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Rocznik Historii Sztuki — 34.2009

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Baridon, Michel: Histoire des jardins: quelques points de méthode
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https://doi.org/10.11588/diglit.14576#0024
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MICHML BARIDON

[Elles] rendent les allées longues et belles et leur donnent une plaisante perspective, car sur leur longu-
eur, la force de la vue déclinant, rend les choses plus petites tendant à un point, [ce] qui les fait trouver plus
agréables11.

La perspective longue se trouvait ainsi valorisée scientifiquement et esthétiquement. C'est elle qui allait
stimuler Г invention des architectes et motiver les commanditaires qui voulaient des jardins «modernes», «de
leur temps». Nous retrouvons ici l'histoire socioculturelle.

Qui étaient ces commanditaires? Dans un premier temps, les financiers. Habitués aux calculs et aux
échanges internationaux, acteurs culturels par leurs salons et leurs relations, ils voulaient être des mécènes,
favoriser la création et le faire savoir. René de Longueuil, financier en vue, fit construire par François Man-
sart le château de Maisons où rayonnaient des perspectives longues; il y fit aménager des sauts de loups (les
futurs «haha») pour supprimer tout obstacle à la course du regard vers l'infini12. Ces financiers étaient liés
à l'appareil d'Etat de la monarchie, entité politique puissante, pour laquelle ils collectaient les impôts. Fou-
quet en est l'illustration parfaite.

Quand Louis XIV décida de gérer lui-même les finances de l'Etat, il se donna les moyens de doter la
vie de cour d'un cadre dont la splendeur rehaussait sa propre gloire. Il réunit un comité d'experts et le site
choisi, Versailles, indiqua clairement que l'on entendait tourner le dos aux jardins de Saint-Germain, tout
proches et de taille vraiment royale, mais conçus dans le style Renaissance avec leurs terrasses qui s'éta-
geaient du château à la Seine comme autant de quadratures reliées par des escaliers.

Versailles c'était le nouveau style avec une percée jusqu'à l'infini de la perspective longue lancée depuis
la terrasse où s'élevait le château. Certes, il y avait là trop d'eau et pas assez. Trop dans les marécages du
val de Gally et pas assez pour alimenter les jeux d'eau qui fuseraient de toutes parts. Le Nôtre décida de
drainer les marais et d'y installer le Grand Canal et quant à l'eau, les espoirs placés en la science étaient tels
que l'on comptait sans doute sur des pompes ou des aqueducs pour l'amener à pied d'oeuvre, ce qui finale-
ment ne put jamais se faire. Mais en dépit de ce handicap, Versailles représente la forme la plus aboutie du
jardin baroque français13.

Si nous reprenons les catégories utilisées pour le jardin de la Renaissance nous remarquons d'abord que
le roi, Le Nôtre et leurs proches collaborateurs (Le Vau, Le Brun, les frères Perrault) étaient très au fait de
ce qui se passait dans le monde scientifique, ne serait-ce que par l'Académie des sciences fondée en 1666.
Louis XIV plaçait son pouvoir sous le signe de l'astronomie copernicienne en se présentant dans ses Mémoi-
res comme le soleil communiquant l'éclat et la lumière «aux autres astres qui lui composent comme une
espèce de cour». Le mythe solaire s'illustre à Versailles par l'axe est-ouest qui ordonne toute la composition
et par le rôle d'Apollon dans le programme iconographique.

Mais l'astronomie est présente à Versailles pour d'autres raisons. L'Académie des sciences fut consul-
tée lors de la mise en eau du Grand Canal qui se révéla parfaitement horizontal sur toute sa longueur grâce
à des travaux de nivellements précis. L'abbé Picard et ses assistants furent consultés pour recueillir les eaux
des étangs sur le plateau de Satory et pour creuser le tunnel nécessaire pour les amener à Versailles. Il en fut
de même lors de la mise en chantier du canal de l'Eure, entreprise cyclopéenne peut-être mais bien calculée
et qui eut enfin réglé le lancinant problème de l'eau si les guerres de la Ligue d'Augsbourg n'avaient pas
interrompu les travaux.

L'abbé Picard mettait au service de la cartographie et des nivellements des lunettes utilisées par les
astronomes pour mesurer des angles très aigus (Fig. 4). Dans des jardins où les effets d'eau comptaient beau-
coup, il fallait calculer les pentes au plus juste et le modelé du terrain était conditionné par l'hydraulique.
La géométrie déterminait la pente des canalisations et il incombait au coordinateur des travaux, en l'occur-
rence Le Nôtre, de concilier les exigences des fontainiers, celles des terrassiers et celles des jardiniers en
triomphant de tous les obstacles avec la souveraine élégance qu'on lui connaît.

S'il a permis au style baroque d'atteindre son plein épanouissement c'est par la géométrie mais aussi
par l'optique qui se conjuguent dans les effets qu'il a tirés des grands miroirs d'eau. Le climat, les étendues
relativement planes de l'Ile de France et ses ciels animés par la dérive des nuages venus de l'Atlantique lui

В о y с e a u dc la Baraudière, Traité du jardinange selon les raisons de la nature et de l'art, Paris 1638, p. 70.
o o d b r i d g e, Princely Gardens, Thames and Hudson, London 1986, p. 173.
13 Sur les rapports entre sciences et art des jardins à Versailles, voir M. Bari d o n, Histoire des jardins de Versai/les, Actes
Sud, Arles 2003 au chapitre «L'Empire des géomètres».
 
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