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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
X.
Après avoir longtemps hésité, après s’être objecté à lui-même que
la frise du monument lycien dit des Néréides, qui représente des
scènes de combat, se rapporte certainement à l’histoire lycienne et
non à la fable hellénique, M. Benndorf s’est décidé à chercher l’inspi-
ration littéraire de nos bas-reliefs dans le poème aujourd’hui perdu
d’Arctinus, YÉthiopide, qui racontait la lutte des Grecs contre les
Amazones, accourues au secours de Troie sous la conduite de leur reine
Penthésilée. Dans Y Iliade, il n’y a pas de cavalerie; cette intervention
des femmes guerrières de la Scythie fournit à Arctinus le moyen de
renouveler, en les transformant, les descriptions des batailles homé-
riques, et c'est de lui sans doute que s’inspira le peintre Micon,
lorsqu’il représenta la bataille de Thésée contre les Amazones sur les
murs du portique Poecile à Athènes. A leur tour, ces peintures de
Micon exercèrent une grande influence sur les céramistes, et les
sculpteurs les imitèrent jusqu’à la fin de l’antiquité; les artistes de
Trysa avaient fait de même. C’est par cette communauté d’inspiration
et de sources que s’expliquent les très nombreuses analogies entre
l’Amazonomachie de Trysa et les batailles d’Amazones que nous
connaissons. C’est aussi à YÉlliiopide d’Arctinus que M. Benndorf
rapporte, avec des réserves très prudentes, l’inspiration de la scène
de gauche, la bataille près des vaisseaux. Le rôle grotesque prêté
dans cet épisode au lâche Thersite était probablement indiqué dans
YÉthiopide, pour préparer les lecteurs du poème à l’épisode qui suit
la défaite des Amazones, lorsque Achille immole Thersite pour s’être
permis, lui si lâche dans le combat, d’insulter au cadavre de
Penthésilée. Quant à la scène du milieu, elle soulève une question
plus difficile. D’une part, en effet, l’apparition d’Hélène au-dessus
des murs de Troie rappelle un épisode bien connu de Y Iliade; de
l’autre, l’assaut donné à la ville et les deux groupes sur la droite
qui indiquent la catastrophe obligent de penser à une source toute
différente. Or, il se trouve justement que dans lepoèmedeQuintusde
Smyrne sur la guerre de Troie après Ylliade — poème que Ton
rapporte, sans en être certain, à l’époque romaine — l’attaque des
murs par quatre groupes de guerriers grecs et la manœuvre qu’ils
font avec leurs boucliers pour se préserver des pierres, sont décrites
en termes qui s’accordent à merveille avec les données des bas-reliefs.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
X.
Après avoir longtemps hésité, après s’être objecté à lui-même que
la frise du monument lycien dit des Néréides, qui représente des
scènes de combat, se rapporte certainement à l’histoire lycienne et
non à la fable hellénique, M. Benndorf s’est décidé à chercher l’inspi-
ration littéraire de nos bas-reliefs dans le poème aujourd’hui perdu
d’Arctinus, YÉthiopide, qui racontait la lutte des Grecs contre les
Amazones, accourues au secours de Troie sous la conduite de leur reine
Penthésilée. Dans Y Iliade, il n’y a pas de cavalerie; cette intervention
des femmes guerrières de la Scythie fournit à Arctinus le moyen de
renouveler, en les transformant, les descriptions des batailles homé-
riques, et c'est de lui sans doute que s’inspira le peintre Micon,
lorsqu’il représenta la bataille de Thésée contre les Amazones sur les
murs du portique Poecile à Athènes. A leur tour, ces peintures de
Micon exercèrent une grande influence sur les céramistes, et les
sculpteurs les imitèrent jusqu’à la fin de l’antiquité; les artistes de
Trysa avaient fait de même. C’est par cette communauté d’inspiration
et de sources que s’expliquent les très nombreuses analogies entre
l’Amazonomachie de Trysa et les batailles d’Amazones que nous
connaissons. C’est aussi à YÉlliiopide d’Arctinus que M. Benndorf
rapporte, avec des réserves très prudentes, l’inspiration de la scène
de gauche, la bataille près des vaisseaux. Le rôle grotesque prêté
dans cet épisode au lâche Thersite était probablement indiqué dans
YÉthiopide, pour préparer les lecteurs du poème à l’épisode qui suit
la défaite des Amazones, lorsque Achille immole Thersite pour s’être
permis, lui si lâche dans le combat, d’insulter au cadavre de
Penthésilée. Quant à la scène du milieu, elle soulève une question
plus difficile. D’une part, en effet, l’apparition d’Hélène au-dessus
des murs de Troie rappelle un épisode bien connu de Y Iliade; de
l’autre, l’assaut donné à la ville et les deux groupes sur la droite
qui indiquent la catastrophe obligent de penser à une source toute
différente. Or, il se trouve justement que dans lepoèmedeQuintusde
Smyrne sur la guerre de Troie après Ylliade — poème que Ton
rapporte, sans en être certain, à l’époque romaine — l’attaque des
murs par quatre groupes de guerriers grecs et la manœuvre qu’ils
font avec leurs boucliers pour se préserver des pierres, sont décrites
en termes qui s’accordent à merveille avec les données des bas-reliefs.