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Rocznik Historii Sztuki — 34.2009

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Baridon, Michel: Histoire des jardins: quelques points de méthode
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https://doi.org/10.11588/diglit.14576#0026
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MIC'I11 L BARIDON

rend compte quand on contourne le Grand Canal à pied, leurs dimensions sont respectivement de 126, 195
et 400 mètres (Fig. 5).

Pourquoi ce jeu d'optique? Si les trois perpendiculaires avaient été de même taille, l'impression de fuite
aurait aspiré les jardins vers l'horizon. Ici, elles freinent le regard et le ralentissent jusqu'à ce qu'il atteigne
l'extrémité du Grand Canal et saute d'un seul élan dans l'infini. Le Grand Canal l'a conduit directement dans
un paysage et c'est une des grandes réussites de Le Nôtre que d'avoir réussi à articuler la géométrie des
bosquets et des canaux à la liberté des plaines de l'Ile de France. On reconnaît là l'oeil d'un artiste qui avait
vu en Claude Lorrain (qu'il collectionnait, tout comme Louis XIV) un peintre majeur de l'époque. De fait,
quand le soleil se couche à l'extrémité du Grand Canal, il offre un spectacle comparable aux Ports de mer
au soleil couchant que Claude a peints à plusieurs reprises. L'optique sert ici les intentions de Le Nôtre et
sans doute aussi celles de Louis XIV parce que le canal renvoie l'éclat du soleil couchant sur le château.
C'est alors une fête de la lumière car la longue façade s'embrase, et même du dedans, quand les miroirs de
la Galerie des Glaces participent à l'illumination générale.

Parler de fête de la lumière à propos de Versailles, c'est donner le ton de ses climats de sensibilité. Dans
l'espace clos des bosquets se déploie la théâtralité baroque, l'éclat des jets d'eau et des flambeaux allumés
pour les ballets et les concerts. Dans les grands espaces ouverts régnent la sérénité et la majesté. La longueur
des perspectives, la largeur des terrasses, les arbres et les statues alignés comme à la parade, composent une
cérémonie à grand spectacle qui rend palpable l'autorité politique. C'est aussi un écho direct à la grande
tragédie, forme littéraire maîtresse de l'époque, avec son art consommé de conduire l'action et la symétrie
toujours renouvelée mais toujours parfaite de ses alexandrins.

Mais le baroque français ce n'est pas que Versailles. A Chantilly, c'est la nostalgie de «l'ancienne
France» qui s'exprime. Partout, autour de la grande esplanade et des somptueux miroirs d'eau de Le Nôtre,
c'est la forêt percée de deux longues perspectives. On est ici dans un bastion de la très haute noblesse, sanc-
tuaire où la chasse a ses rites et où s'abritent des protégés en mal avec le pouvoir (Théophile de Viau) et
leurs amours (Sylvie).

En dépit de climats de sensibilité différents, les mêmes critères esthétiques apparaissent à Chantilly
comme à Versailles. Ils sont liés à la perspective longue. Dans la mesure où la géométrie domine, les pro-
portions restent la clef de voûte de l'esthétique. Mais on ne peut plus en tirer de satisfaction immédiate en
les voyant fonctionner dans une quadrature. La perspective longue se conçoit en volumes et pas en surfaces.
Boyceau déjà recommandait qu'on calcule les allées en fonction de leur largeur et de la hauteur des palissa-
des qui les bordent.

Le Nôtre en est conscient. Il sait que les jardins qu'il conçoit sont faits pour être vus du château, (sur-
tout quand il s'agit des parterres) mais qu'il faut les voir aussi depuis les jardins eux-mêmes. Louis XIV en
était d'accord puisqu'il a donné un itinéraire au visiteur dans sa Manière de visiter les jardins de Versailles.
A chaque étape se compose un spectacle en trois dimensions où la rigueur mathématique de la Renaissance
est impossible à maintenir. Le Nôtre l'assouplit tout en travaillant empiriquement. Quand le Grand Canal
parait trop étroit, il le fait élargir et de même avec le Tapis Vert. On sent que dans les dernières décennies
du XVIIe siècle, on s'orient déjà vers une esthétique de la grâce plus que de la beauté. Or, le propre de la
grâce «plus belle que la beauté» au dire de La Fontaine c'est d'avoir un «je ne sais quoi» qui ne s'explique
pas. Une chose demeure certaine, cependant, c'est que les jardins de Le Nôtre sont conçus comme une har-
monie de formes et de couleurs qui se renouvelle à mesure que l'on avance sans jamais perdre le sens de la
hauteur et de la profondeur. Jamais il ne donne mieux la mesure de son art que dans les légers dénivelés qui
encadrent ses grands parterres, dans les grandes obliques qui lui assurent une emprise majestueuse sur l'es-
pace, et dans le placement de ses grands miroirs d'eau qui suspendent les jardins entre deux infinis.

NAISSANCE DU STYLE ROCAILLE ET DU STYLE PAYSAGER.
ESQUISSE DE LEUR DÉVELOPPEMENT

Versailles était encore dans toute sa gloire que déjà naissaient d'autres styles de jardins: le style rocaille
et le style paysager. A nouvelles construction intellectuelle du monde, nouvelles formes de représentation.
Je vais maintenant résumer ce qui s'est passé au XVIIIe siècle pour décrire l'épanouissement progressif de
nouveaux styles.
 
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