LE CHARIVARI
N’importe ! me dis-je, j’ai une mission d’honneur,
je la remplirai jusqu’au bout.
Avant le potage, pour lui imposer ma croyance,
je récitai à hautevoix le Benedüile. — Amen ! ré-
pondit-il quand j’eus fini. Le libre-penseur passait
sous les fourches caudines du cléricalisme !
Le dîner aurait été possible s’il n'eût élé composé
entièrement de salaisons, de cochonnailles et de
condiments atrocement épicés. Mon palais était en
leu.
Pour l’éteindre, je buvais force lampées de vins
capiteux qui augmentaient l’incendie au lieu de l’é-
teindre.
Ma tête devenait d’une pesanteur inaccoutumée ;
les objets commençaient à se brouiller avec mes
idées. Au lieu d’un préfet, il me semblait en avoir
vingt-quatre devant moi. — Allons toujours ! me
dis-je. Remplissons ma mission. Et je la remplissais
aussi bien que mon verre.
Tout à coup le préfet se leva : — A la Répu-
blique ! s’écria-t-il en me regardant d’un œil fasci-
nateur.
Emu, troublé outre mesure, ne sachant plus du
tout ce que je faisais, je choquai mon verre contre
le sien et je proférai le toast abhorré... mais j’avais
tellement soif!...
A partir de ce moment je ne me souviens de rien.
Seulement, j’appris le lendemain que j’avais été
reporté chez moi dans un état difficile à décrire.
L’avais-je assez humilié, déshonoré, ce fonction-
naire républicain! Un conservateur, un brogliste,
se comporter ainsi à sa table! Il y avait là de quoi
le faire casser aux gages dix fois pour une sous un
gouvernement régulier ! Mais on n’y regarde pas de
si près sous la R. F.
Voilà, monsieur le rédacteur, le compte rendu
exact de la mystification atroce infligée à notre
pacha. Ne manquez pas de lui donner une place
dans vos colonnes, et croyez-moi toujours votre
bien dévoué,
Baron Biberon.
Pour copie conforme :
Louis Leroy.
---
THÉÂTRES
THÉÂTRE-LYRIQUE : Le Triomphe de la Paix.
— Est-ce à votre cocher, monsieur, ou bien à
votre cuisinier que vous voulez parler? demande
maître Jacques à Harpagon.
Est-ce au Théâtre-Italien, ou au Théâtre-Lyri-
que, que la critique a l’honneur de parler? Car les
deux ne font plus qu’un aujourd’hui.
Le rossignol à deux têtes !
C’est au Théâtre-Lyrique que nous avons cette
fois affaire.
Il a été décidé, comme vous le savez, que pour
làter sans trop de dépenses les candidats à la célé-
brité musicale, on donnerait en habit noir, sans
costumes ni mise en scène, des représentations
expérimentales auxquelles serait convié le public.
La première de ces représentations, ou plutôt de
ces auditions, a eu lieu le jeudi saint.
Est-ce une ironie du hasard qui a choisi ce jour
essentiellement maigre pour nous faire goûter au
nouveau régal? Le hasard n’a pas eu tort dans tous
les cas, et je doute fort du succès de ces soirées
concertantes, — j’allais dire déconcertantes.
Rien de plus froid, de plus morne que l’aspect de
celte scène où il semble qu’on va assister à un
exercice du Conservatoire.
En dépit du succès qu’obtiennent les matiuées
musicales de Pasdeloup et du Châtelet, exploitant
heureusement le désœuvrement du dimanche, le
peuple français, quoiqu’il soit un peuple de braves,
recule devant tout ce qui ressemble à un concert.
Il y a des gens qui poussent cette sainte terreur
jusqu’à traverser la rue lorsqu’ils passent devant la
salle Hertz.
Dans tous les cas, il y avait abondance et sur-
abondance de plaisirs (?) de ce genre , et le besoin
des auditions mélancoliquement inaugurées jeudi
ne se faisait nullement sentir.
Je crois inutile d’insister sur la démonstration;
l’éloquence du chiffre se chargera de la compléter.
Quelques mots seulement de l’ode-symphoniepar
laquelle ont débuté les auditions en deuil.
Le titre était alléchant : Le Triomphe de la paix !
C’était à faire venir l’eau à la bouche de tous les
boursiers. Par malheur, les affaires d’Orient sont
étrangères à la question.
M. Parodi, l’auteur de Rome vaincue, a écrit sous
ce titre une cantate dont la banalité est conforme à
toutes les règles de ce genre somnifère. M. Samuel
David s’est chargé de compliquer l’ennui en wagne-
risant à outrance sur le livret de son collaborateur.
Ah ! ce n’est pas à M. Samuel David que l’on ap-
pliquera jamais le vers de Boileau :
Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement.
En écoutant cette musique contournée, torturée,
tordue, on croit voir le malheureux musicien s’en-
fonçant les mains dans les cheveux et les ongles
dans la tête, en se disant :
— Je veux être extraordinaire! Il faut que le
sois extraordinaire!
Parbleu! M. Samuel David sait son métier, et
justement ce qu’on doit lui reprocher, c’est de faire
de la musique un métier, au lieu d’en faire un
art.
Cette symphonie est travaillée comme le produit
d’une usine. Hélas ! comme le marteau a cogné !
comme la lime a sifflé ! comme, la scie a grincé !
Pour un petit bout d’idée bien simple, bien fran-
che, on donnerait tous ces efforts de serrurerie et
de mécanique. J’aime mieux ma mie, ô gué !
Je ne prétends pas que M. Samuel David ne soit
pas capable d’avoir du talenti. Je n’en sais rien, il
s’est donné tant de peine pour cacher ce qu’il est
sous les apparences de fort en thème qu’il veut se
donner! Tant de peine qu’on renonce à chercher
trace d’inspiration dans les accumulations de bi-
zarreries, de violences orchestrales, d’excentricités
préméditées.
Il y a des sectaires qui se pâment de confiance à
ces sortes d’exercices. Nous nous déclarons incom-
pétents pour apprécier la musique qui fait du tra-
pèze, tête en bas.
Il y a bien çà et là, pourtant, un air agréable et
agréablement chanté par MUo Howe; des couplets
que Mlle Bennati a dits de son mieux ; puis...
Je crains bien que ce ne soit tout.
Le surplus, en effet, est un chaos de notes qui
veut être prodigieux et qui n’est qu’intolérable.
Ah! Yttonnantismel quel iléau contemporain!
Il exerce à la fois ses ravages dans l’art et dans
les lettres. Il fait dérailler un tas d’esprits affolés
qui, pour vouloir jeter de la poudre aux yeux, gâ-
tent par la contorsion le peu de mérite qu’ils pour-
raient avoir s’ils marchaient dans le droit chemin
du sens commun.
Mais non, leur idéal unique, c’est l’étrange.
Comme si 1a- beauté pouvait consister à ressem-
bler aux fœtus monstrueux que le Muséum con-
serve dans ses bocaux.
Avec cela les ètonnantistes ont fondé une société
d’admiration mutuelle qui nous assourdit de ses
applaudissements complotés d’avance et qui espère
en imposer au public, lequel se défend de son
mieux contre celte ligue déplorable.
C’est parce qu’il y a péril formel que nous pro-
testons énergiquement.
Les artistes qui s’étaient chargés d’interpréter le
Triomphe de la Paix ont lutté de leur mieux.
M. Warot doit être cité à l’ordre du soir.
Mais cette première épreuve me paraît suffisam-
ment décisive pour qu’on n’y revienne pas. Le
mieux serait de reconnaître tout de suite qu’on s’est
trompé en voulant confondre deux genres d’exploi-
tation, qui n’ont rien à voir ensemble, en prenant le
théâtre pour une salle de concert, en imposant en-
fin à des auditeurs français la corvée obligatoire et
non gratuite de ces solennités hybrides qui, si
l'on s’y obstine, resteront seules... avec un franc
cinquante de recette.
Pierre Véron.
—--♦—-
CHRONIQUE DD JOUR
Vive M. Godelle, un des derniers candidats black-
boulés !...
M. Godelle a jugé à propos d’adresser une proclama-
tion à ses électeurs.
Ils doivent être bien contents, les électeurs de M.
Godelle !
Mais il faut avouer que cet ex-magistrat est un ai ■
mable farceur...
A la fin de sa proclamation, il annonce aux habitants
de la circonscription de Vervins qu’il « va passer dans
leur voisinage une grande partie de T innée,» et qu’il les
protégera contre « les représailles dont on a osé les
menacer. »
D’abord je crois que personne n’a menacé ceux qui
ont voté pour eet excellent M. Godelle. Sm advert
a été élu ; cela suffit aux républicains de Vervins.
Mais, voyez-vous M. Godelle endossant le costuix : ;
don Quichotte et montant sur une espèce de T
liante pour aller défendre ses électeurs !
Quel beau spectacle !
Si les habitants de Vervins voulaient s’a
pourraient faire de bonnes plaisanteries à ce crti udat,
dont le cerveau est un peu troublé par les lumières
élections.
Dans la nuit, vers trois heures du matin, on arrache-
rait M. Godelle aux douceurs du sommeil en frappant
à sa porte et en criant :
— Monsieur Godelle !... Monsieur Godelle !...
— Qu’y a-t-il? demanderait le malheureux, éveillé
en sursaut.
— En rentrant chez moi, j’ai trouvé un électeur ré-
publicain avec ma femme, je suis certain qu’il veut me
faire quelques misères.
Et M. Godelle revêtirait son costume de combat pour
défendre celui qui implore aide et protection.
Je trouve que depuis quelque temps les hommes
manquent d’égards pour le sexe faible.
Avec uu sans-gêne incroyable ils coupent les femmes
en morceaux.
Ils se mettent à détailler la femme comme de la vul-
gaire viande de boucherie.
Pour uu homme, une femme cesse d’ètre une moitié,
elle devient des tranches.
Et l’on s’étonne ensuite qu’une dame jette du vitriol
à la tète d’uu homme !
Il existe une société protectrice des animaux ; mais
je crois qu’il serait temps de créer une nouvelle société
pour protéger la portion la plus intéressante de l’espèce
humaine.
Désormais, les femmes auront la plus grande appré-
hension des hommes.
De cette crainte, trop fondée hélas! il en résultera
des entretiens de ce genre.
— Madame, voulez-vous me permettre de vous ac-
compagner ?
— Oui, monsieur, mais jurez-moi que vous ne me
couperez pas morceaux!
Des gymnasiarques viennent de débuter au Skating
de la me Blanche.
A propos de ce début, voici ce que je trouve dans un
programme.
«De nationalité russe,’MM. Tielgoont obtenu à Saint-
Pétersbourg l’honneur d’ètre appelés à donner des re-
présentations devant S. M. le czar, qui, après les avoir
médaillés, les a nommés gymnasiarques de la cour.»
Gymnasiarque de la cour de Russie !
Voilà uu titre qui me fait rêver.
A toutes les tètes officielles ont-ils le droit de paraî-
tre en maillot ?
Tous les tableaux représentant des batailles ont été
refuses pour l’Exposition de 1878.
En effet, quand on convie les étrangers à une grande
fête pacifique, et quand on doit leur faire les honneurs
qui leur sont dus, il n’est pas convenable de représen-
ter les armées des différentes nations s’administrant à
tour de rôle des piles homériques.
Sous l’Empire, la France a trouvé moyen de se brouil-
ler avec toutes les nations, et a cherché tous les nré-
textes imaginables pour avoir l’occasion de leur déclarer
la guerre. Les peintres de batailles peuvent s’inspirer
de ces époques qui leur offrent de nombreux sujets,
mais tant pis pour eux si aujourd’hui on leur dit de
garder leurs toiles.
— Cocher, êtes-vous libre ?
— Oui, bourgeois. Et comment me prenez-vous?
— Vous ne vouiez pas à la course probablement?
— Non.
— Mais à l’heure?
— Non plus. Je veux que vous me gardiez jusqu’au
lor novembre.
— A l’heure pendant six mois !
— Oui, bourgeois, et même faudra-t-il que vous
m’accordiez tous les jours trois ou quatre heures de
congé, afin que je réalise encore quelques bénéfices
avec les étrangers.
Encore un nouveau cercle à l’horizon.
Mais ce. club fera la joie de Bazile.
Il s’agit d’un cercle catholique, au capital de vingt
millions.
Cette somme ne sera probablement pas employée à
acheter des billards et des jeux de carte pour le bac-
carat.
Le jeu sera sans doute remplacé par des conférences
religieuses et par des bénédictions que le pape enverra
quand il y aura fête au cercle.
Mais à quoi emploiera-t-on les vingt millions ? S’en
servira-t-on pour commanditer de nouvelles sources
miraculeuses ou pour soutenir les candidatures de
MM. de Mun, du Demaine et autres bons cléricaux?
Calino entre dans un restaurant.
Il absorbe quatre potages et demande une cinquième
portion de gigot.
— Quel appétit aujourd’hui ! lui dit le garçon qui le
connaît.
— Je n’ai pas faim.
— Alors, pourquoi dévorer ainsi?
— Parce que j’ai entendu dire que tout allait aug-
menter pendant l’Exposition; alors, je veux manger
beaucoup pour n’avoir plus faim quand le prix des vi-
vres augmentera.
André Laroche.
Le gérant : Altarochb,
N’importe ! me dis-je, j’ai une mission d’honneur,
je la remplirai jusqu’au bout.
Avant le potage, pour lui imposer ma croyance,
je récitai à hautevoix le Benedüile. — Amen ! ré-
pondit-il quand j’eus fini. Le libre-penseur passait
sous les fourches caudines du cléricalisme !
Le dîner aurait été possible s’il n'eût élé composé
entièrement de salaisons, de cochonnailles et de
condiments atrocement épicés. Mon palais était en
leu.
Pour l’éteindre, je buvais force lampées de vins
capiteux qui augmentaient l’incendie au lieu de l’é-
teindre.
Ma tête devenait d’une pesanteur inaccoutumée ;
les objets commençaient à se brouiller avec mes
idées. Au lieu d’un préfet, il me semblait en avoir
vingt-quatre devant moi. — Allons toujours ! me
dis-je. Remplissons ma mission. Et je la remplissais
aussi bien que mon verre.
Tout à coup le préfet se leva : — A la Répu-
blique ! s’écria-t-il en me regardant d’un œil fasci-
nateur.
Emu, troublé outre mesure, ne sachant plus du
tout ce que je faisais, je choquai mon verre contre
le sien et je proférai le toast abhorré... mais j’avais
tellement soif!...
A partir de ce moment je ne me souviens de rien.
Seulement, j’appris le lendemain que j’avais été
reporté chez moi dans un état difficile à décrire.
L’avais-je assez humilié, déshonoré, ce fonction-
naire républicain! Un conservateur, un brogliste,
se comporter ainsi à sa table! Il y avait là de quoi
le faire casser aux gages dix fois pour une sous un
gouvernement régulier ! Mais on n’y regarde pas de
si près sous la R. F.
Voilà, monsieur le rédacteur, le compte rendu
exact de la mystification atroce infligée à notre
pacha. Ne manquez pas de lui donner une place
dans vos colonnes, et croyez-moi toujours votre
bien dévoué,
Baron Biberon.
Pour copie conforme :
Louis Leroy.
---
THÉÂTRES
THÉÂTRE-LYRIQUE : Le Triomphe de la Paix.
— Est-ce à votre cocher, monsieur, ou bien à
votre cuisinier que vous voulez parler? demande
maître Jacques à Harpagon.
Est-ce au Théâtre-Italien, ou au Théâtre-Lyri-
que, que la critique a l’honneur de parler? Car les
deux ne font plus qu’un aujourd’hui.
Le rossignol à deux têtes !
C’est au Théâtre-Lyrique que nous avons cette
fois affaire.
Il a été décidé, comme vous le savez, que pour
làter sans trop de dépenses les candidats à la célé-
brité musicale, on donnerait en habit noir, sans
costumes ni mise en scène, des représentations
expérimentales auxquelles serait convié le public.
La première de ces représentations, ou plutôt de
ces auditions, a eu lieu le jeudi saint.
Est-ce une ironie du hasard qui a choisi ce jour
essentiellement maigre pour nous faire goûter au
nouveau régal? Le hasard n’a pas eu tort dans tous
les cas, et je doute fort du succès de ces soirées
concertantes, — j’allais dire déconcertantes.
Rien de plus froid, de plus morne que l’aspect de
celte scène où il semble qu’on va assister à un
exercice du Conservatoire.
En dépit du succès qu’obtiennent les matiuées
musicales de Pasdeloup et du Châtelet, exploitant
heureusement le désœuvrement du dimanche, le
peuple français, quoiqu’il soit un peuple de braves,
recule devant tout ce qui ressemble à un concert.
Il y a des gens qui poussent cette sainte terreur
jusqu’à traverser la rue lorsqu’ils passent devant la
salle Hertz.
Dans tous les cas, il y avait abondance et sur-
abondance de plaisirs (?) de ce genre , et le besoin
des auditions mélancoliquement inaugurées jeudi
ne se faisait nullement sentir.
Je crois inutile d’insister sur la démonstration;
l’éloquence du chiffre se chargera de la compléter.
Quelques mots seulement de l’ode-symphoniepar
laquelle ont débuté les auditions en deuil.
Le titre était alléchant : Le Triomphe de la paix !
C’était à faire venir l’eau à la bouche de tous les
boursiers. Par malheur, les affaires d’Orient sont
étrangères à la question.
M. Parodi, l’auteur de Rome vaincue, a écrit sous
ce titre une cantate dont la banalité est conforme à
toutes les règles de ce genre somnifère. M. Samuel
David s’est chargé de compliquer l’ennui en wagne-
risant à outrance sur le livret de son collaborateur.
Ah ! ce n’est pas à M. Samuel David que l’on ap-
pliquera jamais le vers de Boileau :
Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement.
En écoutant cette musique contournée, torturée,
tordue, on croit voir le malheureux musicien s’en-
fonçant les mains dans les cheveux et les ongles
dans la tête, en se disant :
— Je veux être extraordinaire! Il faut que le
sois extraordinaire!
Parbleu! M. Samuel David sait son métier, et
justement ce qu’on doit lui reprocher, c’est de faire
de la musique un métier, au lieu d’en faire un
art.
Cette symphonie est travaillée comme le produit
d’une usine. Hélas ! comme le marteau a cogné !
comme la lime a sifflé ! comme, la scie a grincé !
Pour un petit bout d’idée bien simple, bien fran-
che, on donnerait tous ces efforts de serrurerie et
de mécanique. J’aime mieux ma mie, ô gué !
Je ne prétends pas que M. Samuel David ne soit
pas capable d’avoir du talenti. Je n’en sais rien, il
s’est donné tant de peine pour cacher ce qu’il est
sous les apparences de fort en thème qu’il veut se
donner! Tant de peine qu’on renonce à chercher
trace d’inspiration dans les accumulations de bi-
zarreries, de violences orchestrales, d’excentricités
préméditées.
Il y a des sectaires qui se pâment de confiance à
ces sortes d’exercices. Nous nous déclarons incom-
pétents pour apprécier la musique qui fait du tra-
pèze, tête en bas.
Il y a bien çà et là, pourtant, un air agréable et
agréablement chanté par MUo Howe; des couplets
que Mlle Bennati a dits de son mieux ; puis...
Je crains bien que ce ne soit tout.
Le surplus, en effet, est un chaos de notes qui
veut être prodigieux et qui n’est qu’intolérable.
Ah! Yttonnantismel quel iléau contemporain!
Il exerce à la fois ses ravages dans l’art et dans
les lettres. Il fait dérailler un tas d’esprits affolés
qui, pour vouloir jeter de la poudre aux yeux, gâ-
tent par la contorsion le peu de mérite qu’ils pour-
raient avoir s’ils marchaient dans le droit chemin
du sens commun.
Mais non, leur idéal unique, c’est l’étrange.
Comme si 1a- beauté pouvait consister à ressem-
bler aux fœtus monstrueux que le Muséum con-
serve dans ses bocaux.
Avec cela les ètonnantistes ont fondé une société
d’admiration mutuelle qui nous assourdit de ses
applaudissements complotés d’avance et qui espère
en imposer au public, lequel se défend de son
mieux contre celte ligue déplorable.
C’est parce qu’il y a péril formel que nous pro-
testons énergiquement.
Les artistes qui s’étaient chargés d’interpréter le
Triomphe de la Paix ont lutté de leur mieux.
M. Warot doit être cité à l’ordre du soir.
Mais cette première épreuve me paraît suffisam-
ment décisive pour qu’on n’y revienne pas. Le
mieux serait de reconnaître tout de suite qu’on s’est
trompé en voulant confondre deux genres d’exploi-
tation, qui n’ont rien à voir ensemble, en prenant le
théâtre pour une salle de concert, en imposant en-
fin à des auditeurs français la corvée obligatoire et
non gratuite de ces solennités hybrides qui, si
l'on s’y obstine, resteront seules... avec un franc
cinquante de recette.
Pierre Véron.
—--♦—-
CHRONIQUE DD JOUR
Vive M. Godelle, un des derniers candidats black-
boulés !...
M. Godelle a jugé à propos d’adresser une proclama-
tion à ses électeurs.
Ils doivent être bien contents, les électeurs de M.
Godelle !
Mais il faut avouer que cet ex-magistrat est un ai ■
mable farceur...
A la fin de sa proclamation, il annonce aux habitants
de la circonscription de Vervins qu’il « va passer dans
leur voisinage une grande partie de T innée,» et qu’il les
protégera contre « les représailles dont on a osé les
menacer. »
D’abord je crois que personne n’a menacé ceux qui
ont voté pour eet excellent M. Godelle. Sm advert
a été élu ; cela suffit aux républicains de Vervins.
Mais, voyez-vous M. Godelle endossant le costuix : ;
don Quichotte et montant sur une espèce de T
liante pour aller défendre ses électeurs !
Quel beau spectacle !
Si les habitants de Vervins voulaient s’a
pourraient faire de bonnes plaisanteries à ce crti udat,
dont le cerveau est un peu troublé par les lumières
élections.
Dans la nuit, vers trois heures du matin, on arrache-
rait M. Godelle aux douceurs du sommeil en frappant
à sa porte et en criant :
— Monsieur Godelle !... Monsieur Godelle !...
— Qu’y a-t-il? demanderait le malheureux, éveillé
en sursaut.
— En rentrant chez moi, j’ai trouvé un électeur ré-
publicain avec ma femme, je suis certain qu’il veut me
faire quelques misères.
Et M. Godelle revêtirait son costume de combat pour
défendre celui qui implore aide et protection.
Je trouve que depuis quelque temps les hommes
manquent d’égards pour le sexe faible.
Avec uu sans-gêne incroyable ils coupent les femmes
en morceaux.
Ils se mettent à détailler la femme comme de la vul-
gaire viande de boucherie.
Pour uu homme, une femme cesse d’ètre une moitié,
elle devient des tranches.
Et l’on s’étonne ensuite qu’une dame jette du vitriol
à la tète d’uu homme !
Il existe une société protectrice des animaux ; mais
je crois qu’il serait temps de créer une nouvelle société
pour protéger la portion la plus intéressante de l’espèce
humaine.
Désormais, les femmes auront la plus grande appré-
hension des hommes.
De cette crainte, trop fondée hélas! il en résultera
des entretiens de ce genre.
— Madame, voulez-vous me permettre de vous ac-
compagner ?
— Oui, monsieur, mais jurez-moi que vous ne me
couperez pas morceaux!
Des gymnasiarques viennent de débuter au Skating
de la me Blanche.
A propos de ce début, voici ce que je trouve dans un
programme.
«De nationalité russe,’MM. Tielgoont obtenu à Saint-
Pétersbourg l’honneur d’ètre appelés à donner des re-
présentations devant S. M. le czar, qui, après les avoir
médaillés, les a nommés gymnasiarques de la cour.»
Gymnasiarque de la cour de Russie !
Voilà uu titre qui me fait rêver.
A toutes les tètes officielles ont-ils le droit de paraî-
tre en maillot ?
Tous les tableaux représentant des batailles ont été
refuses pour l’Exposition de 1878.
En effet, quand on convie les étrangers à une grande
fête pacifique, et quand on doit leur faire les honneurs
qui leur sont dus, il n’est pas convenable de représen-
ter les armées des différentes nations s’administrant à
tour de rôle des piles homériques.
Sous l’Empire, la France a trouvé moyen de se brouil-
ler avec toutes les nations, et a cherché tous les nré-
textes imaginables pour avoir l’occasion de leur déclarer
la guerre. Les peintres de batailles peuvent s’inspirer
de ces époques qui leur offrent de nombreux sujets,
mais tant pis pour eux si aujourd’hui on leur dit de
garder leurs toiles.
— Cocher, êtes-vous libre ?
— Oui, bourgeois. Et comment me prenez-vous?
— Vous ne vouiez pas à la course probablement?
— Non.
— Mais à l’heure?
— Non plus. Je veux que vous me gardiez jusqu’au
lor novembre.
— A l’heure pendant six mois !
— Oui, bourgeois, et même faudra-t-il que vous
m’accordiez tous les jours trois ou quatre heures de
congé, afin que je réalise encore quelques bénéfices
avec les étrangers.
Encore un nouveau cercle à l’horizon.
Mais ce. club fera la joie de Bazile.
Il s’agit d’un cercle catholique, au capital de vingt
millions.
Cette somme ne sera probablement pas employée à
acheter des billards et des jeux de carte pour le bac-
carat.
Le jeu sera sans doute remplacé par des conférences
religieuses et par des bénédictions que le pape enverra
quand il y aura fête au cercle.
Mais à quoi emploiera-t-on les vingt millions ? S’en
servira-t-on pour commanditer de nouvelles sources
miraculeuses ou pour soutenir les candidatures de
MM. de Mun, du Demaine et autres bons cléricaux?
Calino entre dans un restaurant.
Il absorbe quatre potages et demande une cinquième
portion de gigot.
— Quel appétit aujourd’hui ! lui dit le garçon qui le
connaît.
— Je n’ai pas faim.
— Alors, pourquoi dévorer ainsi?
— Parce que j’ai entendu dire que tout allait aug-
menter pendant l’Exposition; alors, je veux manger
beaucoup pour n’avoir plus faim quand le prix des vi-
vres augmentera.
André Laroche.
Le gérant : Altarochb,