LE CHARIVARI
— Comment ! il l’épouserait ?
— N’en doutez pas un seul instant. Ce n’est pas
de fumée d’encens qu’il se nourrit, et toutes les
formes de mariage gouvernemental lui sont indiffé-
rentes pourvu qu’il ait dupositif dans sa patène. Ne
l’avez-vous pas vu lâcher la monarchie légitime
pour l’Empire qui lui a fait le ventre plein ? Tenez
pour certain qu’il abandonnera à leur tour les légi-
timistes ridiculisés et les bonapartistes conspués
pour cette bonne République, quand il sera con-
vaincu que toute résistance de sa part serait préju-
diciable à son formidable appétit.
— Se pourrait-il qu’il abandonnât Rome?
— Au. point que vous l’entendrez crier à pleins
poumons : Vive la République !... et le budget des
cultes ! Et si vous plantez des arbres de la liberté,
il mettra à votre disposition tous ses encensoirs et
tous ses oremus.
— Mais alors ce sera l’harmonie et la paix uni-
verselle.
— Ah ! méfiez-vous des baisers de Sedan !
La somnambule ayant ainsi parlé fut prise d’une
attaque nerveuse, qui obligea son magnétiseur à
l’emporter dans une pièce voisine.
On me rendit le précieux talisman qui lui avait
permis de lire avec tant de lucidité dans l’avenir.
C’était une petite touffe de crins arrachés à un
goupillon de donneur d’eau bénite.
E. Villiers.
NOUVELLES OBSERVATIONS
Entre hommes, c’est comme chez les loups : il ne
faut pas tomber, si l’on ne veut pas être dévoré par
la bande.
ligence; c’est ainsi qu’il ne veut pas juger ceux
qu’il aime.
*
* *
Il faudrait jamais n’avoir rien commis pour n’a»
voir jamais menti.
* *
L’amour-propre trouve si bien son compte dans
le commerce des amoureux, qu’ils ne peuvent, cha-
cun de son côté, s’empêcher de faire aux autres des
confidences.
%
* *
Depuis que j’ai vu des chattes se lécher le poil
des journées entières sans préoccupations amou-
reuses, j’ai compris que les femmes perdent un bon
tiers de leur existence à se parer pour se complaire
à elles-mêmes, sans que nous y soyons pour rien.
Ne faites jamais pleurer ceux qui vous aiment;
ces larmes sont le sang du cœur.
il faut plus de temps pour se délasser de la pa-
resse que du travail.
*
* *
Les femmes sont bien privilégiées de n’être pas
forcées d’avoir de l’esprit; cette permission leur
permet d’avoir du bon sens, ce qui vaut mieux
qu’elles ne pensent.
Je crois trop à l’égalité, quand je regarde en
haut; et trop peu, quand je regarde en bas.
L’amitié perd son nom quand elle dispense des
convenances.
Après le téléphone, le phonographe.
Après le phonographe, l’aérophone.
Simple petit appareil à l’aide duquel la voix humaine
portera à la distance de huit lieues.
Excusez du peu !
Vous représentez-vous un monsieur attaqué par des
voleurs, tirant de sa poche un aérophone portatif,
criant: Am secours! et réveillant tout Paris d’un seul
cri !
Nous avons aussi l’aérographe.
Pourquoi graphe?... Comprends pas.
L’aérographe s’adapte à une locomotive, et, au premier
signal du mécanicien, prononce, d’nne voix formidable,
des cris, des appels qui peuvent être entendus de plu-
sieurs milles.
On prétend que ce signal peut prononcer distincte-
ment différents mots, et laisse ainsi bien loin derrière
lui le vulgaire sifflet d’alarme.
Allons ! on finira par causer du Havre à New-York.
Progrès, tu n’es pas un vain mot !
La peinture est dans le marasme. Du moins au point
de vue commercial.
Il y a une dépréciation de 40 0/0 sur tous les tableaux
qui passent aux enchères.
La vente de Paul Iluet, bien que, relativement, elle
ait réussi, n’a pu échapper à la fatale influence.
N’est-ce pas un peu beaucoup la faute des spécula-
teurs qui avaient agioté sur les toiles comme sur de
simples Honduras?
Un journal annonce qu’on a relégué la petite Bourse
à l’angle de la rue Rossini et de la rue Chauchat:
Tiens 1 tiens 1...
Chauchat... synonyme de chat échaudé.
Pas mal trouvé, le hasard du rapprochement.
Ce brave Léon Guillard, qui vient de mourir, était à
ce point inféodé à la Comédie-Française, qu’il ne pou-
vait vivre cinq minutes loin d’elle.
On jour, un ami le rencontre se promenant devant la
porte de la maison de Molière.
— Que faites-vous ici, Guillard?
— Vous le voyez... j’attends qu’on ait fini de balayer
mon cabinet.
Comment veut-on que les rois de droit divin ne
soutiennent pas une religion divine ? Si les monar-
ques s’avisaient de miner l’autel, les prêtres ven-
draient la mèche.
Ne laissez pas vingt-quatre heures passer sur une
bouderie, elle courrait risque de devenir une sépa-
ration définitive.
* *
Il est bien vrai que les animaux en savent moins
que nous en astronomie, en mathématiques, et le
reste. S’ils en sont plus malheureux, je les plains ,
si nous n’en sommes pas plus heureux, que de pei-
nes pour nous !
*
Le cœur a des délicatesses d’une profonde intel-
Toutes les vertus conjugales n’en peuvent mais,
une femme n’en veut jamais bien profondément à
un homme qui a eu l’impertinence de lui déclarer
qu’il l’aimait tant elle est jolie.
C’est une invention bien habile que la vie future,
pour amener les déshérités du présent à prendre
patience.
Alfred Bougeart.
CHRONIQUE DU JOUR
Où MM. les inventeurs s’arrêteront-ils?
C’est le son qui est, pour le moment, leur champ
d’exploits.
On ne saurait trop féliciter Emile Augier delà libérale
résolution qu’il a prise en livrant sans retard à la pu-
blicité le manuscrit des Fourchambault, et en laissant
tous les directeurs de province libres de monter la
pièce.
Le système adopté par certains auteurs qui se réser-
vent de traiter spécialement et de faire de l’exploitation
personnelle, est la ruine des théâtre départementaux.
Le soleil, avec Augier, luira pour tout le monde.
Bravo !
Paris-Journal rapporte un mot spirituel d’un des in-
vités de notre rédacteur en chef, à sa dernière grande
soirée :
— Curieuse antithèse ! s’écriait-il après un morceau
d’Albani frénétiquement applaudi. Dire que c’est chez
le directeur du Charivari qu’on entend la plus parfaite
musique de Paris !
Le concours hippique des Champs-Elysées obtient
un succès croissant.
LES SEMAINES DE PARIS
CLXV
Du jeudi 11 au jeudi 18 avril.
Il est question d’élever une forte statue de la Répu-
blique sur une de nos places. On n’a pas choisi la place.
Avouez qu’il est bien regrettable que le Sacré-Cœur se
soit emparé des Buttes-Montmartre, où il semble que
cette statue aurait fait le meilleur effet. Mais les cléri-
caux occupent toujours les premiers les bonnes posi-
tions, et nous voilà forcés de voir ailleurs.
Il y a bien la place de la Concorde ; mais que faire de
l’obélisque? Il y a bien la place de l’Opéra, mais on
prendrait la statue pour Terpsichore, et une statue de
la République qui regarderait danser les femmes de
Carpeaux, ce ne serait pas convenable. Il y a bien la
place Vendôme, mais que faire delà colonne ? La place
de niôtel-de-Ville ferait peut-être l’affaire, lorsque
l’Hôtel de Ville sera rebâti. La République devant le
palais du peuple, ce serait tout à fait en situation.
Ce que c’est que de nous 1 Je me prends à discuter la
chose comme si elle me regardait, et comme si je fai-
sais partie du conseil des vieillards qui auront à dé-
cider cette importante question. Tous, tant que nous
sommes, nous nous figurors qu’on nous écoutera, et
nous allons... nous allons...
Ce qui s’est dit de sottises au sujet de cette fameuse
statue, est inénarrable. II y a des gens qui ne peuvent
tolérer qu’on la coiffe du bonnet phrygien. En quoi le
bonnet que portait Esope peut-il contrarier les gens?
N’y a-t-il pas depuis des années, au foyer de la Comé-
die-Française (horribile visu!), un buste de cette même
République, coiffée de ce même bonnet, qui n’a encore
dévoré personne? C’est une chose curieuse que l’impor-
tance que nous attachons tous aux objets matériels.
Un gouvernement, portant un drapeau d’une écla-
tante blancheur, et se symbolisant par la pureté du
lys, peut commettre tous les crimes ; les gens qu’il fait
monter sur l’échafaud sont les premiers à ne pas le
trouver méchant. Mais si le drapeau est rouge et que
le symbole soit une figure de mathématiques, en vain
ce gouvernement se montrera doux et protecteur ; les
personnes qu’il comblera de recettes générales et de
bureaux de tabac le regarderont comme un monstre.
Cela ne se raisonne pas; tout est dans le costume. A
propos de costumes, nous voici aux jours fortunés où
les tailleurs et les modistes expédient dans la plaine de ;
Longchamp tout ce qu’il y a de plus distingué parmi
les hommes et les femmes du monde. Chacun sait que,
depuis longtemps déjà, ce ne sont plus les tailleurs et
les modistes qui reçoivent de l’argent des gens du
monde ; ce sont, au contraire, ces deux corps d’Etat qui
entretiennent les marquis et les marquises, ceux-ci
s’engageant à se promener en mannequin, moyennant
rétribution convenable.
Quand je dis que chacun sait cela, c’est une simple
forme de langage ; car il y a encore bien des gens qui
l’ignorent. Ce qui cause des confusions regrettables.
Tantôt c’est un gommeux dans lequel un bourgeois
s’obstine à reconnaître un commis de la maison qui
n’est pas au coin du quai, et qui veut profiter du mo-
ment pour se plaindre que son pantalon ne lui va pas.
Tantôt c’est un provincial qui, en voyant passer les voi-
tures de nos élégantes, se persuade que toutes les Pa-
risiennes ont cinq cent mille livres de rente.
Règle générale, personne n’a cinq cent mille livres de
rente, excepté les modistes et les tailleurs. Quant aux
gens de Longchamp, ce sont des marquis, si vous
voulez, et ce n’en sont point, si vous ne le voulez
point. Qui distinguera un gommeux d’un commis? Qui
saura laquelle de ces deux femmes est lafilledu prince,
laquelle J a fille du concierge? Il y a d’ailleurs des
princes qui ont commencé par être concierges ; et le
— Comment ! il l’épouserait ?
— N’en doutez pas un seul instant. Ce n’est pas
de fumée d’encens qu’il se nourrit, et toutes les
formes de mariage gouvernemental lui sont indiffé-
rentes pourvu qu’il ait dupositif dans sa patène. Ne
l’avez-vous pas vu lâcher la monarchie légitime
pour l’Empire qui lui a fait le ventre plein ? Tenez
pour certain qu’il abandonnera à leur tour les légi-
timistes ridiculisés et les bonapartistes conspués
pour cette bonne République, quand il sera con-
vaincu que toute résistance de sa part serait préju-
diciable à son formidable appétit.
— Se pourrait-il qu’il abandonnât Rome?
— Au. point que vous l’entendrez crier à pleins
poumons : Vive la République !... et le budget des
cultes ! Et si vous plantez des arbres de la liberté,
il mettra à votre disposition tous ses encensoirs et
tous ses oremus.
— Mais alors ce sera l’harmonie et la paix uni-
verselle.
— Ah ! méfiez-vous des baisers de Sedan !
La somnambule ayant ainsi parlé fut prise d’une
attaque nerveuse, qui obligea son magnétiseur à
l’emporter dans une pièce voisine.
On me rendit le précieux talisman qui lui avait
permis de lire avec tant de lucidité dans l’avenir.
C’était une petite touffe de crins arrachés à un
goupillon de donneur d’eau bénite.
E. Villiers.
NOUVELLES OBSERVATIONS
Entre hommes, c’est comme chez les loups : il ne
faut pas tomber, si l’on ne veut pas être dévoré par
la bande.
ligence; c’est ainsi qu’il ne veut pas juger ceux
qu’il aime.
*
* *
Il faudrait jamais n’avoir rien commis pour n’a»
voir jamais menti.
* *
L’amour-propre trouve si bien son compte dans
le commerce des amoureux, qu’ils ne peuvent, cha-
cun de son côté, s’empêcher de faire aux autres des
confidences.
%
* *
Depuis que j’ai vu des chattes se lécher le poil
des journées entières sans préoccupations amou-
reuses, j’ai compris que les femmes perdent un bon
tiers de leur existence à se parer pour se complaire
à elles-mêmes, sans que nous y soyons pour rien.
Ne faites jamais pleurer ceux qui vous aiment;
ces larmes sont le sang du cœur.
il faut plus de temps pour se délasser de la pa-
resse que du travail.
*
* *
Les femmes sont bien privilégiées de n’être pas
forcées d’avoir de l’esprit; cette permission leur
permet d’avoir du bon sens, ce qui vaut mieux
qu’elles ne pensent.
Je crois trop à l’égalité, quand je regarde en
haut; et trop peu, quand je regarde en bas.
L’amitié perd son nom quand elle dispense des
convenances.
Après le téléphone, le phonographe.
Après le phonographe, l’aérophone.
Simple petit appareil à l’aide duquel la voix humaine
portera à la distance de huit lieues.
Excusez du peu !
Vous représentez-vous un monsieur attaqué par des
voleurs, tirant de sa poche un aérophone portatif,
criant: Am secours! et réveillant tout Paris d’un seul
cri !
Nous avons aussi l’aérographe.
Pourquoi graphe?... Comprends pas.
L’aérographe s’adapte à une locomotive, et, au premier
signal du mécanicien, prononce, d’nne voix formidable,
des cris, des appels qui peuvent être entendus de plu-
sieurs milles.
On prétend que ce signal peut prononcer distincte-
ment différents mots, et laisse ainsi bien loin derrière
lui le vulgaire sifflet d’alarme.
Allons ! on finira par causer du Havre à New-York.
Progrès, tu n’es pas un vain mot !
La peinture est dans le marasme. Du moins au point
de vue commercial.
Il y a une dépréciation de 40 0/0 sur tous les tableaux
qui passent aux enchères.
La vente de Paul Iluet, bien que, relativement, elle
ait réussi, n’a pu échapper à la fatale influence.
N’est-ce pas un peu beaucoup la faute des spécula-
teurs qui avaient agioté sur les toiles comme sur de
simples Honduras?
Un journal annonce qu’on a relégué la petite Bourse
à l’angle de la rue Rossini et de la rue Chauchat:
Tiens 1 tiens 1...
Chauchat... synonyme de chat échaudé.
Pas mal trouvé, le hasard du rapprochement.
Ce brave Léon Guillard, qui vient de mourir, était à
ce point inféodé à la Comédie-Française, qu’il ne pou-
vait vivre cinq minutes loin d’elle.
On jour, un ami le rencontre se promenant devant la
porte de la maison de Molière.
— Que faites-vous ici, Guillard?
— Vous le voyez... j’attends qu’on ait fini de balayer
mon cabinet.
Comment veut-on que les rois de droit divin ne
soutiennent pas une religion divine ? Si les monar-
ques s’avisaient de miner l’autel, les prêtres ven-
draient la mèche.
Ne laissez pas vingt-quatre heures passer sur une
bouderie, elle courrait risque de devenir une sépa-
ration définitive.
* *
Il est bien vrai que les animaux en savent moins
que nous en astronomie, en mathématiques, et le
reste. S’ils en sont plus malheureux, je les plains ,
si nous n’en sommes pas plus heureux, que de pei-
nes pour nous !
*
Le cœur a des délicatesses d’une profonde intel-
Toutes les vertus conjugales n’en peuvent mais,
une femme n’en veut jamais bien profondément à
un homme qui a eu l’impertinence de lui déclarer
qu’il l’aimait tant elle est jolie.
C’est une invention bien habile que la vie future,
pour amener les déshérités du présent à prendre
patience.
Alfred Bougeart.
CHRONIQUE DU JOUR
Où MM. les inventeurs s’arrêteront-ils?
C’est le son qui est, pour le moment, leur champ
d’exploits.
On ne saurait trop féliciter Emile Augier delà libérale
résolution qu’il a prise en livrant sans retard à la pu-
blicité le manuscrit des Fourchambault, et en laissant
tous les directeurs de province libres de monter la
pièce.
Le système adopté par certains auteurs qui se réser-
vent de traiter spécialement et de faire de l’exploitation
personnelle, est la ruine des théâtre départementaux.
Le soleil, avec Augier, luira pour tout le monde.
Bravo !
Paris-Journal rapporte un mot spirituel d’un des in-
vités de notre rédacteur en chef, à sa dernière grande
soirée :
— Curieuse antithèse ! s’écriait-il après un morceau
d’Albani frénétiquement applaudi. Dire que c’est chez
le directeur du Charivari qu’on entend la plus parfaite
musique de Paris !
Le concours hippique des Champs-Elysées obtient
un succès croissant.
LES SEMAINES DE PARIS
CLXV
Du jeudi 11 au jeudi 18 avril.
Il est question d’élever une forte statue de la Répu-
blique sur une de nos places. On n’a pas choisi la place.
Avouez qu’il est bien regrettable que le Sacré-Cœur se
soit emparé des Buttes-Montmartre, où il semble que
cette statue aurait fait le meilleur effet. Mais les cléri-
caux occupent toujours les premiers les bonnes posi-
tions, et nous voilà forcés de voir ailleurs.
Il y a bien la place de la Concorde ; mais que faire de
l’obélisque? Il y a bien la place de l’Opéra, mais on
prendrait la statue pour Terpsichore, et une statue de
la République qui regarderait danser les femmes de
Carpeaux, ce ne serait pas convenable. Il y a bien la
place Vendôme, mais que faire delà colonne ? La place
de niôtel-de-Ville ferait peut-être l’affaire, lorsque
l’Hôtel de Ville sera rebâti. La République devant le
palais du peuple, ce serait tout à fait en situation.
Ce que c’est que de nous 1 Je me prends à discuter la
chose comme si elle me regardait, et comme si je fai-
sais partie du conseil des vieillards qui auront à dé-
cider cette importante question. Tous, tant que nous
sommes, nous nous figurors qu’on nous écoutera, et
nous allons... nous allons...
Ce qui s’est dit de sottises au sujet de cette fameuse
statue, est inénarrable. II y a des gens qui ne peuvent
tolérer qu’on la coiffe du bonnet phrygien. En quoi le
bonnet que portait Esope peut-il contrarier les gens?
N’y a-t-il pas depuis des années, au foyer de la Comé-
die-Française (horribile visu!), un buste de cette même
République, coiffée de ce même bonnet, qui n’a encore
dévoré personne? C’est une chose curieuse que l’impor-
tance que nous attachons tous aux objets matériels.
Un gouvernement, portant un drapeau d’une écla-
tante blancheur, et se symbolisant par la pureté du
lys, peut commettre tous les crimes ; les gens qu’il fait
monter sur l’échafaud sont les premiers à ne pas le
trouver méchant. Mais si le drapeau est rouge et que
le symbole soit une figure de mathématiques, en vain
ce gouvernement se montrera doux et protecteur ; les
personnes qu’il comblera de recettes générales et de
bureaux de tabac le regarderont comme un monstre.
Cela ne se raisonne pas; tout est dans le costume. A
propos de costumes, nous voici aux jours fortunés où
les tailleurs et les modistes expédient dans la plaine de ;
Longchamp tout ce qu’il y a de plus distingué parmi
les hommes et les femmes du monde. Chacun sait que,
depuis longtemps déjà, ce ne sont plus les tailleurs et
les modistes qui reçoivent de l’argent des gens du
monde ; ce sont, au contraire, ces deux corps d’Etat qui
entretiennent les marquis et les marquises, ceux-ci
s’engageant à se promener en mannequin, moyennant
rétribution convenable.
Quand je dis que chacun sait cela, c’est une simple
forme de langage ; car il y a encore bien des gens qui
l’ignorent. Ce qui cause des confusions regrettables.
Tantôt c’est un gommeux dans lequel un bourgeois
s’obstine à reconnaître un commis de la maison qui
n’est pas au coin du quai, et qui veut profiter du mo-
ment pour se plaindre que son pantalon ne lui va pas.
Tantôt c’est un provincial qui, en voyant passer les voi-
tures de nos élégantes, se persuade que toutes les Pa-
risiennes ont cinq cent mille livres de rente.
Règle générale, personne n’a cinq cent mille livres de
rente, excepté les modistes et les tailleurs. Quant aux
gens de Longchamp, ce sont des marquis, si vous
voulez, et ce n’en sont point, si vous ne le voulez
point. Qui distinguera un gommeux d’un commis? Qui
saura laquelle de ces deux femmes est lafilledu prince,
laquelle J a fille du concierge? Il y a d’ailleurs des
princes qui ont commencé par être concierges ; et le