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Rocznik Historii Sztuki — 34.2009

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Baridon, Michel: Histoire des jardins: quelques points de méthode
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https://doi.org/10.11588/diglit.14576#0020
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MICHEL BARI DON

Aussitôt entré dans le jardin paysager anglais du XVIIIe siècle, j'ai voulu comprendre ce qui existait
avant et ce qui s'est produit après. De là, mon livre Les Jardins. Paysagistes, jardiniers, poètes5 que j'aime-
rais bien corriger sur certains points, mais dont je ne renie pas la méthode. Ce livre est une histoire de la
représentation de la nature par les jardins. Il s'appuie sur des textes et sur des images (environ 160). Sachant
que les échanges interculturels ont toujours existé, j'ai cherché à être le plus complet possible et j'ai inclus
la tradition chinoise et la tradition arabo-musulmane dans mon champ de recherche. L'essentiel de mon tra-
vail est allé à la troisième grande tradition, la tradition européenne, dont j'ai cherché à faire l'histoire en
analysant et en illustrant chacune de ses phases. Pour arriver à les localiser et à les définir, il fallait des cri-
tères et une approche critique que je vais tenter de décrire en prenant l'exemple d'une de ces phases. Ensuite,
j'essaierai de montrer comment on passe d'une phase à une autre phase, c'est-à-dire comment l'histoire se
construit positivement par des inventions successives.

LA RENAISSANCE ITALIENNE

La chrétienté médiévale disposait de jardins mais elle ne posait pas le problème de leur nature. Elle les
considérait comme nécessaires à la vie des monastères (potagers, vergers) et à l'embellissement des châteaux
(surtout à partir du XIIIe siècle) mais sans les considérer comme un art à part entière. Il faut attendre les
humanistes de la Renaissance pour qu'une avancée théorique décisive se produise. Nous la devons à Bon-
fadio qui a peut-être payé de sa vie sa curiosité intellectuelle6. Il part de la distinction faite par Cicéron dans
le De natura deorum entre la nature vierge et la nature où apparaît la présence de l'homme. La première est
celle que nous voyons dans les forêts, les déserts, les montagnes; la seconde, celle des terres cultivées, des
oliveraies, des vignobles, des routes etc. Bonfadio constate alors qu'un jardin n'appartient ni à la première,
ni la seconde nature. Dans un jardin «la nature unie à l'art devient créatrice et semblable à l'art». Et il ajoute:
«Des deux est née une troisième nature que je ne saurais comment appeler». En définissant un jardin comme
«la nature unie à l'art», Bonfadio anticipe de façon étonnante la Charte de Florence qui définit un jardin
comme «un monument vivant».

Comme toujours, la critique retarde sur la création. Quand Bonfadio a écrit ces lignes, deux livres étaient
déjà en circulation et ils décrivaient les nouveaux jardins: Le Songe de Poliphile de Colonna [?] a été publié
en 1499 et le De re aedificatoria d'Alberti en 1481. On peut y voir comment «la nature devient créatrice et
semblable à l'art». Alberti parle de jardins à propos de villas. Selon lui, le site idéal d'une villa doit offrir
«des paysages agréables, des prés fleuris, des campagnes découvertes, des bois qui donnent de l'ombre, de
clairs ruisseaux, des rivières aux eaux pures, et des lacs pour aller nager». Mais la villa doit aussi dominer
un jardin où abondent les formes géométriques «cercles, demi-cercles ou figures du même ordre entourées
de lauriers, de cyprès et de genévriers avec des arbres plantés en ligne droite et taillés pour former des ali-
gnements réguliers.» Dans un jardin, l'union de l'art et de la nature se reconnaît donc au fait que la végéta-
tion prend des formes géométriques qu'Alberti appelle «régulières»7.

Pourquoi cette primauté de la géométrie que l'on retrouve dans le Songe de Poliphile et dans tous les
jardins de la Renaissance italienne?

Pour répondre à cette question, il faut d'abord ouvrir le vaste champ de l'histoire socioculturelle. Je
vais me contenter ici d'indications générales. Dés le XIIIe siècle, les villes-Etats italiennes accumulent des
richesses et nouent des relations avec l'Europe du nord et le bassin méditerranéen en particulier par les croi-
sades. Ces richesses elles les gèrent par des banques mais elles en génèrent aussi par l'industrie du drap.
Dans un cas comme dans l'autre, il faut faire progresser le calcul, la navigation, la rationalisation des pro-
cessus de production. Dans ces domaines, l'Italie est en contact avec le monde musulman qui a renoué avec
l'héritage scientifique des Grecs dès le Xe siècle. L'Occident chrétien a suivi grâce aux frères mendiants,
Franciscains et Dominicains, qui remettent Aristote au programme des universités malgré les réticences de
la Papauté et l'opposition de traditionalistes comme saint Bernard. Grâce à Roger Bacon, à Robert Gros-

5 Le livre, édité chez Laffont dans la collection Bouquins, est paru en 1998.

6 Sur Jacopo Bonfadio, voir quelques données biographiques et la traduction en français de sa célèbre lettre dans mon livre
déjà cité, Les Jardins. Paysagistes Jardiniers, poètes, p. 637-638.

7 L.B. A 1 b e r t i, L'Architecture et art de bien bastir, trad. J. Martin, Kerver, Paris 1568, p. 187.
 
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