Musées Royaux des Arts Décoratifs et Industriels <Brüssel> [Hrsg.]: Bulletin des Musées Royaux des Arts Décoratifs et Industriels (1908)

2® SÉRIE. i» ANNÉE

PARAISSANT TOUS LES MOIS

N° 3. MARS 1908

BULLETIN

DES MUSEES ROYAUX

DES ARTS DÉCORATIFS ET INDUSTRIELS

(Antiquités, Industries d’Art, Art monumental et décoratif. Armes et Armures, Ethnographie)

A BRUXELLES

Ce Bulletin sert d'organe à la Société des Amis des Musées royaux de l’État, à Bruxelles.

Il est distribué gratuitement aux Membres de la Société.

ABONNEMENTS :

Pour la Belgique . . 5 francs. — Pour l’Étranger . . é fr. 50 — Le numéro . . 50 centimes.

TÊTE DE MARBRE DU IVe SIÈCLE
OFFERTE PAR LES « AMIS DES MU-
SÉES ROYAUX ».

LA fondation récente de la Société des « Amis
des Musées royaux » a eu déjà pour nous les
plus heureuses conséquences. Ces amis ont pu
acquérir et nous offrir un morceau antique d’un
haut intérêt artistique et archéologiquè, qui con-
stitue un précieux enrichissement de notre col-
lection de sculptures.

C’est une tête de marbre, provenant de Carie, qui
se trouvait depuis plusieurs années en possession
d’un amateur parisien. Un reste de manteau,
qu’on remarque dans la nuque, prouve que cette
tête, dont le cou est biisé, appartenait à un buste
drapé ou à une statue vêtue.

Nous nous trouvons certainement en présence
d’un portrait — un portrait d’un caractère indivi-
duel très accusé et d’une intensité de vie très
expressive. Un visage émacié aux pommettes
osseuses, à la barbe courte et drue, des yeux lar-
gement ouverts, saillant sur la maigreur des joues
sous des sourcils relevés vers les tempes, un nez
fort, dont la racine fait un angle brusque avec le
front bombé, coupé de rides, composent une phy-
sionomie d’un réalisme saisissant. La chevelure
achève de donner au personnage une physionomie
originale ; formée de petites mèches sinueuses
divergeant du sommet du crâne, elle se termine
par une couronne de boucles, qui s’étagent artiste-
ment sur le front, contournent les oreilles, profon-
dément creusées, et descendent jusque sur la
nuque.

»

Je ne saurais citer aucune œuvre semblable; on
reconnaît cependant dans cette tête la technique
de l’école de sculpture qui florissait en Asie
Mineure sous l’Empire, et dont un des caractères
distinctifs est d’appliquer à la statuaire en marbre
les procédés du bronzier qui retouche au burin
l’épreuve sortie du moule.

Déjà sous Hadrien (117-138), des artistes
d’Aphrodisias en Carie, Aristéas et Papias, s’effor-
cent dans les Centaures du Musée du Capitole de
faire produire à une matière rebelle les effets du
métal L Notre Musée possède deux beaux bustes
découverts à Smyrne et paraissant dater de la
seconde moitié du 11e siècle 2, bustes dont l’exécu-
tion minutieuse, d’une étonnante virtuosité, tient
de l’art du ciseleur plutôt que de celui du sculpteur.
De même, on notera comment l’auteur de notre
tête a buriné les poils des sourcils, marqué d’un
trait mince le bord de la lèvre, creusé la pupille
en forme de croissant et indiqué l’iris par deux
cercles concentriques, gravé d’une pointe acérée
les rides parallèles du front et les plis des paupiè-
res, allégé et évidé au foret les boucles de la che-
velure.

Mais ce souci du détail n’a pas nui ici à l’impres-

1. HelbiG, Führer durch die Sammlungen in Rom,
20 éd., I, p 347 : « Offenbar waren Aristéas und Papias
bemüht den sprôden grauen Marrnor eine der Bronzear-
beit entsprechende Ausführung abzugewinnen, etc.» Sur
l’école d’Aphrodisias, cf. Collignon, Histoire de la sculp-
ture grecque, t. II, p. 677.

2. Leur style offre une étroite ressemblance avec celui
du buste de Commode au Musée du Capitole (Helbig,
iiid., n° 574).