire des arts décoratifs, le style 1892. Et la
même originalité se retrouve dans le style des toilettes, avec seule-
ment une incohérence plus baroque. Des cinq dames en cire qui
prennent le thé dans ce salon bourgeois, et qui sont toutes vêtues
suivant la mode 1892, l’une porte une robe Empire, l’autre une robe
Renaissance, et les trois autres à l’avenant. Un Dahoméen érudit et
mondain, que j’ai rencontré l’année dernière, me disait que nos
salons et même nos rues, avec la variété de style de nos modes et
leur manque absolu de nouveauté, lui donnaient l’impression de ces
redoutes parées, où l’on doit venir, de rigueur, dans un accoutrement
historique ou géographique.
Un groupe de coiffeurs éminents, faisant trêve en notre faveur à
leurs rivalités professionnelles, se sont réunis pour nous offrir le
spectacle varié de soixante-six jeunes femmes, en cire, portant sur
leurs soixante-six têtes soixante-six coiffures différentes. On trouve
là six coiffures antiques, trois coiffures du moyen âge, cinq de la
Renaissance, cinq du temps de Louis XIII, trois du temps de
Louis XIV, neuf du temps de Louis XVI, dix du temps de la Révo-
lution, trois du temps de l’Empire, cinq du temps de la Restaura-
tion, deux du temps de Napoléon III. Et la vue de toutes ces têtes
m’a une fois de plus alarmé sur la sûreté de mon goût. Car je voyais
devant moi de vraies coiffures historiques, exécutées en vraies che-
veux, avec un soin admirable ; et tout cela me faisait l’effet d’une
devanture de coiffeur, et je ne parvenais pas à y retrouver l'impres-
sion que m’avait donnée la vue des mêmes coiffures reproduites dans
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
un peu de bonne volonté, des Parisiennes de 1760. Leurs toilettes y
sont, aussi leurs gestes d’un naturel si maniéré : tout y est, sauf la
parole. Et je n’arrive pas en vérité à m’expliquer pourquoi la simple
vue de l’estampe de Moreau me donne plus complètement l’illusion
de la vie que ce beau groupe en cire exécuté avec tant de soin.
Dans un autre cabinet, c’est la Parisienne d’aujourd’hui qui nous
est montrée; d’aujourd’hui ou plutôt d’hier, autant dire d’autrefois,
car les modes vont vite chez nous, et rien n’est plus démodé, lorsque
vient l’hiver, que les modes de l’hiver précédent. C’est donc un
document historique qui nous est offert là, tout comme dans la
reproduction de l’estampe de Moreau : nous y voyons ce qu’a été un
salon bourgeois à Paris, au commencement de 1892. Des dames en
cire prennent le thé, dans un mobilier neuf dont le style Louis XVI
est tempéré çà et là d’autres styles non moins bien imités. Ce style
Louis XVI tempéré d’autres styles également anciens, c’est ce qui
constituera, dans l’histoire des arts décoratifs, le style 1892. Et la
même originalité se retrouve dans le style des toilettes, avec seule-
ment une incohérence plus baroque. Des cinq dames en cire qui
prennent le thé dans ce salon bourgeois, et qui sont toutes vêtues
suivant la mode 1892, l’une porte une robe Empire, l’autre une robe
Renaissance, et les trois autres à l’avenant. Un Dahoméen érudit et
mondain, que j’ai rencontré l’année dernière, me disait que nos
salons et même nos rues, avec la variété de style de nos modes et
leur manque absolu de nouveauté, lui donnaient l’impression de ces
redoutes parées, où l’on doit venir, de rigueur, dans un accoutrement
historique ou géographique.
Un groupe de coiffeurs éminents, faisant trêve en notre faveur à
leurs rivalités professionnelles, se sont réunis pour nous offrir le
spectacle varié de soixante-six jeunes femmes, en cire, portant sur
leurs soixante-six têtes soixante-six coiffures différentes. On trouve
là six coiffures antiques, trois coiffures du moyen âge, cinq de la
Renaissance, cinq du temps de Louis XIII, trois du temps de
Louis XIV, neuf du temps de Louis XVI, dix du temps de la Révo-
lution, trois du temps de l’Empire, cinq du temps de la Restaura-
tion, deux du temps de Napoléon III. Et la vue de toutes ces têtes
m’a une fois de plus alarmé sur la sûreté de mon goût. Car je voyais
devant moi de vraies coiffures historiques, exécutées en vraies che-
veux, avec un soin admirable ; et tout cela me faisait l’effet d’une
devanture de coiffeur, et je ne parvenais pas à y retrouver l'impres-
sion que m’avait donnée la vue des mêmes coiffures reproduites dans