L!i CHARIVARI.
bué à l'explosion de Février que les articles du Natio-
nal et delà Réforme?Sms doute le journal lutte contre
le gouvernement, sans doute il sert aux parlis, mais
sur quoi comptez-vous donc, vous autres, pour opé-
rer la grande révolution du droit national, n'est-ce
pas sur le journalisme? Que faites-vous tous les
jours? du journalisme. Nous signerons nos articles,
nous répondez-vous fièrement; soit, vous les signe-
rez jusqu'au moment où M. Carlier trouvant les
susdits articles aussi anarchiques que vos banquets,
enverra successivement à la Conciergerie les rédac-
teurs de la Gazette, de l'Union, de l'Opinion publi-
que. Alors vous frapperez la terre du pied pour en
faire sortir des écrivains légitimistes.
Quant à cette insupportable tyrannie, à ce pou-
voir occulte que personne n'ose attaquer, nous ren-
voyons M. de Laboulie à ce qui se passe sous ses
yeux, à la loi elle-même qu'il discute, à celles qui
ont été discutées, promulguées, appliquées par les
gouverneraens qui se sont succédé en France depuis
cinquante ans. Qu'il se rappelle l'arbitraire de la
Convention, l'arbitraire du directoire, l'arbitraire
de Bonaparte, l'arbitraire de Napoléon, l'arbitraire
de Carlier. Le journalisme a résisté, le journalisme
n'est pas mort! Applaudissez donc vous qui avez
une croyance , vous voyez bien qu'on ne tue pas
l'idée, que les principes ne meurent pas !
C'est l'honneur de toute votre vie, dites-vous, d'a-
voir été envoyé par soixante mille voix à l'assem-
blée législative. Ne l'auriez-vous pas oublié le jour
où vous avez voté la loi contre le suffrage universel?
Malgré votre talent, afïinr.eriez-vous que vous êtes
connu des soixante mille électeurs qui vous ont
choisi?Comptez dans votre conscience le nombre des
voix données au Courrier de Marseille, à la Gazette
du Midi, au Nouvelliste, à tous les journaux de vo-
tre département qui vous ont porté sur leurs listes.
«Les soldats c'est nous, avez-vousajouté,la barri-
cade c'est le journal. Nous nous avançons à visage
découvert, on nous frappe, derrière un mur.» Venez
avec nous compter les morts derrière les barricades
du journalisme, nous prendrons l'histoire à un an
de date seulement, la Réforme, le Peuple, la Dé-
mocratie pacifique, la Révolution démocratique et
sociale, la Vraie République ; regardez leurs bles-
sures, n'ont-elles pas toutes été reçues par devant ?
Oh ne se cachait pas pour tirer sur vous. Où sont
les chefs, où sont les soldats de ces barricades sans
péril ? à Doullens, à Sainte-Pélagie, errans en Suisse
ou en Angleterre. Ne parlait-on pas, hier encore,
de leur infliger la peine de mort de la déporta-
tion?
Que le journal sr régénère, nous le souhaitons,
et nous nous occuperons une autre fois peut-être des
moyens d'arriver à cette régénération, nous voulons
dire seulement que la liberté de la presse et le journal
sont plus solidaires que ne le croient M. de Laboulie
et ceux de nos amis qui ont voté avec lui. Ils ne
tarderont pas à s'en apercevoir. Les fantaisistes
l'ont emporté ; c'est si vite dit : le vieux journalisme !
En définitive, ce vieux journalisme a rempli sa mis-
sion avec conscience, dignité et non sans éclat pour
le pays. Nous parlons sans acception de parti ; ce
n'est point dans les académies, à la tribune, au mi-
nistère, dans l'administration, sur les bancs des as-
semblées délibérantes qu'il faut chercher les vrais
titres de noblesse du journalisme. Us sont inscrits
sur les tables de proscription de tous les mauvais
gouvernemens.
Vous voulez rajeunir le vieil Eson, à la bonne
heure ; mais prenez garde, si votre tentative réus-
sit, qu'elle ne brise les plumes honnêtes, modestes,
convaincues, au profit des sycophantes, des fous et
des brouillons. Erostrate et Catilina signeront tou-
jours leurs articles. Quant à Tartufe, il a trouvé
déjà un système de signature de paille, c'est ce bon
Laurent qui signera pour lui.
t. d.
THÉÂTRE DE LA RÉPUBLIQUE.
h'Épreuve nouvelle. — Mlle Luther.
Des débuts ont lieu en ce moment au théâtre de la
République. La procession annuelle des Achilles et
des Iphigénies va commencer. On a entendu M.
Ballande et Mlle Siona-Lévy. M. Ballande était déjà
professeur de déclamation, Mlle Siona-Lévy vise à
le devenir. Elle pourra réussir un jour et montrer
dans les pensionnats comment on interprète le récit
de Théramène.
Pour compenser la monotonie des débuts on an-
nonce quelques reprises. Nous avons eu déjà celle de
l'Épreuve nouvelle. Les amateurs de parallèles pour-
ront en établir un entre Marivaux et M. Alfred de
Musset, entre les comédies de l'un et les proverbes
de l'autre. On dit que ces deux esprits se ressem-
blent (je soutiens que ce n'est pas vrai) et qu'entre
eux il n'y a guère que la différence de la mode et
du temps, je serais tenté de le croire, et peut-être
de le prouver, mais ce n'est point de cela qu'il
s'agit.
Chose plus importante que tous les parallèles du
monde, il est question d'apprendre, non pas au pu-
blic, non pas aux auteurs qui le savent depuis long-
temps, mais à M. Arsène Houssaye qui ne parais-
sait guère s'en douter jusqu'ici, qu'il y a dans la
troupe de la rue Richelieu une comédienne assez
jeune, assez jolie, assez fine, assez spirituelle, assez
naturelle et assez étudiée, à la fois assez naïve et
assez expérimentée, ayant assez d'abandon et d'art
pour faire une ingénuité véritable. C'est là un em-
ploi des plus difficiles à tenir de l'aveu des ama-
teurs et des journalistes, du feuilleton et du foyer.
Mlle Luther a joué le rôle de /'Epreuve nouvelle
avec une supériorité qui ta place au premier rang
des comédiennes.
M. Arsène Houssaye sera charmé plus tard d'a-
voir appelé son attention sur cette jeune artiste,
Qu'on lui donne des rôles, qu'on lui laisse du moins
ceux qu'elle a et qu'on la fasse jouer souvent. Le
théâtre de la République n'en sera pas fâché un
jOUr. taxile delord.
L'auteur avait mis ennti ; j'ai cru devoir rempla-
cer ce mot par celui de monotonie qui m'a semblé
moins fort. L'imprimeur du Charivari,,
lange-levy.
La parenthèse (Je soutiens que ce n'est pas vrai)
est de moi. Elle me parait représenter l'opinion de
la majorité des lecteurs.
Le rédacteur en chef, louis huart.
Je réclame la paternité des trois dernières lignes
du troisième paragraphe. Je les ai intercalées dans
l'article de mon collaborateur T. Delord qui, selon
moi, n'a pas suffisamment rendu justice au talent de
Mlle Luther.
clément caraguel.
Nous saura gré n'était pas une locution suffisam-
ment colorée; je préfère sera charmé. C'est plus
Rubens. daumier.
, et qu'on la fasse jouer souvent. Comme habitué
du Théâtre-Français, je demande que mon souhait,
qui est celui de tous les habitués, soit inséré dans
l'article. chajm.
Le caissier du Charivari et le porteur en chef du
journal n'ayant fait que quelques objections peu sé-
rieuses, nous ne croyons pas devoir les mentionner,
la loi n'obligeant à donner que le nom des auteurs
nous n'imprimons pas ceux des gens qui ont fait des
observations purement littéraires, dramatiques ou
financières.
LES GLOBES DE CRISTAL.
M. Bineau se lasse de s'entendre donner le non;
de sauvage. La gloire du macadam ne lui suffit
plus, il veut non seulement se conquérir la renom-
mée d'Erostrate, mais encore devenir célèbre, com.
me Léon X, par les grandes œuvres d'art dont il
dotera la France.
En effet,si tous les monumens qu'il fera successive-
ment élever pendant son passage au ministère des
travaux publics ressemblent à ceux qui, d'après son
ordre, embellissent le jardin des Tuileries, M. Bi-
neau pourra se vanter d'être sans aucune espèce de
rival possible en matière de goût et de monumens
publics.
C'est dans les deux parterres les plus rapprochés
du château que le Colbert moderne a fait construire
l'œuvre qui doit stupéfier sinon d'admiration du
moins de surprise toute la population parisienne.
La place est bien choisie, on le voit, et M. Bineau
ne recule ni devant les difficultés ni devant la com-
paraison ; c'est en face du Spartacus, non loin des
lions de Barye et entre les deux joueurs de flûte que
le ministre a placé la chose.
Figurez-vous deux colonnettes en pierre détaille...
et dès le premier mot de ma description je m'ar-
rête tout court pour vous faire observer que jus-
qu'à présent on avait fait construire en marbre les
colonnes des édifices publics ; mais M. Bineau se
pique de ne rien faire comme personne, et il a pré-
féré le moellon au marbre.
Or, que supposez-vous que l'illustre ministre ait
fait placer sur les deux colonnettes de pierre ? Une
statue, un buste, un trophée, un réverbère?
Pour qui prenez-vous donc M. Bineau?
M. Bineau a fait mettre sur les colonnettes deux
magnifiques boules de verre, taillées plus ou moins
à facettes et qui donnent au Parisien amené aux
Tuileries par sa bonne étoile le plaisir de voir dans
ces étranges miroirs convexes se reproduire son
image.
Mais cette image se présente à l'œil étonné des
curieux décent façons plus fantastiques les unes
que les autres, et à l'instar du phénomène qui se
produit sur le fond d'un chaudron de cuivre bien
frotté.
C'est-à-dire qu'on y jouit d'un nez d'un pied de
long, qu'on voit son front se déprimer à croirequ'on
n'en a plus, et mille autres merveilles agréables et
du même goût qui font se tordre, à force de rire, les
militaires non gradés et les bonnes d'enfans.
Tous les jours, de trois à quatre heures, M. le mi-
nistre des travaux publics, comme feu Aaroun-al-
Raschid, se promène sous le déguisement d'un sim-
ple bourgeois, pour recueillir incognito les témoi-
gnages de l'admiration et de la reconnaissance pu-
bliques. Quand il n'y a point foule autour des fa-
meuses boules de verre, il crie avec une fausse naï-
veté à sa femme : « Ah ! ah ! mon épouse, as-tu vu
les globes merveilleux, uniques et sans pareils, in-
ventés par le célèbre Bineau ? Si tn ne les a pas vus,
viens les voir ; si tu les as vus déjà, viens les re-
voir. »
Ces ingénieuses et naïves exclamations manquent
rarement d'attirer quelques flâneurs vers les fameu-
ses boules, alors M. Bineau ne se sent point de joie.
bué à l'explosion de Février que les articles du Natio-
nal et delà Réforme?Sms doute le journal lutte contre
le gouvernement, sans doute il sert aux parlis, mais
sur quoi comptez-vous donc, vous autres, pour opé-
rer la grande révolution du droit national, n'est-ce
pas sur le journalisme? Que faites-vous tous les
jours? du journalisme. Nous signerons nos articles,
nous répondez-vous fièrement; soit, vous les signe-
rez jusqu'au moment où M. Carlier trouvant les
susdits articles aussi anarchiques que vos banquets,
enverra successivement à la Conciergerie les rédac-
teurs de la Gazette, de l'Union, de l'Opinion publi-
que. Alors vous frapperez la terre du pied pour en
faire sortir des écrivains légitimistes.
Quant à cette insupportable tyrannie, à ce pou-
voir occulte que personne n'ose attaquer, nous ren-
voyons M. de Laboulie à ce qui se passe sous ses
yeux, à la loi elle-même qu'il discute, à celles qui
ont été discutées, promulguées, appliquées par les
gouverneraens qui se sont succédé en France depuis
cinquante ans. Qu'il se rappelle l'arbitraire de la
Convention, l'arbitraire du directoire, l'arbitraire
de Bonaparte, l'arbitraire de Napoléon, l'arbitraire
de Carlier. Le journalisme a résisté, le journalisme
n'est pas mort! Applaudissez donc vous qui avez
une croyance , vous voyez bien qu'on ne tue pas
l'idée, que les principes ne meurent pas !
C'est l'honneur de toute votre vie, dites-vous, d'a-
voir été envoyé par soixante mille voix à l'assem-
blée législative. Ne l'auriez-vous pas oublié le jour
où vous avez voté la loi contre le suffrage universel?
Malgré votre talent, afïinr.eriez-vous que vous êtes
connu des soixante mille électeurs qui vous ont
choisi?Comptez dans votre conscience le nombre des
voix données au Courrier de Marseille, à la Gazette
du Midi, au Nouvelliste, à tous les journaux de vo-
tre département qui vous ont porté sur leurs listes.
«Les soldats c'est nous, avez-vousajouté,la barri-
cade c'est le journal. Nous nous avançons à visage
découvert, on nous frappe, derrière un mur.» Venez
avec nous compter les morts derrière les barricades
du journalisme, nous prendrons l'histoire à un an
de date seulement, la Réforme, le Peuple, la Dé-
mocratie pacifique, la Révolution démocratique et
sociale, la Vraie République ; regardez leurs bles-
sures, n'ont-elles pas toutes été reçues par devant ?
Oh ne se cachait pas pour tirer sur vous. Où sont
les chefs, où sont les soldats de ces barricades sans
péril ? à Doullens, à Sainte-Pélagie, errans en Suisse
ou en Angleterre. Ne parlait-on pas, hier encore,
de leur infliger la peine de mort de la déporta-
tion?
Que le journal sr régénère, nous le souhaitons,
et nous nous occuperons une autre fois peut-être des
moyens d'arriver à cette régénération, nous voulons
dire seulement que la liberté de la presse et le journal
sont plus solidaires que ne le croient M. de Laboulie
et ceux de nos amis qui ont voté avec lui. Ils ne
tarderont pas à s'en apercevoir. Les fantaisistes
l'ont emporté ; c'est si vite dit : le vieux journalisme !
En définitive, ce vieux journalisme a rempli sa mis-
sion avec conscience, dignité et non sans éclat pour
le pays. Nous parlons sans acception de parti ; ce
n'est point dans les académies, à la tribune, au mi-
nistère, dans l'administration, sur les bancs des as-
semblées délibérantes qu'il faut chercher les vrais
titres de noblesse du journalisme. Us sont inscrits
sur les tables de proscription de tous les mauvais
gouvernemens.
Vous voulez rajeunir le vieil Eson, à la bonne
heure ; mais prenez garde, si votre tentative réus-
sit, qu'elle ne brise les plumes honnêtes, modestes,
convaincues, au profit des sycophantes, des fous et
des brouillons. Erostrate et Catilina signeront tou-
jours leurs articles. Quant à Tartufe, il a trouvé
déjà un système de signature de paille, c'est ce bon
Laurent qui signera pour lui.
t. d.
THÉÂTRE DE LA RÉPUBLIQUE.
h'Épreuve nouvelle. — Mlle Luther.
Des débuts ont lieu en ce moment au théâtre de la
République. La procession annuelle des Achilles et
des Iphigénies va commencer. On a entendu M.
Ballande et Mlle Siona-Lévy. M. Ballande était déjà
professeur de déclamation, Mlle Siona-Lévy vise à
le devenir. Elle pourra réussir un jour et montrer
dans les pensionnats comment on interprète le récit
de Théramène.
Pour compenser la monotonie des débuts on an-
nonce quelques reprises. Nous avons eu déjà celle de
l'Épreuve nouvelle. Les amateurs de parallèles pour-
ront en établir un entre Marivaux et M. Alfred de
Musset, entre les comédies de l'un et les proverbes
de l'autre. On dit que ces deux esprits se ressem-
blent (je soutiens que ce n'est pas vrai) et qu'entre
eux il n'y a guère que la différence de la mode et
du temps, je serais tenté de le croire, et peut-être
de le prouver, mais ce n'est point de cela qu'il
s'agit.
Chose plus importante que tous les parallèles du
monde, il est question d'apprendre, non pas au pu-
blic, non pas aux auteurs qui le savent depuis long-
temps, mais à M. Arsène Houssaye qui ne parais-
sait guère s'en douter jusqu'ici, qu'il y a dans la
troupe de la rue Richelieu une comédienne assez
jeune, assez jolie, assez fine, assez spirituelle, assez
naturelle et assez étudiée, à la fois assez naïve et
assez expérimentée, ayant assez d'abandon et d'art
pour faire une ingénuité véritable. C'est là un em-
ploi des plus difficiles à tenir de l'aveu des ama-
teurs et des journalistes, du feuilleton et du foyer.
Mlle Luther a joué le rôle de /'Epreuve nouvelle
avec une supériorité qui ta place au premier rang
des comédiennes.
M. Arsène Houssaye sera charmé plus tard d'a-
voir appelé son attention sur cette jeune artiste,
Qu'on lui donne des rôles, qu'on lui laisse du moins
ceux qu'elle a et qu'on la fasse jouer souvent. Le
théâtre de la République n'en sera pas fâché un
jOUr. taxile delord.
L'auteur avait mis ennti ; j'ai cru devoir rempla-
cer ce mot par celui de monotonie qui m'a semblé
moins fort. L'imprimeur du Charivari,,
lange-levy.
La parenthèse (Je soutiens que ce n'est pas vrai)
est de moi. Elle me parait représenter l'opinion de
la majorité des lecteurs.
Le rédacteur en chef, louis huart.
Je réclame la paternité des trois dernières lignes
du troisième paragraphe. Je les ai intercalées dans
l'article de mon collaborateur T. Delord qui, selon
moi, n'a pas suffisamment rendu justice au talent de
Mlle Luther.
clément caraguel.
Nous saura gré n'était pas une locution suffisam-
ment colorée; je préfère sera charmé. C'est plus
Rubens. daumier.
, et qu'on la fasse jouer souvent. Comme habitué
du Théâtre-Français, je demande que mon souhait,
qui est celui de tous les habitués, soit inséré dans
l'article. chajm.
Le caissier du Charivari et le porteur en chef du
journal n'ayant fait que quelques objections peu sé-
rieuses, nous ne croyons pas devoir les mentionner,
la loi n'obligeant à donner que le nom des auteurs
nous n'imprimons pas ceux des gens qui ont fait des
observations purement littéraires, dramatiques ou
financières.
LES GLOBES DE CRISTAL.
M. Bineau se lasse de s'entendre donner le non;
de sauvage. La gloire du macadam ne lui suffit
plus, il veut non seulement se conquérir la renom-
mée d'Erostrate, mais encore devenir célèbre, com.
me Léon X, par les grandes œuvres d'art dont il
dotera la France.
En effet,si tous les monumens qu'il fera successive-
ment élever pendant son passage au ministère des
travaux publics ressemblent à ceux qui, d'après son
ordre, embellissent le jardin des Tuileries, M. Bi-
neau pourra se vanter d'être sans aucune espèce de
rival possible en matière de goût et de monumens
publics.
C'est dans les deux parterres les plus rapprochés
du château que le Colbert moderne a fait construire
l'œuvre qui doit stupéfier sinon d'admiration du
moins de surprise toute la population parisienne.
La place est bien choisie, on le voit, et M. Bineau
ne recule ni devant les difficultés ni devant la com-
paraison ; c'est en face du Spartacus, non loin des
lions de Barye et entre les deux joueurs de flûte que
le ministre a placé la chose.
Figurez-vous deux colonnettes en pierre détaille...
et dès le premier mot de ma description je m'ar-
rête tout court pour vous faire observer que jus-
qu'à présent on avait fait construire en marbre les
colonnes des édifices publics ; mais M. Bineau se
pique de ne rien faire comme personne, et il a pré-
féré le moellon au marbre.
Or, que supposez-vous que l'illustre ministre ait
fait placer sur les deux colonnettes de pierre ? Une
statue, un buste, un trophée, un réverbère?
Pour qui prenez-vous donc M. Bineau?
M. Bineau a fait mettre sur les colonnettes deux
magnifiques boules de verre, taillées plus ou moins
à facettes et qui donnent au Parisien amené aux
Tuileries par sa bonne étoile le plaisir de voir dans
ces étranges miroirs convexes se reproduire son
image.
Mais cette image se présente à l'œil étonné des
curieux décent façons plus fantastiques les unes
que les autres, et à l'instar du phénomène qui se
produit sur le fond d'un chaudron de cuivre bien
frotté.
C'est-à-dire qu'on y jouit d'un nez d'un pied de
long, qu'on voit son front se déprimer à croirequ'on
n'en a plus, et mille autres merveilles agréables et
du même goût qui font se tordre, à force de rire, les
militaires non gradés et les bonnes d'enfans.
Tous les jours, de trois à quatre heures, M. le mi-
nistre des travaux publics, comme feu Aaroun-al-
Raschid, se promène sous le déguisement d'un sim-
ple bourgeois, pour recueillir incognito les témoi-
gnages de l'admiration et de la reconnaissance pu-
bliques. Quand il n'y a point foule autour des fa-
meuses boules de verre, il crie avec une fausse naï-
veté à sa femme : « Ah ! ah ! mon épouse, as-tu vu
les globes merveilleux, uniques et sans pareils, in-
ventés par le célèbre Bineau ? Si tn ne les a pas vus,
viens les voir ; si tu les as vus déjà, viens les re-
voir. »
Ces ingénieuses et naïves exclamations manquent
rarement d'attirer quelques flâneurs vers les fameu-
ses boules, alors M. Bineau ne se sent point de joie.