,RANTE-H U1TIÈMË ANNÉE
Prix du Numéro : 25 centimes
LUNDI Ie*' SEPTEMBRE 1879
n
\
abonnements
PARIS
Trois mois. 1 s fr.
Six mois .. 36 —
Un an. 72 —
les abonnements partent des i" et te de chaque mo%
DIRECTION
Politique, Littéraire et Artistique
PIERRE VÉRON
Rédacteur en Chef.
BUREAUX
DE LA RÉDACTION KT DE -L'ADMINISTRATION
Rne de la Victoire, 20
/ournal
ABONNEMENTS
départements
Trois mois... 20 &>
Six mois. 40 «*■
Un an—.. 80 —
L’abonnement d un an donne droit à la prime greiie.
DIRECTION
Politique, Littéraire et Artistique
PIERRE VÉRON
Rédacteur en Chef.
ANNONCES
ADOLPHE EWIG, FERMIER DE LA PUBLICITÉ
Rue Fléchier, 2.
LE CHARIVARI
BULLETIN POLITIQUE
M. Bardoux a prononcé, à l’ouverture de la ses-
sion annuelle de l’Association française pour l’a-
vancement des sciences, un curieux discours sur
les réformes que réclame impérieusement notre en*,
seignement universitaire.
La question se pose ainsi devant tous et s’im-
pose.
Beaucoup des observations formulées par M. Bar-
doUx sont justes. Mais je crois que ses conclusions
Be vont pas jusqu’au bout du nécessaire.
4près avoir cité Montaigne, disant qu’il ne faut
Pas faire des ânes chargés de livres, M. Bardoux
continue :
« C’est la mémoire, une trop grande importance
attachée aux mots, qui est un des vices des mé-
thodes de l’enseignement secondaire. Rollin déjà
lui adressait ce reproche. Le mal n’a fait que s’ac-
croître, depuis que le but poursuivi est le bacca-
lauréat. Se préparer aux examens est la préoccu-
pation ; aussi, plus de curiosité d’esprit, plus de
goût pour les billes choses, et, après sept années
consacrées à l’étude (le l’antiquité, une aversion
pour les grandes; c’est à notre organisation sociale
qu’en partie ces reproches doivent être adressés ;
avant la Révolution, on élevait tous les jeunes gens
comme s’ils se destinaient à être prêtres ; de nos
jours, la multiplication des écoles spéciales, la né-
cessité d’une limite d’âge souvent fort étroite, le
désir de devenir le plus vite possible un fonction -
ûaire, l’ascension toujours croissante de la démo-
cratie, ont imposé des systèmes qu’on ne peut
qu’améliorer, mais qu’on s’efforcerait vainement
de détruire. Le moule dans lequel se meut et se dé-
veloppe la société française est d’une telle forme,
d'uue telle résistance qu’il serait puéril d’espérer le
briser. Des réformes radicales dans notre enseigne-
ment secondaire sont chimériques. »
Ne vous semble-t-il pas qu’il y a absolue con-
tradiction entre le principe et la conclusion?
— L’enseignement actuel fait tout reposer sur la
hiémoire, ce qui est fatal. Donc il ne faut pas opé-
cr de réformes radicales dans cet enseignement.
Radical signifie qui s’en prend à la racine des
abus.
Or, c’est bien ici la racine qui est attaquée, ce
bous semble.
Oui, M. Bardoux a raison, on fait de l’élève une
^ "ckine à réciter, et c’est absurde.
ouremoi donc recule-t-il devant les conséquen-
propre affirmation ?
rdoux se montre également découragé en
concerne le mode matériel de vie imposé à
er.
- encore il commence par démontrer la néces-
“e de détruire, pour finir en affirmant qu’on ne
ruira pas.
ite :
i ne sait les périls et les défauts de l'internai»
dont le mécanisûîe, comme on l’a ’clîtT—tl pour pièce
principale le maître d’études? Qui ne connaît les
dangers pour l’éducation de cette petite société ar-
tificielle?
» Sans doute, au point de vue hygiénique, nous
aurons des établissements plus vastes, plus aérés ;
sans doute nous construirons, en plus grand nom-
bre, des petits lycées pour les plus jeunes écoliers.
Mais, quelles que soient les améliorations, croit-on
que l'habitation dans les lycées de tous les enfants
des classes moyennes pendant les années décisives
de la vie ne leur laisse pas une empreinte ineffa-
çable? Croyez-vous que sept ou huit ans d’internat
soient sans conséquence pour l’initiative du carac-
tère, pour l’originalité de l’esprit et pour l’amour de
la famille ?
» Il ne faut pas croire qu’on pourra transformer
nos maîtres d’études en tuteurs à la façon anglaise,
ou qu’à leur défaut on pourrait charger les meilleurs
élèves de contribuer au maintien de la discipline.
» On ne trouvera pas davantage, comme en Alle-
magne, ces familles honorables qui, depuis plus
d’un siècle, consentent à donner aux élèves de gym-
nases le vivre et le couvert à bon compte, et les
traitent comme les camarades et les enfants de la
maison.
» L’internat subsistera. »
L’internat a, par ma foi, bien d’autres périls.
C’est l’agent de corruption le plus terrible qu’il y
ait.
Pourquoi dire :
— Le mal est affreux, mais il faut qu’il soit.
Il faut qu’il ne soit pas, au contraire.
Qu’on n’arrive pas à une cure immédiate, c’est
possible. Mais ce n’est pas une raison pour aban-
donner la partie.
Ailleurs, l’honorable M. Bardoux dit :
« Il ne peut être question un seul instant de sup-
primer l’étude du grec et du latin, d’enlever à l’es-
prit de l’enfant la connaissance de ces chefs-d’œu-
vre de poésie et d’éloquence, de sagesse et de bon
sens, de ces beautés morales où l’humanité s’est
tant de fois désaltérée, où elle a repris confiance
en elle-même aux heures les plus sombres de ses
destinées.
» Mille fois non ! Ne plus connaître Homère et
Platon, Eschyle et Sophocle, Virgile et Horace,
Cicéron et Sénèque ! qui peut y songer? Ce serq.it
faire la nuit dans l’intelligence ! Il s’agit de suppri-
mer la méthode inventée dans use époque où non-
seulement les sciences n’avaient pas acquis toute
leur importance, mais où les conditions sociales
étaient différentes.
» Il ne peut être question d’altérer le caractère
de notre esprit national, ni même de diminuer
l’importance de la culture du goût ! Doit-on seule-
ment employer encore huit ans à ne pas apprendre
le latin ? »
Ne plus connaître Sénèque serait, assure l’hono-
rable M. Bardoux, faire la nuit dans les intelligen-
ces.
Et plus bas, il déclare lui-même que l’on em-
ploie actuellement huit ans à ne pas apprendre le
latin.
Si on ne sait pas le latin, on ne connaît donc pas
Sénèque? Et c’est la méthode actuelle qui fait la
nuit.
Nuit bien plus profonde, à notre avis, quand on
ne connaît ni Shakespeare, ni le Dante, ni Goethe,
ni Hugo
L’honorable M. Bardoux, en fin lettré, en esprit
délicat qu’il est, sait mieux que personne les vices
de l’enseignement actuel.
Mais il n’ose faire table rase. En ceci il a rai-
son.
Seulement, à condition de ne pas limiter les ré-
formes, mais à les échelonner.
L’avenir est au remplacement des langues mortes
par les langues vivantes, à l’abolition de l’internat,
à l’éducation générale réduite pour faire place large
à l’éducation professionnelle, voilà l’évidence.
M. Bardoux le sait comme nous.
11 n’a pas jugé opportun de le proclamer tout
haut. Mais soyez sûrs qu’il se l’est murmuré tout
bas.
Pierre Véron.
~--O--
UNE NOUVELLE CONVERSATION
Le comte de Chambord, lui aussi, a voulu avoir
un véritable entretien avec quelqu’un.
Il a adressé la lettre suivante, non pas à un gros
financier, mais à un célèbre tailleur qui fait des cos
tûmes complets à trentc-ciaq francs :
Monsieur,
Je désirerais avoir un entretien avec vous, ayez
donc la bonté de passer à Frohsdorff.
Et le célèbre tailleur comptant sur une forte com-
mande, s’est empressé de se rendre à cet appel.
— Monsieur, lui a dit le comte, je désirerais faire
connaître sérieusement ma ligne politique à ceux
qui m’attendent comme le Messie. Interrogez-moi
donc, et je vous répondrai sans chercher à cacher
la vérité. Vous distribuez dans les rues un grand
nombre de prospectus, vous pourrez publier sur le
verso toute la conversation que vous aurez eue
avec moi.
— Pardon, sire, mais je ne comprends pas bien
vos intentions. Pourquoi ne vous adressez-vous pas
à vos parlisans?
— Parce qu'ils ne savent que me flatter, et qu’ils
évitent de me faire connaître la vérité. Interrogez-
moi et répondez moi avec la franchise du paysan
du Danube. J’atlends vos questions,
— Vous espérez donc devenir roi de Frauce?
— Parbleu!... sans cela est-ce que je me donne-
rais tant de mall
■—Je ne vous dissimulerai pas que votre parti est
un peu usé.
— Mais je veux le remettre à neuf.
— Est-ce pour lui donner un coup de fer que vous
m’avez fait venir ?
— Non, mais je veux me passer des classes éle-
, vées qui ne parviendront jamais à faire triompher
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BULLETIN POLITIQUE
M. Bardoux a prononcé, à l’ouverture de la ses-
sion annuelle de l’Association française pour l’a-
vancement des sciences, un curieux discours sur
les réformes que réclame impérieusement notre en*,
seignement universitaire.
La question se pose ainsi devant tous et s’im-
pose.
Beaucoup des observations formulées par M. Bar-
doUx sont justes. Mais je crois que ses conclusions
Be vont pas jusqu’au bout du nécessaire.
4près avoir cité Montaigne, disant qu’il ne faut
Pas faire des ânes chargés de livres, M. Bardoux
continue :
« C’est la mémoire, une trop grande importance
attachée aux mots, qui est un des vices des mé-
thodes de l’enseignement secondaire. Rollin déjà
lui adressait ce reproche. Le mal n’a fait que s’ac-
croître, depuis que le but poursuivi est le bacca-
lauréat. Se préparer aux examens est la préoccu-
pation ; aussi, plus de curiosité d’esprit, plus de
goût pour les billes choses, et, après sept années
consacrées à l’étude (le l’antiquité, une aversion
pour les grandes; c’est à notre organisation sociale
qu’en partie ces reproches doivent être adressés ;
avant la Révolution, on élevait tous les jeunes gens
comme s’ils se destinaient à être prêtres ; de nos
jours, la multiplication des écoles spéciales, la né-
cessité d’une limite d’âge souvent fort étroite, le
désir de devenir le plus vite possible un fonction -
ûaire, l’ascension toujours croissante de la démo-
cratie, ont imposé des systèmes qu’on ne peut
qu’améliorer, mais qu’on s’efforcerait vainement
de détruire. Le moule dans lequel se meut et se dé-
veloppe la société française est d’une telle forme,
d'uue telle résistance qu’il serait puéril d’espérer le
briser. Des réformes radicales dans notre enseigne-
ment secondaire sont chimériques. »
Ne vous semble-t-il pas qu’il y a absolue con-
tradiction entre le principe et la conclusion?
— L’enseignement actuel fait tout reposer sur la
hiémoire, ce qui est fatal. Donc il ne faut pas opé-
cr de réformes radicales dans cet enseignement.
Radical signifie qui s’en prend à la racine des
abus.
Or, c’est bien ici la racine qui est attaquée, ce
bous semble.
Oui, M. Bardoux a raison, on fait de l’élève une
^ "ckine à réciter, et c’est absurde.
ouremoi donc recule-t-il devant les conséquen-
propre affirmation ?
rdoux se montre également découragé en
concerne le mode matériel de vie imposé à
er.
- encore il commence par démontrer la néces-
“e de détruire, pour finir en affirmant qu’on ne
ruira pas.
ite :
i ne sait les périls et les défauts de l'internai»
dont le mécanisûîe, comme on l’a ’clîtT—tl pour pièce
principale le maître d’études? Qui ne connaît les
dangers pour l’éducation de cette petite société ar-
tificielle?
» Sans doute, au point de vue hygiénique, nous
aurons des établissements plus vastes, plus aérés ;
sans doute nous construirons, en plus grand nom-
bre, des petits lycées pour les plus jeunes écoliers.
Mais, quelles que soient les améliorations, croit-on
que l'habitation dans les lycées de tous les enfants
des classes moyennes pendant les années décisives
de la vie ne leur laisse pas une empreinte ineffa-
çable? Croyez-vous que sept ou huit ans d’internat
soient sans conséquence pour l’initiative du carac-
tère, pour l’originalité de l’esprit et pour l’amour de
la famille ?
» Il ne faut pas croire qu’on pourra transformer
nos maîtres d’études en tuteurs à la façon anglaise,
ou qu’à leur défaut on pourrait charger les meilleurs
élèves de contribuer au maintien de la discipline.
» On ne trouvera pas davantage, comme en Alle-
magne, ces familles honorables qui, depuis plus
d’un siècle, consentent à donner aux élèves de gym-
nases le vivre et le couvert à bon compte, et les
traitent comme les camarades et les enfants de la
maison.
» L’internat subsistera. »
L’internat a, par ma foi, bien d’autres périls.
C’est l’agent de corruption le plus terrible qu’il y
ait.
Pourquoi dire :
— Le mal est affreux, mais il faut qu’il soit.
Il faut qu’il ne soit pas, au contraire.
Qu’on n’arrive pas à une cure immédiate, c’est
possible. Mais ce n’est pas une raison pour aban-
donner la partie.
Ailleurs, l’honorable M. Bardoux dit :
« Il ne peut être question un seul instant de sup-
primer l’étude du grec et du latin, d’enlever à l’es-
prit de l’enfant la connaissance de ces chefs-d’œu-
vre de poésie et d’éloquence, de sagesse et de bon
sens, de ces beautés morales où l’humanité s’est
tant de fois désaltérée, où elle a repris confiance
en elle-même aux heures les plus sombres de ses
destinées.
» Mille fois non ! Ne plus connaître Homère et
Platon, Eschyle et Sophocle, Virgile et Horace,
Cicéron et Sénèque ! qui peut y songer? Ce serq.it
faire la nuit dans l’intelligence ! Il s’agit de suppri-
mer la méthode inventée dans use époque où non-
seulement les sciences n’avaient pas acquis toute
leur importance, mais où les conditions sociales
étaient différentes.
» Il ne peut être question d’altérer le caractère
de notre esprit national, ni même de diminuer
l’importance de la culture du goût ! Doit-on seule-
ment employer encore huit ans à ne pas apprendre
le latin ? »
Ne plus connaître Sénèque serait, assure l’hono-
rable M. Bardoux, faire la nuit dans les intelligen-
ces.
Et plus bas, il déclare lui-même que l’on em-
ploie actuellement huit ans à ne pas apprendre le
latin.
Si on ne sait pas le latin, on ne connaît donc pas
Sénèque? Et c’est la méthode actuelle qui fait la
nuit.
Nuit bien plus profonde, à notre avis, quand on
ne connaît ni Shakespeare, ni le Dante, ni Goethe,
ni Hugo
L’honorable M. Bardoux, en fin lettré, en esprit
délicat qu’il est, sait mieux que personne les vices
de l’enseignement actuel.
Mais il n’ose faire table rase. En ceci il a rai-
son.
Seulement, à condition de ne pas limiter les ré-
formes, mais à les échelonner.
L’avenir est au remplacement des langues mortes
par les langues vivantes, à l’abolition de l’internat,
à l’éducation générale réduite pour faire place large
à l’éducation professionnelle, voilà l’évidence.
M. Bardoux le sait comme nous.
11 n’a pas jugé opportun de le proclamer tout
haut. Mais soyez sûrs qu’il se l’est murmuré tout
bas.
Pierre Véron.
~--O--
UNE NOUVELLE CONVERSATION
Le comte de Chambord, lui aussi, a voulu avoir
un véritable entretien avec quelqu’un.
Il a adressé la lettre suivante, non pas à un gros
financier, mais à un célèbre tailleur qui fait des cos
tûmes complets à trentc-ciaq francs :
Monsieur,
Je désirerais avoir un entretien avec vous, ayez
donc la bonté de passer à Frohsdorff.
Et le célèbre tailleur comptant sur une forte com-
mande, s’est empressé de se rendre à cet appel.
— Monsieur, lui a dit le comte, je désirerais faire
connaître sérieusement ma ligne politique à ceux
qui m’attendent comme le Messie. Interrogez-moi
donc, et je vous répondrai sans chercher à cacher
la vérité. Vous distribuez dans les rues un grand
nombre de prospectus, vous pourrez publier sur le
verso toute la conversation que vous aurez eue
avec moi.
— Pardon, sire, mais je ne comprends pas bien
vos intentions. Pourquoi ne vous adressez-vous pas
à vos parlisans?
— Parce qu'ils ne savent que me flatter, et qu’ils
évitent de me faire connaître la vérité. Interrogez-
moi et répondez moi avec la franchise du paysan
du Danube. J’atlends vos questions,
— Vous espérez donc devenir roi de Frauce?
— Parbleu!... sans cela est-ce que je me donne-
rais tant de mall
■—Je ne vous dissimulerai pas que votre parti est
un peu usé.
— Mais je veux le remettre à neuf.
— Est-ce pour lui donner un coup de fer que vous
m’avez fait venir ?
— Non, mais je veux me passer des classes éle-
, vées qui ne parviendront jamais à faire triompher