QUARANTE-HUITIÈME ANNÉE
Prix du Numéro : 25 centimes
DIMANCHE 1*' JUIN. 1879
ABONNEMENTS
PARIS
Trois mois... 18 fr.
Six mois. 36 —
Un an. 12 —
les abonnements partent des i" et te de chaque moü
DIRECTION
Politique, Littéraire et Artistique
PIERRE VÉRON
Rédacteur en Chef.
BUREAUX
DE LA RÉDACTION ET DE L’ADMINISTRATION
Rue de la Victoire, 20
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
Trois mois...7.7# 20 IL
Six mois... 40 —
Un an. 80 —
L’abonnement d un an donne droit à la prime preAit.
DIRECTION
Politique, Littéraire et Artistique
PIERRE VÉRON
Rédacteur en Chef.
ANNONCES
ADOLPHE EWIG, fermier de la publicité
Rue Fléchier, 2.
■tes ateliers étant fermés aujourd’hui jour de la Pentecôte,
le Charivari ne paraîtra pas demain lundi.
BULLETIN POLITIQUE
C’est voté.
L'Académie française, ayant à choisir entre deux
nommes, a opte pour ie sieur Emile Ollivier contre
la tombe de M. Thiers.
D ne manquait plus à l’Académie que de prouver
sz malfaisance après avoir tant démontré son inu-
tilité.
Les journaux ont raconté avec détails comment
les choses se passèrent.
M. Dumas parla'le premier, — non pas Dumas le
lettré, mais Dumas le chimiste; celui qui, homme
de science seulement, n’a absolument rien à voir
dans un cénacle littéraire. Ce qui fait qu’il y est
prépondérant.
Ne pas oublier que ce même Dumas-là est, par-
dessus le marché, profondément bonapartiste. En
vertu de quoi il devait être fortement désireux de
faire une niche au cercueil de l’ancien Président de
la République.
D’après un coinpte rendu détaillé, M. Dumas le
chimiste commença par proposer le renvoi à six
mois.
C’était la manœuvre combinée dans la coulisse.
M. Dumas le chimiste motiva ainsi sa proposi-
tion :
k Toutes les autres solutions qu’on suggère me
paraissent inacceptables. La lecture des deux dis-
cours entraînerait la suppression de la lecture pu-
blique; la simple lecture des passages contestés
tluvait le double inconvénient de ne donner qu’une
Il0d°n imparfaite des discours et suitout de rejeter
Sur la compagnie entière la responsabilité que la
—'OorninjggjQ d’après le règlement, doit assumer
seule.
” lransporterauchancelier ou à tout autremembre
la misSj0I1 pr0n0ncer le discours après l’avoir
cl CVee au directeur, ce serait entrer dans des voies
’)0inc les Pleines de dangers et créer un précédent
n ne saurait calculer les conséquences. Ce
‘ 0Rlre, violer le règlement, qui admet bien
Tlée un directeur empêché, mais qui ne
5 lui retirer la fonction qu'il n’aban-
*'°ur la transférer à un autre. »
r°Ulïientation qui ne tient pas debout.
, règlement qui puisse pi évaloir con-
er>Ée aussi scandaleuse que celle dont
6 C.'t’ douné par un Emile Ollivier faisant
• ca aVre de celui qui a libéré le lerri-
lier-Fleiiry^ justement indigné, répliqua.
Il parlait polir le bon drijît, pour le bon goût,
pour la morale publique.
Car c’est une révoltante monstruosité que de voir
un impuni, qui devrait être un condamné, s’ériger
en juge et parader, la provocation aux lèvres.
M. Cuvillier-Fleury proposait d’entendre les pas-
sages odieux de la harangua Ollivier, puis de dé-
clarer que, celui-ci étant irdigne de la mission que
le hasard avait eu le malheur de lui confier, on
allait en charger un autre académicien.
Bref, car il est trop lugubre d’insister sur les pé-
ripéties de cette séance lamentable, l’Académie,
signant sa déchéance, a opiné pour le Cœur-Léger.
M. Thiers fera antichambre.
A six mois le gêneur !
Pendant ce temps, impassible, faisant la roue,
prenant ce tapage pour une réhabilitation, le rené-
gat de la ]jberté était là, un sourire répulsif sur les
lèvres.
Voilà à quoi s’expose un corps qui fait note de
servilisme, en un jour de flagornerie.
L’Académie boira son Emile jusqu’à la lie.
Elle alla, poussée par une adulation misérable,
chercher cet homme, quand il n’avait d’autres titres
que le morceau de maroquin qu’il portait sous le
bras.
S’établissant complice de son apostasie, elle
s’aplatit devant cette nullité chargée de reliques.
Les résultats sont terriblement vengeurs.
L’ajournement à six mois est à la fois un déni de
justice et une niaiserie.
Car dans six mois les choses se retrouveront
dans une situation parfaitement identique.
Et il faudra recommencer.
Notez que M. Ollivier, cause de tout ce tumulte,
n’a pu obtenir pour son compte l’honneur de la ré-
ception publique.
Il a pénétré furtivement dans la place, et mainte-
nant il prétend s’y faire un piédestal des pierres que
la réprobation universelle lui a jetées !
Nous l’avons dit déjà, il est le comble du cy-
nisme.
Mais il ne nous déplaît pas, en somme, qu’il en
soit ainsi.
La haine de l’homme qui a amené les Prussiens
en France est le plus décisif de tous les hommages
qui puissent être rendus à la mémoire de l’homme
qui les en a fait sortir.
Celui-ci complète et consacre tous les antres.
Quant à l’Académie française, elle dégringole,
dégringole, dégringole, à chaque manifestation.
Elle s’était déjà tristement signalée par bien des
choses ineptes. Il semblait qu’aucune faute ne lui
restât à commettre.
Elle a trouvé moyen de renchérir sur sa propre
décadence
Aujourd’hui il est impossible d’aller plus loin.
Le public a prononcé une condamnation sans
appel contre cette coterie du coin du quai qui ne
peut faire rien de bien alors même qu’elle ne ferait
rien de mal.
Ce débris antédiluvien est à mettre au rancart.
Foyer de conspiration réactionnaire pendant de
longues années, l’Académie diminue les hommes de
talent sans relever les médiocres.
Au panier les déf-loa à nalmçs I
Véron,
LE Dr PIORRY
Je le vois encore, tel qu’il m’apparut la dernière
fois que le hasard me le fit rencontrer.
C’était il y a un an... dans les bois de Chaville.
En haut, tout en haut d’un sentier à la pente ra-
pide, un homme descendait, accompagné de deux
dames.
L’homme — il faisait chaud par hasard ce jour-là
— avait mis habit bas et portait ce vêtement su-
perflu au bout de sa canne.
Ainsi délivré, il s’avançait en gambadant gaie-
ment et en chantant à pleins poumons.
— Un étudiant faisant l’école buissonnière, pen-
sai-je.
Puis, avec un soupir :
— Heureux âge !
L’inconnu, cependant, descendait toujours.
Bientôt il fut près de moi, car il marchait d’un
fier pas, je vous en réponds.
Et alors... stupéfaciion ! dans le soi-disant étu-
diant aux ébats joyeux, je reconnais le docteur
Piorry, un octogénaire comme n’en voit pas.
Passe encor de courir, mais sauter à cet âge I
Le fait est que, jusqu’à sa dernière année, Piorry
resta prodigieux de vitalité et de verdeur.
Remarié, il y a quelque temps, à une charmante
jeune personne — une de celles qui l’accompa-
gnaient à travers bois — il se cambrait fièrement
dans sa haute stature que l’âge n’avait pu défor-
mer.
Grâce à d’habiles artifices, sa chevelure et sa
barbe avaient l’impeccable noirceur de l’ébène.
Trop d’ébène peut-être.
Mais c’était un détail insignifiant qui n’empê-
chait pas ce vieillard étonnant de défier tous les
calendriers.
La tête, au teint bistré, avait un accent énergi-
que, d’ailleurs, qui avertissait son monde. On sen-
tait qu’on n’avait pas affaire à un banal.
Oh! non... C’était plutôt par l’excès contraire
que péchait celle qui vient de disparaître.
En médecine, après avoir été un audacieux cher-
cheur, il était devenu sur le tard un systématique
qui frisait un brin la manie.
Son plessimètre obligatoire, son bi-carbonate de
soude à hautes doses, étaient deux chevaux de ba-
taille d’où il ne descendait pas assez souvent.
Le plessimètre, petit instrument destiné à sensi-
biliser la sonorité de la percussion, lui servait à
explorer du dehors le volume des organes.
C’était sa joie d’allonger un patient sur une table,
et de dessiner sur sa peau une carte géographique,
où les villes et les pays étaient remplacés par le
cœur, le foie, etc.
Piorry avait été un des plus vaillants professeurs
de la Faculté.
Mis à la retraite, il ne pouvait se consoler d« la
perte de sa chaire.
Prix du Numéro : 25 centimes
DIMANCHE 1*' JUIN. 1879
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PIERRE VÉRON
Rédacteur en Chef.
BUREAUX
DE LA RÉDACTION ET DE L’ADMINISTRATION
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ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
Trois mois...7.7# 20 IL
Six mois... 40 —
Un an. 80 —
L’abonnement d un an donne droit à la prime preAit.
DIRECTION
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PIERRE VÉRON
Rédacteur en Chef.
ANNONCES
ADOLPHE EWIG, fermier de la publicité
Rue Fléchier, 2.
■tes ateliers étant fermés aujourd’hui jour de la Pentecôte,
le Charivari ne paraîtra pas demain lundi.
BULLETIN POLITIQUE
C’est voté.
L'Académie française, ayant à choisir entre deux
nommes, a opte pour ie sieur Emile Ollivier contre
la tombe de M. Thiers.
D ne manquait plus à l’Académie que de prouver
sz malfaisance après avoir tant démontré son inu-
tilité.
Les journaux ont raconté avec détails comment
les choses se passèrent.
M. Dumas parla'le premier, — non pas Dumas le
lettré, mais Dumas le chimiste; celui qui, homme
de science seulement, n’a absolument rien à voir
dans un cénacle littéraire. Ce qui fait qu’il y est
prépondérant.
Ne pas oublier que ce même Dumas-là est, par-
dessus le marché, profondément bonapartiste. En
vertu de quoi il devait être fortement désireux de
faire une niche au cercueil de l’ancien Président de
la République.
D’après un coinpte rendu détaillé, M. Dumas le
chimiste commença par proposer le renvoi à six
mois.
C’était la manœuvre combinée dans la coulisse.
M. Dumas le chimiste motiva ainsi sa proposi-
tion :
k Toutes les autres solutions qu’on suggère me
paraissent inacceptables. La lecture des deux dis-
cours entraînerait la suppression de la lecture pu-
blique; la simple lecture des passages contestés
tluvait le double inconvénient de ne donner qu’une
Il0d°n imparfaite des discours et suitout de rejeter
Sur la compagnie entière la responsabilité que la
—'OorninjggjQ d’après le règlement, doit assumer
seule.
” lransporterauchancelier ou à tout autremembre
la misSj0I1 pr0n0ncer le discours après l’avoir
cl CVee au directeur, ce serait entrer dans des voies
’)0inc les Pleines de dangers et créer un précédent
n ne saurait calculer les conséquences. Ce
‘ 0Rlre, violer le règlement, qui admet bien
Tlée un directeur empêché, mais qui ne
5 lui retirer la fonction qu'il n’aban-
*'°ur la transférer à un autre. »
r°Ulïientation qui ne tient pas debout.
, règlement qui puisse pi évaloir con-
er>Ée aussi scandaleuse que celle dont
6 C.'t’ douné par un Emile Ollivier faisant
• ca aVre de celui qui a libéré le lerri-
lier-Fleiiry^ justement indigné, répliqua.
Il parlait polir le bon drijît, pour le bon goût,
pour la morale publique.
Car c’est une révoltante monstruosité que de voir
un impuni, qui devrait être un condamné, s’ériger
en juge et parader, la provocation aux lèvres.
M. Cuvillier-Fleury proposait d’entendre les pas-
sages odieux de la harangua Ollivier, puis de dé-
clarer que, celui-ci étant irdigne de la mission que
le hasard avait eu le malheur de lui confier, on
allait en charger un autre académicien.
Bref, car il est trop lugubre d’insister sur les pé-
ripéties de cette séance lamentable, l’Académie,
signant sa déchéance, a opiné pour le Cœur-Léger.
M. Thiers fera antichambre.
A six mois le gêneur !
Pendant ce temps, impassible, faisant la roue,
prenant ce tapage pour une réhabilitation, le rené-
gat de la ]jberté était là, un sourire répulsif sur les
lèvres.
Voilà à quoi s’expose un corps qui fait note de
servilisme, en un jour de flagornerie.
L’Académie boira son Emile jusqu’à la lie.
Elle alla, poussée par une adulation misérable,
chercher cet homme, quand il n’avait d’autres titres
que le morceau de maroquin qu’il portait sous le
bras.
S’établissant complice de son apostasie, elle
s’aplatit devant cette nullité chargée de reliques.
Les résultats sont terriblement vengeurs.
L’ajournement à six mois est à la fois un déni de
justice et une niaiserie.
Car dans six mois les choses se retrouveront
dans une situation parfaitement identique.
Et il faudra recommencer.
Notez que M. Ollivier, cause de tout ce tumulte,
n’a pu obtenir pour son compte l’honneur de la ré-
ception publique.
Il a pénétré furtivement dans la place, et mainte-
nant il prétend s’y faire un piédestal des pierres que
la réprobation universelle lui a jetées !
Nous l’avons dit déjà, il est le comble du cy-
nisme.
Mais il ne nous déplaît pas, en somme, qu’il en
soit ainsi.
La haine de l’homme qui a amené les Prussiens
en France est le plus décisif de tous les hommages
qui puissent être rendus à la mémoire de l’homme
qui les en a fait sortir.
Celui-ci complète et consacre tous les antres.
Quant à l’Académie française, elle dégringole,
dégringole, dégringole, à chaque manifestation.
Elle s’était déjà tristement signalée par bien des
choses ineptes. Il semblait qu’aucune faute ne lui
restât à commettre.
Elle a trouvé moyen de renchérir sur sa propre
décadence
Aujourd’hui il est impossible d’aller plus loin.
Le public a prononcé une condamnation sans
appel contre cette coterie du coin du quai qui ne
peut faire rien de bien alors même qu’elle ne ferait
rien de mal.
Ce débris antédiluvien est à mettre au rancart.
Foyer de conspiration réactionnaire pendant de
longues années, l’Académie diminue les hommes de
talent sans relever les médiocres.
Au panier les déf-loa à nalmçs I
Véron,
LE Dr PIORRY
Je le vois encore, tel qu’il m’apparut la dernière
fois que le hasard me le fit rencontrer.
C’était il y a un an... dans les bois de Chaville.
En haut, tout en haut d’un sentier à la pente ra-
pide, un homme descendait, accompagné de deux
dames.
L’homme — il faisait chaud par hasard ce jour-là
— avait mis habit bas et portait ce vêtement su-
perflu au bout de sa canne.
Ainsi délivré, il s’avançait en gambadant gaie-
ment et en chantant à pleins poumons.
— Un étudiant faisant l’école buissonnière, pen-
sai-je.
Puis, avec un soupir :
— Heureux âge !
L’inconnu, cependant, descendait toujours.
Bientôt il fut près de moi, car il marchait d’un
fier pas, je vous en réponds.
Et alors... stupéfaciion ! dans le soi-disant étu-
diant aux ébats joyeux, je reconnais le docteur
Piorry, un octogénaire comme n’en voit pas.
Passe encor de courir, mais sauter à cet âge I
Le fait est que, jusqu’à sa dernière année, Piorry
resta prodigieux de vitalité et de verdeur.
Remarié, il y a quelque temps, à une charmante
jeune personne — une de celles qui l’accompa-
gnaient à travers bois — il se cambrait fièrement
dans sa haute stature que l’âge n’avait pu défor-
mer.
Grâce à d’habiles artifices, sa chevelure et sa
barbe avaient l’impeccable noirceur de l’ébène.
Trop d’ébène peut-être.
Mais c’était un détail insignifiant qui n’empê-
chait pas ce vieillard étonnant de défier tous les
calendriers.
La tête, au teint bistré, avait un accent énergi-
que, d’ailleurs, qui avertissait son monde. On sen-
tait qu’on n’avait pas affaire à un banal.
Oh! non... C’était plutôt par l’excès contraire
que péchait celle qui vient de disparaître.
En médecine, après avoir été un audacieux cher-
cheur, il était devenu sur le tard un systématique
qui frisait un brin la manie.
Son plessimètre obligatoire, son bi-carbonate de
soude à hautes doses, étaient deux chevaux de ba-
taille d’où il ne descendait pas assez souvent.
Le plessimètre, petit instrument destiné à sensi-
biliser la sonorité de la percussion, lui servait à
explorer du dehors le volume des organes.
C’était sa joie d’allonger un patient sur une table,
et de dessiner sur sa peau une carte géographique,
où les villes et les pays étaient remplacés par le
cœur, le foie, etc.
Piorry avait été un des plus vaillants professeurs
de la Faculté.
Mis à la retraite, il ne pouvait se consoler d« la
perte de sa chaire.