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Wey, Francis; Wey, Francis [Contr.]
Rome - description et souvenirs: ouvrage contenant 358 gravures sur bois, dessinées par nos plus célèbres artistes et un plan de Rome — Paris: Librairie Hachette, 1875

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https://doi.org/10.11588/diglit.66816#0096
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CHAPITRE QUATRIÈME.

lino, les granits africains sous des enveloppes de calicot rouge ou bleu ; aux précieuses colonnes
de l’antiquité on passera des pantalons de percale jaune. N’est-ce pas comme si, pour recevoir
des rois au musée du Vatican, on habillait Apollon en garçon limonadier et Vénus en demoiselle
de comptoir? J’ai vu la nef de Sant’-Andrea dette Fratte travestie de la sorte. »
Ce mauvais goût caractérise le clergé de tous les pays. Il m’offusqua si fort que, sans cher-
cher parmi toute cette rouennerie la Vierge miraculeuse qui opéra la conversion de l’abbé Ratis-
bonne, d’une traite je refluai jusqu’au Corso, où je rencontrai un long personnage octogénaire à
profil en casse-noisettes, en qui je reconnus, parce qu’on me l’avait montré, le sculpteur Lemoyne
que chacun croyait mort et qui s’oubliait à Rome depuis près d’un demi-siècle. Il a pétri de sa
glaise la plupart de nos illustrations décédées en la Ville éternelle.
Chateaubriand, lorsqu’il était ambassadeur, lui fit exécuter le monument qu’il érigea de ses
deniers au Poussin contre un des piliers de San-Lorenzo in Lucina. La rencontre du statuaire
me donna l’idée d’entrer dans l’église, où je trouvai facilement cette inscription :
F. A. DE CHATEAUBRIAND
A
NICOLAS POUSSIN
POUR LA GLOIRE DES ARTS ET L’HONNEUR DE LA FRANCE
Le poète a inscrit son nom le premier, sous un buste plat où le Poussin ressemble à un
artisan vertueux. Puis craignant peut-être qu’on ne le confondît avec un diplomate ordinaire,
l’auteur de René a fait traduire en bas-relief le tableau des Bergers arcadiens, afin de pouvoir
graver au-dessous : « Et in Arcadia ego. »
Comment se fait-il que cet hommage rendu par Chateaubriand à lui-même, sous cette forme
délicate et pensive, ne laisse pas que de toucher? L’envie régnante aurait-elle, de nos jours, trop
exagéré les devoirs de la fausse modestie?
Cette petite église voisine du Corso, tant de fois rebâtie depuis le temps où dans cet endroit
on sacrifiait à Lucine, n’offre aucun autre intérêt. L’édifice actuel (de 1606) a été décoré il y a
douze ans.
Une impression difficile à oublier m’attendait à quelques pas. Peu de mois auparavant,
quand j’étais à Naples, je dînais presque chaque jour en compagnie d’une jeune dame romaine
Française d’origine, parlant plusieurs langues et douée d’un aimable esprit. C’était la marquise
Capranica, belle-sœur delà Ristori qui a épousé un cadet des Capranica, le marquis del Grillo.
La santé de ma commensale était mauvaise; la nuit je T entendais tousser, car sa chambre tou-
chait à la mienne. J’étais loin de penser à cette dame, lorsqu’entraîné dans l’évolution d’une
fouie qui envahissait le Corso, j’arrivai juste à temps pourvoir défiler une procession de prêtres
et de moines avec des cierges.
Entre ces religieux et une suite de voitures armoriées complètement vides, deux rangs de
porteurs élevaient sur leurs épaules un cataletto où reposait à visage découvert, dans ses atours et
drapée sous les plis d’une robe de moire bouton-d’or, une morte qu’entouraient avec des torches
des valets en grande livrée. Je reconnus ma pauvre voisine, la marquise Capranica que j’avais
vue si enjouée et si peu asservie aux roideurs de l’étiquette. La pompe accoutumée de ces
obsèques avait imprimé sa majesté sur ce visage défait.
Les Capranica sont anciens; un cardinal de cette maison institua jadis le collège Capranica
qui a baptisé une place et un théâtre.
Lorsqu’un prince ou une princesse de Rome viennent à décéder, on revêt le défunt de
ses habits de cérémonie et on l’étend sur un lit de parade, sous le baldaquin de son trône,
 
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