Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art (3. Pér. 29.1903)

UN PORTRAIT DE LA SECONDE FEMME I)E CHARDIN

PAR CHARDIN

AU MUSÉE CARNAVALET

e Louvre conserve déjà un portrait de
cette excellente femme que Chardin, à
quarante-cinq ans, avait épousée, veuve
comme lui, frisant la quarantaine; nantie
d’un certain avoir, elle se montra dévouée
à lui assurer la tranquillité de travail si
nécessaire à son art scrupuleux et patient,
et parvint avec lui à un âge avancé. C’est
un ferme et franc pastel, daté de 1775 —
des dernières années de l’artiste; elle y est
montrée bientôt septuagénaire, le visage amaigri, la bouche creusée,
le regard refroidi, sous un bonnet blanc tout simplet qui lui garantit
presque entièrement la figure.

Le musée Carnavalet vient de se découvrir possesseur d’un
autre portrait d’elle dans une peinture à lui échue il y a deux ans,
par testament de la baronne Natbaniel de Rothschild, avec la dési-
gnation de « Mme Geoffrin,par Chardin ».

L’attribution à Chardin était fondée. Une femme d’environ cin-
quante ans nous est présentée assise plus encore de profil que de
trois quarts, un rouet posé sur ses genoux. Le visage, court et rond,
franchement tourné vers le spectateur, sourit avec finesse, d’une
bouche mince et menue, et accuse la fatigue de l’âge par le lourd
plissement du haut des paupières; il est modelé avec cette insistance
à laquelle rien ne doit échapper, dans une couleur grasse qu’on ne
voyait guère, à cette époque, s’étaler que sous le pinceau de Chardin