LE CHARIVARI
cipaux, suspendu de journaux, arrêté de colpor-
teurs ?
— Aucun.
— Combien de cercles, combien de cabarets avez-
vous t'ait fermer ?
— Aucun. Je me suis même appliqué à faire rou-
vrir tous ceux que vous aviez cadenassés.
— Et vous appelez ça une lutte loyale ?
— Trouvez-lui un autre qualificatif, si bon vous
semble.
— Je n’aurais que l’embarras du choix ; car cette
affectation d’impartialité, ce soi-disant respect de
la volonté de l’électeur, ne cachent qu’iniquité et
esprit de parti. Vous ne songez qu’à une chose,
faire aimer votre République ; et, pour arriver à ce
but immoral, vous faussez tous les ressorts de
l’autorité ! Qu’est-ce que c’est qu’un pouvoir qui ne
se manifeste à ses administrés que par des risettes
et des coups de chapeau? Vous avez des parquets,
des gendarmes, des gardes champêtres, des Cocos,
et vous n’en faites rien? C’est indigne, révoltant!
La société ne se sent plus protégée ! Suis-je bien en
sûreté moi-même dans votre cabinet? J’en doute;
carpour endurer tranquillement mes objurgations,il
faut qu’il y ait quelque chausse-trappe dans ce par-
quet, quelque oubliette où vous allez me faire dis-
paraître en poussant un bouton. Vous riez ? Mais
autrement, comment expliquer cette piteuse longa-
nimité ? A votre place, le préfet que vous avez le
déshonneur de remplacer m’aurait fait déjà coffrer
dix fois pour une ! Alors, on sentait peser sur soi la
poigne vigoureuse d’une paternelle administration.
Tandis qu’aujourd’hui, tout va comme j’te pousse,
à la débandade. Liberté par-ci, liberté par-là ! Dé-
sordre partout; immoralité sur toute la ligne ! Vous
faites appel aux plus viles passions démagogiques
en n’emprisonnant personne, en laissant au suffrage
universel ses coudées franches ! Et vous osez dire
que vous ne pressez pas indignement sur lui? —
Pauvre France! Pauvre peuple!... Pauvre gendar-
merie !
Louis Leroy.
PETIT CONTE DES MILLE ET UNE NUITS
La Russie et la Turquie se font toutes sortes de
mamours.
— Ma petite Turquie chérie !
— Ma grande Russie adorée !
— J’ai quelque chose à te demander.
— Je t’accorderai tout ce que tu voudras.
— Nous sommes amies, mais cela ne suffit pas.
Signons un traité d’alliance offensive et défensive.
— Comment!... Ce n’est que cela? Tiens! voici
ma signature. Mais laisse-moi te poser une ques-
tion : Si je t’aide à repousser les attaques de l’An-
gleterre, me donneras-tu un petit souvenir?
— Mais certainement.
— Ce n’est pas une carotte que je te tire, mais
une simple requête que je t’adresse.
UN DÉBUT EN MÉDECINE
(Appartement d’un des grands médecins de Paris.
Peu de luxe, beaucoup de confortable.)
nn docteur savarus. — Voyons, Ernest, voulez-vous
que je vous donne un bon conseil?
christobal. —C’est pour vous en demander un que
je suis venu, cher maître.
— Eh bien ! mon enfant, allez de ce pas ficeler vos
hardes, vos livres et vos souvenirs d’étudiant. Vous
renfermerez le tout à triple cadenas, au fond d’une
malle. Cette première précaution prise, vous courrez à
la gare d’Orléans et vous y prendrez un ticket de trente-
sept francs cinquante centimes, qui vous conduira dans
la jolie petite ville de La Ferté-les-Fraises, votre pays
natal.
— Commentl cher maître, vous m’exilez en province?
— Ernest, la province est trop méconnue. Si je vous
— Nous supprimerons les deux premiers articles
du traité de San-Stéfano.
— Tu iras bien jusqu’au troisième?
— Oui, parce que c’est toi.
— Viens que je te serre sur mon cœur.
— Embrassons-nous tendrement.
Après un mois de guerre entre l’Angleterre et la
Russie, soutenue par la Turquie :
— Tu vois, chère Russie, que je me bats pour toi
comme s’il s’agissait de défendre mes propres inté-
rêts.
— Tu es un ange.
— Il faut tenir compte de ce que je fais pour toi.
— Que désires-tu?
— La suppression des trois autres [articles du
traité de San-Stéfano.
— L’appétit te vient en faisant campagne.
— Les petits cadeaux entretiennent l’amitié.
— Je t’accorde ce que tu me demandes.
— Ah! comme je bénis la guerre qui nous a rap-
prochées l’une de l’autre.
— Avant d’avoir l’occasion de nous rencontrer sur
les champs de bataille nous nous détestions.
— Parce que nous ne nous connaissions pas.
Après un an de guerre.
— Oufl !... Cette lutte est bien dure à soutenir !
— Regretterais-tu, chère Russie, de n’avoir pas
cédé à la pression de l’Angleterre?
— Oh ! non, mais mon commerce est dans un
triste état, et je perds beaucoup de soldats.
— Plus de trente mille de mes enfants sont tom-
bés sur les champs de bataille pour défendre ta
cause.
— On n’estpas meilleure que toi.
— J’agis ainsi par sympathie pour toi, et puis,
aussi, pour vexer l’Angleterre qui m’a excitée contre
toi et engagée à refuser une conférence qui pouvait
tout régler. Mais j’ai encore une petite prière à t’a-
dresser.
— Tes prières sont dgs ordres pour moi.
— Supprimons encore cinq articles du traité de
San-Stéfano.
— Mais ce sont les derniers !
— Tant mieux.
— Tu rentreras dans toutes tes anciennes posses-
sions.
— Cela ne vexera que davantage l’Angleterre, elle
qui soi-disant a entrepris la guerre pour empêcher
le démembrement de l’empire ottoman.
— C’est vrai... Je supprime les derniers articles.
— Quelle bonne farce à jouer à notre ennemie !
— J’en rirai longtemps.
— Moi aussi.
-oîÇ¥>3<r-
Dix-huit mois après.
— Je suis bien fatiguée, chère Russie, et j’aurais
grand besoin de repos.
parle sur ce ton, croyez que c’est pour votre bien. Je
connais la Ferté-les-Fraises, une oasis qui se mire dans
le plus bleu et le plus charmant des affluents de la Loire.
Dans cette contrée, tout est de la plus franche gaîté :
le paysage, les habitants, le vin. On vous y mariera avec
quelque jolie personne de l’endroit, la fille d’un riche
meunier ou celle d’un fermier qui a du foin dans ses
bottes. Vous deviendrez ensuite tout ce que vous vou-
drez, si la mouche de l’ambition vous pique au talon :
maire de la ville, conseiller-général ou député , au
choix.
— Mais, mon cher maître, j'ai fait de fortes études.
— Ça ne vous nuira pas, au contraire.
— Ayant pioché, j’avais rêvé la gloire et la fortune.
— Se peut-il que vous en soyez encore à ces ren-
gaines, Ernest !
— Mon mditre, je vous avoue que...
— Pauvre garçon ! L’amour de la gloire, de nos jours,
conduit tout droit à Charenton; qui est-ce qui ne sait
pas ça? L’amour de la fortune, ça mène très-souvent à
Nouméa ou à Cayenne.
— Mais il faut bien qu’il y ait des médecins à Paris ?
— Sans doute, et il n’en manque pas. Ce n’est pas se
servir d’une hyperbole que de dire qu’il y en a plus
que de malades. Je n’exagère pas non plus en vous
disant que près de 5,000; Ie dis cinq mille, tirent
cruellement le diable par la queue. S’il y en a mille qui
vivent ou à peu près, c’est tout le bout du monde. Deux
cents font de belles affaires, mais si vous saviez à quel
prix 1
— M’abandonnerais-fu ?
— Non ; mais c’est que...
— Le traité de San-Stefano n’existe plus. Que
puis-je encore faire pour toi ?
— Une nation n’a pas été très-aimable à ton
égard, et moi-même j’ai eu à m’en plaindre.
— Je te vois venir : tu voudrais agrandir ton ter-
ritoire. Quelle principauté désirerais-tu t’annexer ?
— La Roumanie !
Adrien Huart.
CHRONIQUE DU JOUR
Ils sont heureux les amateurs de drames judiciaires.
Ils ont du cadavre sur la planche.
Peut-être une autre affaire Billoir.
MM. les assassins nous comblent.
Il s’agit des débris trouvés dans la rue Poliveau. Les
paris sont ouverts.
Ce qui me transporte, ce sont les ardeurs de certains
reporters, voulant donner des leçons à la police, pré-
tendant guider ses recherches.
C’est une façon toute nouvelle de comprendre la
presse. Armand Carrel ne s’en serait jamais douté, à coup
sûr.
Mais puisque le public s’en régale, c’est à lui la faute.
Les bons cléricaux font merveille en Belgique.
Ils avaient organisé l’autre jour une manifestation à
main armée et sont tombés sur les agents de la police,
qui, à ce qu’il paraît, contrariaient leurs élans évangé-
liques.
Ce sont bien les gens qui reprochent au nouveau
pane de ne nas montrer les dents !
Sois fier, Veuillot, on te traduit... en pantomime!
A propos de horions, quelle est cette histoire irrévé-
rencieuse qu’un journal publie au sujet de la Patti?
Il y est question d’une querelle véhémente entre un
artiste et un ténor qu’on dit très-ami de l’ex-marquise.
Le ténor serait tombé à coups de bâtons sur son rival,
et, dans la bagarre, M,,e Patti aurait reçu des éclabous-
sures.
Serait-il possible qu’il y eût du vrai dans ce racontar
que nous ne reproduisons que sous réserve ?
La cantatrice verrait-elle se réaliser la formule con-
nue :
— Autrefois c’était son cœur qui battait, maintenant
c’est sa canne.
A lire un intéressant volume de M. Henri d’ïde-
ville : Vieilles maisons et jeunes souvenirs.
On y trouve de piquants détails sur les origines d’une
foule de notabilités artistiques, littéraires ou politiques
de notre temps.
Succès.
Il y a du bruit dans le Landerneau bonapartiste.
On y parle avec force exaspération de la grande trahi-
son de MM. Dugué de la Fauconnerie et Léonce Du-
pont.
Le parti s’émiette.!
Quelqu’un disait hier à un impérialiste qui tempé^
tait :
— Vous étiez partisan de la dissolution, la voilà.
— Pourquoi ne pas aspirer à être des deux cents ?
— Parce qu’il vous faudrait attendre le succès pen-
dant vingt ans, et que vous auriez mille fois l’occasion
de tomber en route.
— Mais, mon maître, si je commençais en allant
m’établir dans un quartier de pauvres diables, sur la
lisière du faubourg Saint-Antoine, par exemple ?
— Il serait plus aisé pour vous, Ernest, de recom-
mencer, tout seul, la grande et terrible tournée de Li-
vingstone dans l’Afrique centrale, encore inexplorée.
Je ne veux pas dire de mal des pauvres de Paris, au
contraire, mais songez donc qu’il faut être un héros ou
un homme de bronze pour les servir. Irez-vous donc à
pieds, par tous les temps, nuit et jour, de rues en rues,
d’escaliers en escaliers, de galetas en galetas? Et c’est
encore là ce qu’il y a de moins pénible dans cette tâche.
Dix fois par jour, vous trouvant en face de maladies pres-
que toujours invincibles, vous aurez aussi pour spectacle
la misère dans ce qu’elle a de plus lamentable. Je sais
que les grands cœurs ne reculent pas pour si peu. Mais
que pouvez-vous ordonner à des damnés terrestres qui
n’ont pas de quoi payer ni les toniques de la cuisine,
ni les dictâmes de la pharmacie ? Quant à vous-même,
comme, au demeurant, il vous faudra un salaire, vous
recevrez pour émoluments quarante sous, trente sous,
vingt sous, et encore pas toujours. Après dix ans de
cette vie sublimé, mais absorbante, vous serez un
vieillard, et, qui plus est, un vieillard morose, sans
avoir et sans réputation.
cipaux, suspendu de journaux, arrêté de colpor-
teurs ?
— Aucun.
— Combien de cercles, combien de cabarets avez-
vous t'ait fermer ?
— Aucun. Je me suis même appliqué à faire rou-
vrir tous ceux que vous aviez cadenassés.
— Et vous appelez ça une lutte loyale ?
— Trouvez-lui un autre qualificatif, si bon vous
semble.
— Je n’aurais que l’embarras du choix ; car cette
affectation d’impartialité, ce soi-disant respect de
la volonté de l’électeur, ne cachent qu’iniquité et
esprit de parti. Vous ne songez qu’à une chose,
faire aimer votre République ; et, pour arriver à ce
but immoral, vous faussez tous les ressorts de
l’autorité ! Qu’est-ce que c’est qu’un pouvoir qui ne
se manifeste à ses administrés que par des risettes
et des coups de chapeau? Vous avez des parquets,
des gendarmes, des gardes champêtres, des Cocos,
et vous n’en faites rien? C’est indigne, révoltant!
La société ne se sent plus protégée ! Suis-je bien en
sûreté moi-même dans votre cabinet? J’en doute;
carpour endurer tranquillement mes objurgations,il
faut qu’il y ait quelque chausse-trappe dans ce par-
quet, quelque oubliette où vous allez me faire dis-
paraître en poussant un bouton. Vous riez ? Mais
autrement, comment expliquer cette piteuse longa-
nimité ? A votre place, le préfet que vous avez le
déshonneur de remplacer m’aurait fait déjà coffrer
dix fois pour une ! Alors, on sentait peser sur soi la
poigne vigoureuse d’une paternelle administration.
Tandis qu’aujourd’hui, tout va comme j’te pousse,
à la débandade. Liberté par-ci, liberté par-là ! Dé-
sordre partout; immoralité sur toute la ligne ! Vous
faites appel aux plus viles passions démagogiques
en n’emprisonnant personne, en laissant au suffrage
universel ses coudées franches ! Et vous osez dire
que vous ne pressez pas indignement sur lui? —
Pauvre France! Pauvre peuple!... Pauvre gendar-
merie !
Louis Leroy.
PETIT CONTE DES MILLE ET UNE NUITS
La Russie et la Turquie se font toutes sortes de
mamours.
— Ma petite Turquie chérie !
— Ma grande Russie adorée !
— J’ai quelque chose à te demander.
— Je t’accorderai tout ce que tu voudras.
— Nous sommes amies, mais cela ne suffit pas.
Signons un traité d’alliance offensive et défensive.
— Comment!... Ce n’est que cela? Tiens! voici
ma signature. Mais laisse-moi te poser une ques-
tion : Si je t’aide à repousser les attaques de l’An-
gleterre, me donneras-tu un petit souvenir?
— Mais certainement.
— Ce n’est pas une carotte que je te tire, mais
une simple requête que je t’adresse.
UN DÉBUT EN MÉDECINE
(Appartement d’un des grands médecins de Paris.
Peu de luxe, beaucoup de confortable.)
nn docteur savarus. — Voyons, Ernest, voulez-vous
que je vous donne un bon conseil?
christobal. —C’est pour vous en demander un que
je suis venu, cher maître.
— Eh bien ! mon enfant, allez de ce pas ficeler vos
hardes, vos livres et vos souvenirs d’étudiant. Vous
renfermerez le tout à triple cadenas, au fond d’une
malle. Cette première précaution prise, vous courrez à
la gare d’Orléans et vous y prendrez un ticket de trente-
sept francs cinquante centimes, qui vous conduira dans
la jolie petite ville de La Ferté-les-Fraises, votre pays
natal.
— Commentl cher maître, vous m’exilez en province?
— Ernest, la province est trop méconnue. Si je vous
— Nous supprimerons les deux premiers articles
du traité de San-Stéfano.
— Tu iras bien jusqu’au troisième?
— Oui, parce que c’est toi.
— Viens que je te serre sur mon cœur.
— Embrassons-nous tendrement.
Après un mois de guerre entre l’Angleterre et la
Russie, soutenue par la Turquie :
— Tu vois, chère Russie, que je me bats pour toi
comme s’il s’agissait de défendre mes propres inté-
rêts.
— Tu es un ange.
— Il faut tenir compte de ce que je fais pour toi.
— Que désires-tu?
— La suppression des trois autres [articles du
traité de San-Stéfano.
— L’appétit te vient en faisant campagne.
— Les petits cadeaux entretiennent l’amitié.
— Je t’accorde ce que tu me demandes.
— Ah! comme je bénis la guerre qui nous a rap-
prochées l’une de l’autre.
— Avant d’avoir l’occasion de nous rencontrer sur
les champs de bataille nous nous détestions.
— Parce que nous ne nous connaissions pas.
Après un an de guerre.
— Oufl !... Cette lutte est bien dure à soutenir !
— Regretterais-tu, chère Russie, de n’avoir pas
cédé à la pression de l’Angleterre?
— Oh ! non, mais mon commerce est dans un
triste état, et je perds beaucoup de soldats.
— Plus de trente mille de mes enfants sont tom-
bés sur les champs de bataille pour défendre ta
cause.
— On n’estpas meilleure que toi.
— J’agis ainsi par sympathie pour toi, et puis,
aussi, pour vexer l’Angleterre qui m’a excitée contre
toi et engagée à refuser une conférence qui pouvait
tout régler. Mais j’ai encore une petite prière à t’a-
dresser.
— Tes prières sont dgs ordres pour moi.
— Supprimons encore cinq articles du traité de
San-Stéfano.
— Mais ce sont les derniers !
— Tant mieux.
— Tu rentreras dans toutes tes anciennes posses-
sions.
— Cela ne vexera que davantage l’Angleterre, elle
qui soi-disant a entrepris la guerre pour empêcher
le démembrement de l’empire ottoman.
— C’est vrai... Je supprime les derniers articles.
— Quelle bonne farce à jouer à notre ennemie !
— J’en rirai longtemps.
— Moi aussi.
-oîÇ¥>3<r-
Dix-huit mois après.
— Je suis bien fatiguée, chère Russie, et j’aurais
grand besoin de repos.
parle sur ce ton, croyez que c’est pour votre bien. Je
connais la Ferté-les-Fraises, une oasis qui se mire dans
le plus bleu et le plus charmant des affluents de la Loire.
Dans cette contrée, tout est de la plus franche gaîté :
le paysage, les habitants, le vin. On vous y mariera avec
quelque jolie personne de l’endroit, la fille d’un riche
meunier ou celle d’un fermier qui a du foin dans ses
bottes. Vous deviendrez ensuite tout ce que vous vou-
drez, si la mouche de l’ambition vous pique au talon :
maire de la ville, conseiller-général ou député , au
choix.
— Mais, mon cher maître, j'ai fait de fortes études.
— Ça ne vous nuira pas, au contraire.
— Ayant pioché, j’avais rêvé la gloire et la fortune.
— Se peut-il que vous en soyez encore à ces ren-
gaines, Ernest !
— Mon mditre, je vous avoue que...
— Pauvre garçon ! L’amour de la gloire, de nos jours,
conduit tout droit à Charenton; qui est-ce qui ne sait
pas ça? L’amour de la fortune, ça mène très-souvent à
Nouméa ou à Cayenne.
— Mais il faut bien qu’il y ait des médecins à Paris ?
— Sans doute, et il n’en manque pas. Ce n’est pas se
servir d’une hyperbole que de dire qu’il y en a plus
que de malades. Je n’exagère pas non plus en vous
disant que près de 5,000; Ie dis cinq mille, tirent
cruellement le diable par la queue. S’il y en a mille qui
vivent ou à peu près, c’est tout le bout du monde. Deux
cents font de belles affaires, mais si vous saviez à quel
prix 1
— M’abandonnerais-fu ?
— Non ; mais c’est que...
— Le traité de San-Stefano n’existe plus. Que
puis-je encore faire pour toi ?
— Une nation n’a pas été très-aimable à ton
égard, et moi-même j’ai eu à m’en plaindre.
— Je te vois venir : tu voudrais agrandir ton ter-
ritoire. Quelle principauté désirerais-tu t’annexer ?
— La Roumanie !
Adrien Huart.
CHRONIQUE DU JOUR
Ils sont heureux les amateurs de drames judiciaires.
Ils ont du cadavre sur la planche.
Peut-être une autre affaire Billoir.
MM. les assassins nous comblent.
Il s’agit des débris trouvés dans la rue Poliveau. Les
paris sont ouverts.
Ce qui me transporte, ce sont les ardeurs de certains
reporters, voulant donner des leçons à la police, pré-
tendant guider ses recherches.
C’est une façon toute nouvelle de comprendre la
presse. Armand Carrel ne s’en serait jamais douté, à coup
sûr.
Mais puisque le public s’en régale, c’est à lui la faute.
Les bons cléricaux font merveille en Belgique.
Ils avaient organisé l’autre jour une manifestation à
main armée et sont tombés sur les agents de la police,
qui, à ce qu’il paraît, contrariaient leurs élans évangé-
liques.
Ce sont bien les gens qui reprochent au nouveau
pane de ne nas montrer les dents !
Sois fier, Veuillot, on te traduit... en pantomime!
A propos de horions, quelle est cette histoire irrévé-
rencieuse qu’un journal publie au sujet de la Patti?
Il y est question d’une querelle véhémente entre un
artiste et un ténor qu’on dit très-ami de l’ex-marquise.
Le ténor serait tombé à coups de bâtons sur son rival,
et, dans la bagarre, M,,e Patti aurait reçu des éclabous-
sures.
Serait-il possible qu’il y eût du vrai dans ce racontar
que nous ne reproduisons que sous réserve ?
La cantatrice verrait-elle se réaliser la formule con-
nue :
— Autrefois c’était son cœur qui battait, maintenant
c’est sa canne.
A lire un intéressant volume de M. Henri d’ïde-
ville : Vieilles maisons et jeunes souvenirs.
On y trouve de piquants détails sur les origines d’une
foule de notabilités artistiques, littéraires ou politiques
de notre temps.
Succès.
Il y a du bruit dans le Landerneau bonapartiste.
On y parle avec force exaspération de la grande trahi-
son de MM. Dugué de la Fauconnerie et Léonce Du-
pont.
Le parti s’émiette.!
Quelqu’un disait hier à un impérialiste qui tempé^
tait :
— Vous étiez partisan de la dissolution, la voilà.
— Pourquoi ne pas aspirer à être des deux cents ?
— Parce qu’il vous faudrait attendre le succès pen-
dant vingt ans, et que vous auriez mille fois l’occasion
de tomber en route.
— Mais, mon maître, si je commençais en allant
m’établir dans un quartier de pauvres diables, sur la
lisière du faubourg Saint-Antoine, par exemple ?
— Il serait plus aisé pour vous, Ernest, de recom-
mencer, tout seul, la grande et terrible tournée de Li-
vingstone dans l’Afrique centrale, encore inexplorée.
Je ne veux pas dire de mal des pauvres de Paris, au
contraire, mais songez donc qu’il faut être un héros ou
un homme de bronze pour les servir. Irez-vous donc à
pieds, par tous les temps, nuit et jour, de rues en rues,
d’escaliers en escaliers, de galetas en galetas? Et c’est
encore là ce qu’il y a de moins pénible dans cette tâche.
Dix fois par jour, vous trouvant en face de maladies pres-
que toujours invincibles, vous aurez aussi pour spectacle
la misère dans ce qu’elle a de plus lamentable. Je sais
que les grands cœurs ne reculent pas pour si peu. Mais
que pouvez-vous ordonner à des damnés terrestres qui
n’ont pas de quoi payer ni les toniques de la cuisine,
ni les dictâmes de la pharmacie ? Quant à vous-même,
comme, au demeurant, il vous faudra un salaire, vous
recevrez pour émoluments quarante sous, trente sous,
vingt sous, et encore pas toujours. Après dix ans de
cette vie sublimé, mais absorbante, vous serez un
vieillard, et, qui plus est, un vieillard morose, sans
avoir et sans réputation.