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ROME EN 1 87 4.
Comme autrefois, la première impression a été défavorable : bien avant de franchir les
murs d’Aurélien, les collines bouleversées, des maisons neuves qui rappellent les ruches
ouvrières de Lyon, annonçaient l’improvisation d’une Salente bourgeoise en des solitudes où tant
de siècles avaient marqué leur empreinte. De la Porte-Pie à la voie Labicane, le Quirinal,
le Viminal, l’Esquilin sont méconnaissables : on creuse des conduites d’eau et des égouts sur
le tracé des rues en projet ; on exhume des substructions en abaissant les terres, et déjà, devant
la gare et les Thermes de Dioclétien, que relient les vertes avenues d’un square, est percée une
large voie, dite Nationale, qui descendra rectiligne jusqu’au pied du Capitole. Le long de la
viadi Porta-Pia s’élève un palais colossal ; c’est pour contenir les Finances du royaume. Ainsi,
ces régions où l’histoire se faisait écouter dans le silence, ces cultures entremêlées de ruines
autour desquelles fleurissait la mosaïque; tout est livré aux terrassiers. Entre la gare et Sainte-
Marie Majeure, les nivellements ont révélé des dépenses qui pèseront sur l’entreprise des quar-
tiers neufs : pour rencontrer, après tant de civilisations, un terrain résistant, il faut enlever
jusqu’à vingt-deux mètres de décombres. Les creusages sont poussés si avant, qu’au-dessous
du stratum romain apparaît le sol pré-historique avec ses poteries primitives, avec les flèches,
les celts, les haches en silex des tribus sauvages. Entre XAgger de Servius et les abords du
Latran, de pareilles fouilles n’avaient pas été entamées depuis Sixte-Quint qui a commencé les
quartiers tirés au cordeau, continués aujourd’hui. La Ville, qui a conféré le privilège des cons-
tructions à une compagnie obligée de les terminer en six ans, soumet les tracés au contrôle
d’une commission archéologique investie du pouvoir de les modifier quand ils risquent de causer
la destruction d’un monument d’art. Ce comité a pour secrétaire un aimable érudit, M. l’ingé-
nieur Ridolfo Lanciani ; c’est avec l’assistance d’un aussi bon guide que j’ai exploré ces travaux.
Devant la basilique des Neiges, au pied de laquelle ont été enlevés dix-sept mètres de terrain,
vient d’être révélé un palais impérial du second siècle, remplacé au dixième par une résidence
pontificale que Bacio Pintelli a restaurée : les substructions étaient l’une sur l’autre. Une belle
statue grecque a été exhumée là ; ils l’ont baptisée la Fortune. De l’autre côté de l’église, on a pu
réunir les membres brisés d’un Hercule ; sur la place Sainte-Marie, se trouve l’admirable porte
pisane du couvent de Sant’-Antonio : le niveau ayant été baissé de quinze mètres, elle sera dé-
molie avec précaution, et reconstruite. Derrière la basilique ont été exhumés les thermes de
Cerealis, dénommés par une inscription; c’est un peu plus loin qu’a été découvert Y Athlète, ou-
vrage grec d’une belle époque. — Près de Saint-Eusèbe, une maison antique, revêtue de mar-
bres et de peintures, sera conservée, ainsi qu’une autre, via Merulana : celle-ci, contemporaine
d’Auguste, a été décorée richement. Elle est appuyée au mur de Servius, bâtie en opus réticulé
et présente à l’étage supérieur une salle en rotonde avec des niches où sont peints des paysages,
des fleurs, des palmiers et autres arbres, comme les produit la nature, sans mélange d’arabes-
ques ni d’ornementation : les restes d’une villa de Livie, à Prima-Porta, offraient seuls un exemple
de ce procédé. Les soubassements sont couronnés d’un bandeau sur lequel, parmi des figurines
grecques, courent des quadrupèdes et voltigent des oiseaux. A l’étage inférieur la rencontre de
plusieurs gradins indique que cette salle était le petit théâtre d’une riche habitation.
Pour conserveries Trophées de Marius, on en fera le centre d’une grande place où se pro-
fileront quelques fragments d’aqueducs ; autour de la Minerve-Medica seront groupées dans un
jardin les autres ruines de cette région. Vers Saint-Jean de Latran, la municipalité a assumé
l’entreprise du quartier neuf : elle construit les cloaques et les conduites ; elle dessine les tracés
sur le terrain, qui sera vendu par lots. Les conseillers que j’ai vus craignent d’être allés un peu
vile... Dans cette section, via di Santa-Croce, viennent d’être effondrées deux cavernes mithria-
ques : les bas-reliefs, dont l’un représente l’épreuve par le feu, sont au musée Capitolin. Telle
est l’abondance des trésors livrés par la terre, qu’il a fallu établir dans une petite église aban-
ROME EN 1 87 4.
Comme autrefois, la première impression a été défavorable : bien avant de franchir les
murs d’Aurélien, les collines bouleversées, des maisons neuves qui rappellent les ruches
ouvrières de Lyon, annonçaient l’improvisation d’une Salente bourgeoise en des solitudes où tant
de siècles avaient marqué leur empreinte. De la Porte-Pie à la voie Labicane, le Quirinal,
le Viminal, l’Esquilin sont méconnaissables : on creuse des conduites d’eau et des égouts sur
le tracé des rues en projet ; on exhume des substructions en abaissant les terres, et déjà, devant
la gare et les Thermes de Dioclétien, que relient les vertes avenues d’un square, est percée une
large voie, dite Nationale, qui descendra rectiligne jusqu’au pied du Capitole. Le long de la
viadi Porta-Pia s’élève un palais colossal ; c’est pour contenir les Finances du royaume. Ainsi,
ces régions où l’histoire se faisait écouter dans le silence, ces cultures entremêlées de ruines
autour desquelles fleurissait la mosaïque; tout est livré aux terrassiers. Entre la gare et Sainte-
Marie Majeure, les nivellements ont révélé des dépenses qui pèseront sur l’entreprise des quar-
tiers neufs : pour rencontrer, après tant de civilisations, un terrain résistant, il faut enlever
jusqu’à vingt-deux mètres de décombres. Les creusages sont poussés si avant, qu’au-dessous
du stratum romain apparaît le sol pré-historique avec ses poteries primitives, avec les flèches,
les celts, les haches en silex des tribus sauvages. Entre XAgger de Servius et les abords du
Latran, de pareilles fouilles n’avaient pas été entamées depuis Sixte-Quint qui a commencé les
quartiers tirés au cordeau, continués aujourd’hui. La Ville, qui a conféré le privilège des cons-
tructions à une compagnie obligée de les terminer en six ans, soumet les tracés au contrôle
d’une commission archéologique investie du pouvoir de les modifier quand ils risquent de causer
la destruction d’un monument d’art. Ce comité a pour secrétaire un aimable érudit, M. l’ingé-
nieur Ridolfo Lanciani ; c’est avec l’assistance d’un aussi bon guide que j’ai exploré ces travaux.
Devant la basilique des Neiges, au pied de laquelle ont été enlevés dix-sept mètres de terrain,
vient d’être révélé un palais impérial du second siècle, remplacé au dixième par une résidence
pontificale que Bacio Pintelli a restaurée : les substructions étaient l’une sur l’autre. Une belle
statue grecque a été exhumée là ; ils l’ont baptisée la Fortune. De l’autre côté de l’église, on a pu
réunir les membres brisés d’un Hercule ; sur la place Sainte-Marie, se trouve l’admirable porte
pisane du couvent de Sant’-Antonio : le niveau ayant été baissé de quinze mètres, elle sera dé-
molie avec précaution, et reconstruite. Derrière la basilique ont été exhumés les thermes de
Cerealis, dénommés par une inscription; c’est un peu plus loin qu’a été découvert Y Athlète, ou-
vrage grec d’une belle époque. — Près de Saint-Eusèbe, une maison antique, revêtue de mar-
bres et de peintures, sera conservée, ainsi qu’une autre, via Merulana : celle-ci, contemporaine
d’Auguste, a été décorée richement. Elle est appuyée au mur de Servius, bâtie en opus réticulé
et présente à l’étage supérieur une salle en rotonde avec des niches où sont peints des paysages,
des fleurs, des palmiers et autres arbres, comme les produit la nature, sans mélange d’arabes-
ques ni d’ornementation : les restes d’une villa de Livie, à Prima-Porta, offraient seuls un exemple
de ce procédé. Les soubassements sont couronnés d’un bandeau sur lequel, parmi des figurines
grecques, courent des quadrupèdes et voltigent des oiseaux. A l’étage inférieur la rencontre de
plusieurs gradins indique que cette salle était le petit théâtre d’une riche habitation.
Pour conserveries Trophées de Marius, on en fera le centre d’une grande place où se pro-
fileront quelques fragments d’aqueducs ; autour de la Minerve-Medica seront groupées dans un
jardin les autres ruines de cette région. Vers Saint-Jean de Latran, la municipalité a assumé
l’entreprise du quartier neuf : elle construit les cloaques et les conduites ; elle dessine les tracés
sur le terrain, qui sera vendu par lots. Les conseillers que j’ai vus craignent d’être allés un peu
vile... Dans cette section, via di Santa-Croce, viennent d’être effondrées deux cavernes mithria-
ques : les bas-reliefs, dont l’un représente l’épreuve par le feu, sont au musée Capitolin. Telle
est l’abondance des trésors livrés par la terre, qu’il a fallu établir dans une petite église aban-