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CHAPITRE TROISIÈME. — LE MOLE D’ADRIEN.
ou de Perino del Vaga ont fait courir d’élégantes arabesques pour encadrer divers traits de
l’histoire locale : — or dans ce pays-ci, les chroniques de la cité, c’est l’histoire romaine.
Je visitais cet édifice en compagnie de quelques Français, avec le portier-consigne pour
cicerone.
C’était un sergent-major franc-comtois qui s’était bourré dans la tête les légendes du lieu et
qui, ayant dramatisé le tout à la façon des mélodrames du boulevard, démontrait en estropiant
les noms et en faisant ronfler les r comme les traîtres de P Ambigu. Ce garçon jovial subissait
une idée fixe assez plaisante : il désirait trouver l’occasion d’arrêter un Anglais, un de ces
Anglais qui mutilent les objets d’art pour s’approvisionner de reliques. Il s’imaginait qu’un
de ces indiscrets une fois bien rossé, l’exemple suffirait pour les corriger tous. Il prenait donc le
soin d’égarer çà et là quelques bagatelles d’antiquité, et quand, après avoir vérifié ses amorces,
il guidait des familles anglaises, il affectait de tourner le dos ; après quoi il revenait voir si le
piège avait réussi. Et comme rien n’était jamais dérobé, le cerbère déçu soupirait. Si les larcins
présumés de ces touristes l’exaspéraient, leur honnêteté l’impatientait bien davantage.
On nous fit voir au fond d’une niche l’ancienne figure de XArchange, taillé par Monteluppo,
que Paul III avait dressée sur le faîte du château Saint-Ange, et que le dix-septième siècle a
remplacée par le Chérubin un peu ramassé et plus prosaïque du Flamand Verschaffelt. Paul 111
ayant combattu les Turcs et les hérétiques, son archange tirait le glaive : le conciliant et spiri-
tuel Benoît XIV, qui s’était attaché à pacifier l’Église, voulut pour symbole un Saint Michel ren-
gainant son épée. La statue est plus philosophique d’intention, et de forme aussi.
On a placé au château Saint-Ange, dans de longs magasins qui ressemblent à F entre-pont
d’un navire, des provisions d’huile qui, tant les coutumes se perpétuent dans les pays antiques,
sont distribuées dans de grandes amphores en argile d’une forme quinze cents fois séculaire,
alignées sur deux rangs et encastrées dans du ciment comme chez les boutiquiers de Pompei.
Mes compagnons, qui m’étaient inconnus, parcouraient tout d’un œil distrait et cheminaient
avec l’impatience de la curiosité assouvie. Lorsque nous débouchâmes sur la plate-forme de
l’édifice, d’où l’on a de si beaux points de vue sur Saint-Pierre et le Vatican, sur les huit collines
de Rome, sur ses ruines et sur les campagnes, chacun poussa des cris d’extase : la lumière est
si belle, les vastes horizons éclatent dans une si enivrante clarté, lorsque l’œil les embrasse au
sortir des cachots !
CHAPITRE TROISIÈME. — LE MOLE D’ADRIEN.
ou de Perino del Vaga ont fait courir d’élégantes arabesques pour encadrer divers traits de
l’histoire locale : — or dans ce pays-ci, les chroniques de la cité, c’est l’histoire romaine.
Je visitais cet édifice en compagnie de quelques Français, avec le portier-consigne pour
cicerone.
C’était un sergent-major franc-comtois qui s’était bourré dans la tête les légendes du lieu et
qui, ayant dramatisé le tout à la façon des mélodrames du boulevard, démontrait en estropiant
les noms et en faisant ronfler les r comme les traîtres de P Ambigu. Ce garçon jovial subissait
une idée fixe assez plaisante : il désirait trouver l’occasion d’arrêter un Anglais, un de ces
Anglais qui mutilent les objets d’art pour s’approvisionner de reliques. Il s’imaginait qu’un
de ces indiscrets une fois bien rossé, l’exemple suffirait pour les corriger tous. Il prenait donc le
soin d’égarer çà et là quelques bagatelles d’antiquité, et quand, après avoir vérifié ses amorces,
il guidait des familles anglaises, il affectait de tourner le dos ; après quoi il revenait voir si le
piège avait réussi. Et comme rien n’était jamais dérobé, le cerbère déçu soupirait. Si les larcins
présumés de ces touristes l’exaspéraient, leur honnêteté l’impatientait bien davantage.
On nous fit voir au fond d’une niche l’ancienne figure de XArchange, taillé par Monteluppo,
que Paul III avait dressée sur le faîte du château Saint-Ange, et que le dix-septième siècle a
remplacée par le Chérubin un peu ramassé et plus prosaïque du Flamand Verschaffelt. Paul 111
ayant combattu les Turcs et les hérétiques, son archange tirait le glaive : le conciliant et spiri-
tuel Benoît XIV, qui s’était attaché à pacifier l’Église, voulut pour symbole un Saint Michel ren-
gainant son épée. La statue est plus philosophique d’intention, et de forme aussi.
On a placé au château Saint-Ange, dans de longs magasins qui ressemblent à F entre-pont
d’un navire, des provisions d’huile qui, tant les coutumes se perpétuent dans les pays antiques,
sont distribuées dans de grandes amphores en argile d’une forme quinze cents fois séculaire,
alignées sur deux rangs et encastrées dans du ciment comme chez les boutiquiers de Pompei.
Mes compagnons, qui m’étaient inconnus, parcouraient tout d’un œil distrait et cheminaient
avec l’impatience de la curiosité assouvie. Lorsque nous débouchâmes sur la plate-forme de
l’édifice, d’où l’on a de si beaux points de vue sur Saint-Pierre et le Vatican, sur les huit collines
de Rome, sur ses ruines et sur les campagnes, chacun poussa des cris d’extase : la lumière est
si belle, les vastes horizons éclatent dans une si enivrante clarté, lorsque l’œil les embrasse au
sortir des cachots !