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Le charivari — 47.1878

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Juin
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https://doi.org/10.11588/diglit.25492#0709
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142

AU SALON. PAR A. GRÉ VIN.

— Figurez vous, l’année dernière, j’achète une toile deux mille ; un mois après, une vraie veine, le peintre
claque ; un bien charmant garçon. A l’heure qu’il est, j’en r’fuse quinze.

Ce chapitre de la séparation, Rodolphe et Eva l'a-
vaient lu pendant leur lune de miel. Ne l’eussent-ils
point parcouru des yeux qu’ils se rappelaient l’avoir
vécu, ce qui le leur rendait plus saisissant. L’aspect des
muets témoins de leur bonheur avait frappé leurs re-
gards et touché leurs âmes. Une fois encore ils s’étaient
écriés :

— Nousne nous exciterons plus à nous séparer: c’est
une comédie lamentable.

Mon dieu! quia bu boira, Qui a aimé aimera. Qui
cultive la brouille la veut à propos de rien. Horace l’a
fait voir par le Donec gralus eram, d’où Molière a tiré le
Dépit amoureux.

Nullement corrigés par ces chefs-d’œuvre ni par l’ex-
périence, Rodolphe et Eva en arrivèrent à une vingtiè-
me rupture. Et justement, pour donner plus d’energie
à l’aventure, le musicien se mit à casser une petite tasse
en vieux Sèvres.

KVA. — Ma tasse cassée! (Sévère'ment.) Monsieur,
épargoez-moi, je vous prie, l’odieux de pareilles vio-
lences. Ne .cassez rien, surtout plus rien de ce qui n’est
pas à vous. Pas tant de détours Finissons-en.

Rodolphe. - Sans doute, fïnissons-on. Vous savez
que je ne demande pas mieux.

éva. — Que ne l’avez-vous fait comprendre plus vite?
J’aurais été heureuse de vous prendre au mot.

Rodolphe. — Il n’y a pas de temps à perdre, puisque
nous sommes d’accord. Cette fois ce ne sera pas un jeu
d’enfant.

éva. — J’y compte bien, monsieur.

Rodolphe. (Il prend son chapeau et fait mine de sor-
tir.;—Eh bien ! adieu. Au plaisir de ne plus vous revoir.

éva. — Un moment.

Rodolphe. — Qu’est-ce à dire ?

éva. — Si je vous rappelle, ce n’est point afin de
vous retenir, ce serait bien le contraire. J’entends bien
que vous allez emporter d’ici tout ce qui est à vous, ob-
jets d’art et souvenirs.

— Ce que vous me dites là est une insulte, vous le
savez, Eva. Sauf un portrait de femme et un bouquet de
violettes desséchées, rien ne m’appartient, puisque tout
est à vous.

— Ce que vous dites-là est chevaleresque ; mais vous
savez bien que je n’y adhère pas. Il y a une puissante
raison pour que vous emportiez d’ici mille choses.

— Quelle raison?

— Celle de faire que je n’aie plus sous les yeux ce qui
pourrait me rappeler votre personne. Emportez donc
tout. Ce sera me rendre un très-grand service.

— Puisque vous le prenez sur ce ton, j’obéis. Parta-
geons donc.

— C’est ça monsieur. Faisons deux lots : celui de
droite pour vous; celui de gauche pour moi. Il y a d’a-
bord deux statuettes : Le premier secret à Vénus,et une
réduction de la Vénus de Milo.

— La jeune fille à vous ; la Vénus à moi, mademoi-
selle.

— Instrument de musique : la harpe' pour vous ; le
piano pour moi.

— La bibliothèque : dix volumes, romi&ûs et vers.

— Cinq volumes pour chacun.

— La pelle et les pincettes ?

— Compensation avec les chenets.

— La commode à serrer le linge.

— En échange l’armoire à glace.

— Ah! maintenant, les pantoufles arabes, monsieur.

— Oui, Eva, les pantoufles achetées à Grenade, dsns
l’Alhambra, à une vieille gitane ; les pantoufles que
vous avez si bien enjolivées avec voire aiguille de fée !
A qui appartiendront-elles?

eva. — Impossible de les diviser sans les déprécier
au plus haut, point, ces pantoufles.

Rodolphe. — Pourtant, il faut les partager, comme
tout le reste, rrest-ce pas ?

eva. — Salomon même, s’il avait à prononcer une
sentence là dessus, ne le ferait point sans un vif em-
barras. Il faut la paire entière à l’un ou à l’autre.

Rodolphe. — Eh bien! jouons-les à pile ou face, ou
bien au doigt mouillé. Est-ce dit ?

eva. — C’est dit.

En ce moment solennel, le musicien la regarda, et
elle regarda le musicien.—Une larme d’opale tremblait
aux longs cils d’Eva. C'en était assez. — Rodolphe, lais-
sant là son lot, se jeta au cou de la belle personne en lui
disant :

— Ces pantoufles nous enseignent que, quand on est
bien appareillé, il ne faut pas se séparer.

Fort bien ; mais ils recommenceront bien encore une
dizaine de fois, mais pour ne pas aller jusqu'au bout.

PHILIBERT AUDEBRAND.
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