HENRI EVENEPOEL
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nalité, être parvenu à s’attacher une nature si différente de la sienne, tout en
développant un talent si éloigné de ses propres aspirations ? Aussi quelle
reconnaissance lui voue le jeune artiste :
Positivement à cette école de Moreau j’ai appris que l’on devait peindre en aimant
ce que l’on faisait, et que seul ce qui était aimé par le cœur était louable, que
chaque touche de la brosse devait être dirigée par sa sensibilité. Foin de ceux qui
peignent avec les mains, de ceux dont l’œuvre est une satisfaction de l’œil mais dont
le nerf optique n’est pas en relation avec le cœur. Moreau me le disait samedi.
« Bien peindre ne suffit pas ; même parmi les maîtres de la virtuosité, le métier ne
suffit pas à les maintenir à la hauteur de ces byzantins malhabiles qui dans une tête
difforme et mal construite de Vierge, se sont élevés à un sentiment de l’idéal que
l’on n’a pas dépassé. » Je ne puis pas te rendre, cher Père, la manière profon-
dément émotionnante et sympathique dont-il nous parle de toutes ces choses. Il faut
en profiter pendant qu’il est là. Quelle nature d’élite et quelle âme!1
Dans cette étude rapide, il nous a été impossible de noter toutes les
faces d’un talent aussi complet, aussi étendu que celui d’Henri Evenepoel.
Nous n’avons pu ici qu’esquisser une rapide silhouette et essayer de faire
ressortir les principales caractéristiques de cette nature si profondément
attachante. Nous espérons du moins avoir pu montrer sur quelles bases
sérieuses se fonde la gloire grandissante d’Henri Evenepoel et combien son
succès nous paraît justifié. La Belgique a perdu avec lui l’un de ses plus
beaux peintres, une de ses natures les plus élevées et les plus fines.
Cette vie de travail intense, d’enthousiasme, de lutte et de riche production,
si malheureusement interrompue, est digne, nous semble-t-il, de servir
d’exemple et de soutien à tous les jeunes artistes qui cherchent et peinent à
leur tour, souvent au milieu de si cruelles difficultés, pour rendre un peu de
cette beauté moderne qu’Evenepoel a servie avec un si complet dévouement.
ÉDOUARD MICHEL
i. Lettre à son père, 8 novembre i8g5.
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nalité, être parvenu à s’attacher une nature si différente de la sienne, tout en
développant un talent si éloigné de ses propres aspirations ? Aussi quelle
reconnaissance lui voue le jeune artiste :
Positivement à cette école de Moreau j’ai appris que l’on devait peindre en aimant
ce que l’on faisait, et que seul ce qui était aimé par le cœur était louable, que
chaque touche de la brosse devait être dirigée par sa sensibilité. Foin de ceux qui
peignent avec les mains, de ceux dont l’œuvre est une satisfaction de l’œil mais dont
le nerf optique n’est pas en relation avec le cœur. Moreau me le disait samedi.
« Bien peindre ne suffit pas ; même parmi les maîtres de la virtuosité, le métier ne
suffit pas à les maintenir à la hauteur de ces byzantins malhabiles qui dans une tête
difforme et mal construite de Vierge, se sont élevés à un sentiment de l’idéal que
l’on n’a pas dépassé. » Je ne puis pas te rendre, cher Père, la manière profon-
dément émotionnante et sympathique dont-il nous parle de toutes ces choses. Il faut
en profiter pendant qu’il est là. Quelle nature d’élite et quelle âme!1
Dans cette étude rapide, il nous a été impossible de noter toutes les
faces d’un talent aussi complet, aussi étendu que celui d’Henri Evenepoel.
Nous n’avons pu ici qu’esquisser une rapide silhouette et essayer de faire
ressortir les principales caractéristiques de cette nature si profondément
attachante. Nous espérons du moins avoir pu montrer sur quelles bases
sérieuses se fonde la gloire grandissante d’Henri Evenepoel et combien son
succès nous paraît justifié. La Belgique a perdu avec lui l’un de ses plus
beaux peintres, une de ses natures les plus élevées et les plus fines.
Cette vie de travail intense, d’enthousiasme, de lutte et de riche production,
si malheureusement interrompue, est digne, nous semble-t-il, de servir
d’exemple et de soutien à tous les jeunes artistes qui cherchent et peinent à
leur tour, souvent au milieu de si cruelles difficultés, pour rendre un peu de
cette beauté moderne qu’Evenepoel a servie avec un si complet dévouement.
ÉDOUARD MICHEL
i. Lettre à son père, 8 novembre i8g5.