LE CHARIVARI.
UN GRAND DANGER CONJURÉ.
La revue drolatique du mois publiée par ciiam, sous le
lilre de punch a paris, vient de. faire paraître sou sixième
et, BtRMtR numéro. — Cette putmcaliun légère a été écra-
sée par l'application du timbre. — Du reste, sir Punch est
mort comme il ava;t vécu, le sourire ourles lèvres.
Cette dernière livraison est mooreplus amusante que toutes
les précédentes, elle est illustiée d'une foule de caricatures,
et jamais cham ne s'était montré moins mélancolique.
Nous empruntons à cette dernière livraison du Punch l'ar-
ticle suivant :
— Eh bien, monsieur, m'a dit l'autre jour ma
portière, c'en est fait, il n'existe plus, ils l'ont tué.
— Qui donc?
■—Le roman-feuilleton. On dit même que MM.
Alexandre Dumas et Auguste Marjuet sont en fuite,
que l'assemblée a fait un coup d'Etat contre eux, et
qu'on les cherche pour les transporter à Nouka-
Hiva.
J'eus beaucoup de peine à calmer l'émotion de
ma portière.
Mais la loi n'en a pas moins eu son effet ; c'est
inoui le nombre d'ennemis qu'elle a faits au gou-
vernement
Dans les loges de portier,
Dans les magasins de modes,
Dans les ateliers de lingères,
Parlout enfin où se trouvent des cœurs et des fem-
mes sensibles. Un revirement prodigieux s'est opé-
ré parmi les habitantes du quartier Notre-Dame-
de-Lorette. Si on leur accordait le droit de suffrage,
M. Ledru-Rollin aurait des chances d'être nommé
par ces dames.
Voilà où conduisent d'imprudentes rigueurs.
Le roman-feuilleton n'est pas en effet une puis-
sance à laquelle on puisse s'attaquer impunément.
Le roman-feuilleton est entré dans nos' mœurs, il
fait partie des habitudes domestiques du peuple
français.
On ne le déracinera pas plus qu'on n'a déraciné
La contredanse,
Le calembour,
Le rébus,
La charade,
Le parapluie.
Dites-moi un peu à quoi ont abouti les tentatives
révolutionnaires de ces novateurs qui ont essayé de
remplacer le parapluie par le paletot en caoutchouc.
Et ce que je dis de la contredanse, du calembour,
du rébus, delà charade et du parapluie s'applique é-
galement
Au logogriphe,
A l'acrostiche,
Au bout-rimé,
A la tragédie.
Je suppose que l'assemblée nationale ne trouve
pas la société, la famille, la propriété, la religion
suffisamment protégées contre les dangers du logo-
griphe, de l'acrostiche, du bout-rimé, de la tragédie,
et qu'elle veuille les soumettre au timbre ?
Aussitôt des protestations s'élèveront de tous les
coins de la France, il se formera des sociétés secrè-
tes pour fabriquer des acrostiches fulminans, des
bombes-logogriphes, de la tragédie-coton, et, à un
moment donné, ces sociétés secrètes se joindront
aux éternels ennemis de l'ordre, et renverseront le
gouvernement.
La cessation du roman-feuilleton amènerait iné-
vitablement, et au bout de fort peu de temps, le mê-
me résultat.
Vous figurez-vous la chambre des communes en
Angleterre voulant interdire l'usage du thé et met-
tant un timbre de cinq centimes sur chaque tasse
de thé !
On se soumet d'abord, parce que le peuple an-
glais aime à respecter la loi, mais il respecte égale-
ment le thé. On ne renonce pas facilement aux ha-
bitudes de toute sa vie. On murmure contre la
chambre des communes, on se réunit, on pétitionne,
et, aux prochaines élections, aucun des députés qui
ont voté le timbre des tasses n'est réélu.
En France, où on n'a pas le droit de réunion, le
mécontentement, l'irritation dans lesquels la priva-
tion de son feuilleton quotidien jettera le peuple
pourrait se traduire par des faits plus graves.
Il me serait facile de prouver que le roman-feuil-
leton est au peuple français ce que le thé est à l'ha-
bitant de l'Angleterre.
Le Français prend du roman-feuilleton jusqu'à
quatre fois par jour. Le matin, à midi, à quatre heu-
res, dans la soirée.
Privé de cette décoction, il se rejettera évidem-
ment dans les alcools anarchiques et dans les spiri-
tueux sociaux.
Voilà à quoi aboutirait bien certainement la nou-
velle loi, si elle atteignait le but qu'elle se propose.
Il n'en est rien heureusement.
Sans recourir à des expédiens qui ont cependant
leur mérite, sans publier, ainsi qu'on l'a proposé,
le roman-feuilleton en variétés, en premier-Paris
ou en annonces, il parait démontré que rien ne sera
changé dans l'arrangement ordinaire des journaux
quotidiens.
Le rez-de-chaussée continuera à être occupé par
le feuilleton,
La première colonne par la tartine,
La troisième page par l'article variétés,
La quatrième page par l'annonce.
Les journaux subiront le timbre du roman sans
augmenter pour cela leur abonnement. Cette fois
c'est la Providence qui a inspiré le génie financitl-
des propriétaires de journaux. Leur combinaison
sauvera la France.
Il est urgent de répandre cette nouvelle pour cal-
mer l'effervescence des grisettes, des modistes, des
lingères et des portières.
Je me suis empressé de la porter à la connais-
sance de la créature intéressante que la Providence
a commise au soin de me tirer le cordon,
De faire mon ménage,
De cirer mes bottes,
De décacheter mes lettres et mes journaux.
J'ai cru également devoir k rassurer sur le sort
de MM. Alexandre Dumas et Auguste Maquet.
Toutes les loges de mon quartier sont dans la ju-
bilation,, il est question d'une illumination générale
pour demain.
Une loge seule dans tout l'arrondissement fait
exception à la joie commune, celle du numéro 17.
On ne s'en étonnera pas quand on saura par qui
elle est occupée.
La loge que je viens de désigner est occupée de-
puis quelque temps par les époux Pipelet.
DÉPLORABLE SUSPENSION DE L'INFORTUNÉ SIR PUNCH !
THEATRE DU VAUDEVILLE.
Reprise du Chevalier de Saint-Georges, vaudeville
entrais actes, de MM. Mèlesville et Roger de
Beauvoir.
Le théâtre du Vaudeville vient d'avoir la preuve
qu'il peut obtenir un très grand succès sans pièces
politiques.—Puisse cette heureuse leçon lui p> -
fiter!
Et notez que les recettes que fait en ce mom
théâtre de la place de la Bourse il les doit, non pas
à une pièce nouvelle, mais à une simple reprise d'un
vaudeville joué cent fois naguère au théâtre des
Variétés.
Il est vrai que le Chevalier de Saint-Georges est
de ces charmantes pièces qui ont le rare privilège
de ne pas vieillir.
Il faut être juste et reconnaître que le resuccès de
ce vaudeville n'est pas dû seulement à l'esprit des
auteurs : Félix et Mme Paul-Ernest se sont montrés
UN GRAND DANGER CONJURÉ.
La revue drolatique du mois publiée par ciiam, sous le
lilre de punch a paris, vient de. faire paraître sou sixième
et, BtRMtR numéro. — Cette putmcaliun légère a été écra-
sée par l'application du timbre. — Du reste, sir Punch est
mort comme il ava;t vécu, le sourire ourles lèvres.
Cette dernière livraison est mooreplus amusante que toutes
les précédentes, elle est illustiée d'une foule de caricatures,
et jamais cham ne s'était montré moins mélancolique.
Nous empruntons à cette dernière livraison du Punch l'ar-
ticle suivant :
— Eh bien, monsieur, m'a dit l'autre jour ma
portière, c'en est fait, il n'existe plus, ils l'ont tué.
— Qui donc?
■—Le roman-feuilleton. On dit même que MM.
Alexandre Dumas et Auguste Marjuet sont en fuite,
que l'assemblée a fait un coup d'Etat contre eux, et
qu'on les cherche pour les transporter à Nouka-
Hiva.
J'eus beaucoup de peine à calmer l'émotion de
ma portière.
Mais la loi n'en a pas moins eu son effet ; c'est
inoui le nombre d'ennemis qu'elle a faits au gou-
vernement
Dans les loges de portier,
Dans les magasins de modes,
Dans les ateliers de lingères,
Parlout enfin où se trouvent des cœurs et des fem-
mes sensibles. Un revirement prodigieux s'est opé-
ré parmi les habitantes du quartier Notre-Dame-
de-Lorette. Si on leur accordait le droit de suffrage,
M. Ledru-Rollin aurait des chances d'être nommé
par ces dames.
Voilà où conduisent d'imprudentes rigueurs.
Le roman-feuilleton n'est pas en effet une puis-
sance à laquelle on puisse s'attaquer impunément.
Le roman-feuilleton est entré dans nos' mœurs, il
fait partie des habitudes domestiques du peuple
français.
On ne le déracinera pas plus qu'on n'a déraciné
La contredanse,
Le calembour,
Le rébus,
La charade,
Le parapluie.
Dites-moi un peu à quoi ont abouti les tentatives
révolutionnaires de ces novateurs qui ont essayé de
remplacer le parapluie par le paletot en caoutchouc.
Et ce que je dis de la contredanse, du calembour,
du rébus, delà charade et du parapluie s'applique é-
galement
Au logogriphe,
A l'acrostiche,
Au bout-rimé,
A la tragédie.
Je suppose que l'assemblée nationale ne trouve
pas la société, la famille, la propriété, la religion
suffisamment protégées contre les dangers du logo-
griphe, de l'acrostiche, du bout-rimé, de la tragédie,
et qu'elle veuille les soumettre au timbre ?
Aussitôt des protestations s'élèveront de tous les
coins de la France, il se formera des sociétés secrè-
tes pour fabriquer des acrostiches fulminans, des
bombes-logogriphes, de la tragédie-coton, et, à un
moment donné, ces sociétés secrètes se joindront
aux éternels ennemis de l'ordre, et renverseront le
gouvernement.
La cessation du roman-feuilleton amènerait iné-
vitablement, et au bout de fort peu de temps, le mê-
me résultat.
Vous figurez-vous la chambre des communes en
Angleterre voulant interdire l'usage du thé et met-
tant un timbre de cinq centimes sur chaque tasse
de thé !
On se soumet d'abord, parce que le peuple an-
glais aime à respecter la loi, mais il respecte égale-
ment le thé. On ne renonce pas facilement aux ha-
bitudes de toute sa vie. On murmure contre la
chambre des communes, on se réunit, on pétitionne,
et, aux prochaines élections, aucun des députés qui
ont voté le timbre des tasses n'est réélu.
En France, où on n'a pas le droit de réunion, le
mécontentement, l'irritation dans lesquels la priva-
tion de son feuilleton quotidien jettera le peuple
pourrait se traduire par des faits plus graves.
Il me serait facile de prouver que le roman-feuil-
leton est au peuple français ce que le thé est à l'ha-
bitant de l'Angleterre.
Le Français prend du roman-feuilleton jusqu'à
quatre fois par jour. Le matin, à midi, à quatre heu-
res, dans la soirée.
Privé de cette décoction, il se rejettera évidem-
ment dans les alcools anarchiques et dans les spiri-
tueux sociaux.
Voilà à quoi aboutirait bien certainement la nou-
velle loi, si elle atteignait le but qu'elle se propose.
Il n'en est rien heureusement.
Sans recourir à des expédiens qui ont cependant
leur mérite, sans publier, ainsi qu'on l'a proposé,
le roman-feuilleton en variétés, en premier-Paris
ou en annonces, il parait démontré que rien ne sera
changé dans l'arrangement ordinaire des journaux
quotidiens.
Le rez-de-chaussée continuera à être occupé par
le feuilleton,
La première colonne par la tartine,
La troisième page par l'article variétés,
La quatrième page par l'annonce.
Les journaux subiront le timbre du roman sans
augmenter pour cela leur abonnement. Cette fois
c'est la Providence qui a inspiré le génie financitl-
des propriétaires de journaux. Leur combinaison
sauvera la France.
Il est urgent de répandre cette nouvelle pour cal-
mer l'effervescence des grisettes, des modistes, des
lingères et des portières.
Je me suis empressé de la porter à la connais-
sance de la créature intéressante que la Providence
a commise au soin de me tirer le cordon,
De faire mon ménage,
De cirer mes bottes,
De décacheter mes lettres et mes journaux.
J'ai cru également devoir k rassurer sur le sort
de MM. Alexandre Dumas et Auguste Maquet.
Toutes les loges de mon quartier sont dans la ju-
bilation,, il est question d'une illumination générale
pour demain.
Une loge seule dans tout l'arrondissement fait
exception à la joie commune, celle du numéro 17.
On ne s'en étonnera pas quand on saura par qui
elle est occupée.
La loge que je viens de désigner est occupée de-
puis quelque temps par les époux Pipelet.
DÉPLORABLE SUSPENSION DE L'INFORTUNÉ SIR PUNCH !
THEATRE DU VAUDEVILLE.
Reprise du Chevalier de Saint-Georges, vaudeville
entrais actes, de MM. Mèlesville et Roger de
Beauvoir.
Le théâtre du Vaudeville vient d'avoir la preuve
qu'il peut obtenir un très grand succès sans pièces
politiques.—Puisse cette heureuse leçon lui p> -
fiter!
Et notez que les recettes que fait en ce mom
théâtre de la place de la Bourse il les doit, non pas
à une pièce nouvelle, mais à une simple reprise d'un
vaudeville joué cent fois naguère au théâtre des
Variétés.
Il est vrai que le Chevalier de Saint-Georges est
de ces charmantes pièces qui ont le rare privilège
de ne pas vieillir.
Il faut être juste et reconnaître que le resuccès de
ce vaudeville n'est pas dû seulement à l'esprit des
auteurs : Félix et Mme Paul-Ernest se sont montrés