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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
pour ne voir autour de lui et des autres, dans le cadre habituel de
la vie, que des objets revêtus de formes et de couleurs harmonieuses.
Il rêva ainsi peu à peu de transformer les intérieurs anglais, d’amé-
liorer le goût de la décoration et de l’ameublement, conformément
aux lois de la plus rigoureuse esthétique ; et c’est ce qu’il a réussi à
faire, grâce aux efforts soutenus de plus de trente ans. On ne s’atten-
drait pas à voir sortir de la doctrine, en apparence la plus intransi-
geante et la plus uniquement éprise d’idéal, ces applications pratiques ;
à trouver un peintre-verrier, un fabricant de tapisseries, d’étoffes
imprimées, même de carpettes ou de papier peint (car M. Morris est
tout cela), à la suite de Rossetti. Depuis quelque temps, il imprime
lui-même les livres qu’il a écrits, tant de poésie que de prose : il en
fait exécuter le papier sous sa direction; il en invente et dessine
les caractères ; il grave même souvent de sa propre main les bois
destinés à les illustrer. Il faudrait toute une étude, spéciale pour
mettre en valeur, comme il le mérite, cet esprit original et entre-
prenant.
Contentons-nous aujourd’hui de le considérer dans ses rapports
avec M. Burne-Jones. Ils sont à peu près contemporains, et furent con-
disciples à l’Exeter College d’Oxford. Dès lors se forma entre eux une
intimité, une communauté d’affection et de goûts partagés, qui n’a
jamais cessé depuis. C’est pour lui ou avec lui que M. Burne-Jones a
fait ses premiers travaux décoratifs. Ils travaillèrent ensemble sous
Rossetti. Quand M. Morris fonda sa maison de fabrication et de com-
merce, sous la raison sociale Morris and Co., et commença son œuvre
de rénovation des arts industriels, M. Burne-Jones fut avec Rossetti
parmi les premiers défenseurs de l’idée, et resta même, ainsi que
son maitre, jusque vers 1870, membre du conseil d’administration.
Son protectorat, ensuite, devint purement moral, et son rôle se borna
à fournir des dessins comme par le passé. Il en a produit en très
grand nombre, et c’est tout à fait exceptionnellement que d’autres
que la maison Morris ont exécuté ses cartons ou ses projets. L’union
entre lui et M. Morris est même, à certains points de vue, presque
fraternelle, et la communion s’établit aussi intime que possible
entre les rêves de l’un et ceux de l’autre. Les tableaux de M. Burne-
Jones apparaissent généralement accompagnés de vers de Morris, de
stances ou quatrains composés exprès pour eux, et qui sont de la
plus exquise et ferme concision: ainsi les allégories des Saisons, du
Jour et de la Nuit ; ainsi encore la célèbre Briar Rose. De son côté,
M. Morris vient-il de finir un de ces raffinés et précieux poèmes qui
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
pour ne voir autour de lui et des autres, dans le cadre habituel de
la vie, que des objets revêtus de formes et de couleurs harmonieuses.
Il rêva ainsi peu à peu de transformer les intérieurs anglais, d’amé-
liorer le goût de la décoration et de l’ameublement, conformément
aux lois de la plus rigoureuse esthétique ; et c’est ce qu’il a réussi à
faire, grâce aux efforts soutenus de plus de trente ans. On ne s’atten-
drait pas à voir sortir de la doctrine, en apparence la plus intransi-
geante et la plus uniquement éprise d’idéal, ces applications pratiques ;
à trouver un peintre-verrier, un fabricant de tapisseries, d’étoffes
imprimées, même de carpettes ou de papier peint (car M. Morris est
tout cela), à la suite de Rossetti. Depuis quelque temps, il imprime
lui-même les livres qu’il a écrits, tant de poésie que de prose : il en
fait exécuter le papier sous sa direction; il en invente et dessine
les caractères ; il grave même souvent de sa propre main les bois
destinés à les illustrer. Il faudrait toute une étude, spéciale pour
mettre en valeur, comme il le mérite, cet esprit original et entre-
prenant.
Contentons-nous aujourd’hui de le considérer dans ses rapports
avec M. Burne-Jones. Ils sont à peu près contemporains, et furent con-
disciples à l’Exeter College d’Oxford. Dès lors se forma entre eux une
intimité, une communauté d’affection et de goûts partagés, qui n’a
jamais cessé depuis. C’est pour lui ou avec lui que M. Burne-Jones a
fait ses premiers travaux décoratifs. Ils travaillèrent ensemble sous
Rossetti. Quand M. Morris fonda sa maison de fabrication et de com-
merce, sous la raison sociale Morris and Co., et commença son œuvre
de rénovation des arts industriels, M. Burne-Jones fut avec Rossetti
parmi les premiers défenseurs de l’idée, et resta même, ainsi que
son maitre, jusque vers 1870, membre du conseil d’administration.
Son protectorat, ensuite, devint purement moral, et son rôle se borna
à fournir des dessins comme par le passé. Il en a produit en très
grand nombre, et c’est tout à fait exceptionnellement que d’autres
que la maison Morris ont exécuté ses cartons ou ses projets. L’union
entre lui et M. Morris est même, à certains points de vue, presque
fraternelle, et la communion s’établit aussi intime que possible
entre les rêves de l’un et ceux de l’autre. Les tableaux de M. Burne-
Jones apparaissent généralement accompagnés de vers de Morris, de
stances ou quatrains composés exprès pour eux, et qui sont de la
plus exquise et ferme concision: ainsi les allégories des Saisons, du
Jour et de la Nuit ; ainsi encore la célèbre Briar Rose. De son côté,
M. Morris vient-il de finir un de ces raffinés et précieux poèmes qui