LE CHARIVARI
premier : Saint-Galmier, en tournée à Caen ; Bibo-
chet et Granier Darc, le baron de Bois-Têtu, vieux
sigisbée dont la femme, en s’aventurant chez Saint-
Galmier; a provoqué l’accès jaloux de la petite —
et par conséquent fait la pièce.
Scènes désopilantes, chassés-croisés, chansons à
l’emporte-pièce, duo exquis... Bref, succès à mettre
le feu aux planches.
Le troisième acte, qui paraît un peu froid après
ces inénarrables drôleries, marie Saint-Galmier et
mam'zelle Gavroche.
Et le nom de MM. Gondinet, Blum, Saint-Albin
sont couverts de bravos.
Elle est pleine de fantaisie, cette édition nouvelle
des Saltimbanques. Bien moderne, originale et jouée
de verve.
Jeanne Granier est absolument charmante de ga-
minerie, avec une pointe de sensibilité, quand il le
faut. Et comme elle chante ! Elle a détaillé sa tyro-
lienne d’Asnières en diseuse hors ligne. La musique
en est, du reste, trouvée, tout comme celle d’un
duettino qui ferait figure à l’Opéra-Comique.
Dupuis est le Saint-Galmier idéal. Baron donne au
Bois-Têtu un type et des allures inoubliables.
Je résume mes éloges en une phrase qui vous en
garantira la sincérité :
— Je retournerai voir Mam'zelle Gavroche.
Pierre Véron.
PAGES D’ALBUM
Combien de gens qui se croient modestes, et qui ne
sont que timides 1
#
# #
Certaines personnes ont tellement le talent de se di-
minuer, dès qu’il est question d’elles, que si on les
appelait pour leur donner la couronne de France, elles
trouveraient moyen de se faire renvoyer avec une
place de garde champêtre ou un bureau de tabac.
De ces deux contraires, vanité et modestie, le premier
est peut-être encore celui qui offre le moins d'incon-
vénients. Comme les autres ne sont que trop portes à
rabattre de vos mérites, le vaniteux qui se grandit est
vite réduit à sa vraie taille. Le modeste qui se diminue
est toujours cru sur parole.
Lejeune homme cherche le bonheur dans l’imprévu,
le vieillard dans l’habitude.
#
# #
On ne connaît pas assez Calino penseur, et Ton a
tort.
Voici quelques lignes de son album, qui donnerait
une idée de sa force comme émule de La Bochefoucaul
et de Vauvenargues :
« Ne soyons pes égoïstes, et ne nous arrêtons pas de
faire une chose bonne par elle-mètne parce qu’elle ne
nous profi era pas personnellement de. notre vivant.
Songeons que les générations sont solidaires, et que si
nos pères n'avaient pas planté de chênes, aujourd'hui
nous ne mangerions pas de glands I »
*
# *
Avez-vous remarqué, lorsque vous voyagez en che-
min de fer, que les compagnons de route les plus
agréables descendent toujours à la première station,
tandis que les importuns vous suivent jusqu’à la fin
de votre course?
C’est là la parfaite image du plaisir et de la douleur,
ces deux compagnons de route de l’homme dans son
voyage sur la terre.
#
# #
t
De son fils, une mère seule peut tout savoir, parce
que, seule, elle peut tout pardonner.
Paul Courty.
TPT TPTTR rlû n A QQTQ médaille cor
JB JÜJCj U Jtt) 0.6 vADÛiU Amsterdam 1883
L\PKSÜUE ROUVIÈRE Fils, Dijon
DÉPÔT A. PARIS : 7, Rue de Chàteaudun, 7*
LES FRÈRES GROS, Dijon. Moutarde estimée, 2nsines.
La gde marqua RHUM desuPlan tâtions St-J AME S. se Tend parlon
MdSPONT-NEUFHabit doublé satin 1S(
CHRONIQUE DU JOUR
Tous les archéologues connaissent la vieille tour d’en-
ceinte qui fait face a la rue des Francs-Bourgeois.
Philippe-Augusle l’avait fait elever, en Tau 1200, pour
protéger Paris contre les entreprises des Anglais.
Ou la démolit actuellement pour agrandir les bureaux
d’un mont-de-piété.
Un mout-de-pieté 1 Etait-il donc indispensable de don-
ner à Jean-sans-Terre cette satisfaction posthume?
Au fait, ne négligeons pas les morts, puisque les
morts sont si aimables pour nous.
Un champion du spiritisme, M. Damiani, offre de pa-
rier deux mille livres sterling :
1» Que les revenants ne sont pas de simples ombres,
mais se manifestent a nous en chair et en os ;
2° Qu'ils nous serrent la main;
3» Qu’ils consentent à poser devant un objectif et à
laisser prendre leur photographie.
Notez que ce M. Damiani n’est pas le premier venu ;
c’est un archi-millionnaire qui peut perdre vingt-cinq
mille francs comme un londrès.
Quel honneur pour nous, minces plumitifs, de pou-
voir serrer la main a des confrères tels qu’Ho.mère, Vir-
gile et Corneille 1
Et quelle gloire pour Pierre Petit de pouvoir dire
l’impérieux Ne longeons plus 1 à des autocrates aussi re-
muants qu’Alcxandre le Grand Attila et Napoléon Ier M1
LES RAVAGES D'UNE GOUTTE D'EAU
A son entrée dans les salons, la belle M,no des Atours
produisit son effet habituel : tous les regards, braqués
sur elle, témoignaient chez les hommes d’une très vive
admiration; chez les femmes, d’une légère envie de
mordre celle qui accaparait ainsi l’attention à leur dé-
triment.
Elles cherchaient en vain le défaut d’une cuirasse de
soie audacieusement échancrée ; ce qu’elle laissait voir
était irréprochable de rondeur et de solidité.
Placé dans une embrasure de fenêtre, Didier de Beau-
jeu avait déjà essuyé son monocle deux ou trois fois
pour mieux ob-erver cette étoile de première grandeur,
lorsque son attention fut attirée par les commentaires
de deux observatrices d'uni bienveillance douteuse.
— Sa robe a-t-elle un corsage? disait l’une. D’ici, il
m’échappe complètement.
— Ce décolletage, ajoutait l'autre, est d’une indé-
cence révoltante ! Elle en arrivera à s'habiller avec un
collier et des bracelets, à l’instar des jeunes personnes
de la Nouvelle-Calédonie... La trouvez-vous vraiment
aussi belle qu’on le dit, cette Valentine ?
— On exagère beaucoup. Elle a de la ligne ; sa taille
est fine; ce qu’elle étale si généreusement semble
assez ferme. Eh bien, ma chère, malgré tout cela, elle
ne produit qu’un effet de curiosité sur les hommes. Elle
a les qualités du marbre et sa froideur. C'est au point
qu'elle avouait naïvement à une de ses amies qu’on ne
lui avait jamais fait une cour sérieuse. Elle étonne, on
l’admire, mais on en reste là.
— C’est invraisemblable. Car enfin... elle en vaut la
peine.
— Elle ne trouble pas. C'est toujours très tranquille-
ment qu'on l’accable de comp'iments, de galanteries.
Sa beauté marmoréenne fige, glace. Personne ne balbu-
tie en lui pailant, ne tremble a sa vue ; et c’est ce qui
la désole. Mon beau-frère, un garçon très mal élevé qui
ne mâche pas ses paroles, assure qu’elle ne porte pas à
la peau.
— Oh 1...
— C’est cynique et vrai. Allez, le galant qui doit être
son vainqueur n’est pas encore dégelé.
Didier l’était furieusement, lui ! Car en écoutant les
bonnes langues, il dévorait des yeux la beauté de
Mm0 des Atours et ne se sentait pas le moins du monde
sous l’influence réfrigérante en question.
Un instant après, il se faisait présenter à la jolie fem-
me, avec l’intention machiavélique de lui donner de
l’émotion à revendre.
Aux premiers mots d’une conversation banale, il pa-
rut conserver son sang-froid ; mais peu à peu il s’em-
barrassa et répondit tout de travers à ce qu’elle lui di-
sait.
— Patinez-vous, monsieur?
— Oui, madame... L’été .. c’est mon sport favori.
Elle le regarda en riant :
Le litige entre les directeurs de l’Académie nationale
de musique ei M. Bonnard est encore pendant.
Il s’agii de savoir si le bail du buffet concédé par
M. Vaucorbeil doit ou non survivre à l’ancien cahier
des charges.
MM. Ritt et Gailhard disent non.
M. Bonnard dit oui, car il paraît que l'on boit sec
pendant lesentr'actes de l’Opéra.
Pourquoi l’Etat ne terminerait-il pas le différend en
donnant à M. Bonnard une très large compensation : la
buvette du Palais-Bourbou, par exemple?
Le nom des personnages d'Antoinette Rigaud, de
M. Raimond Dcslandes, a déjà été donne.
On y voit figurer, en dernière place, M. le préfet de
Tours.
C’est évidemment un rôle épisodique, peut-être même
purement décoratif et n'ayant à sou actif qu’une phrase
sonore et creuse, quelque chose comme un : « Je m'en
lave les mains ! »
A la Gomedie-Française, le prestige de l’autorité ne
sera pas compromis par l’artiste chargé de la personni-
fier. Il n y pas de non-valeurs chez M. Perrin.
Mais, lorsque la pièce émigrera en province ou dans
la banlieue, par le temps de naturalisme qui court, je
ne suis pas rassuré.
Quel chagrin pour les Tourangeaux, siépris desbelles
manières et du beau langage, sl leur premier magistrat
départemental, incarné par un figurant de BAIeville ou
de Montparnasse, modifiait ainsi son rôle : « Jem'enliu•
mecte les ahitis 1 »
Dans un cas analogue, Emile Augier, pour bien mar-
quer que son personnage était imaginaire, n’hésita pas
a élever au rang de préfecture la" sous-préfecture du
Havre.
M. Deslandes pourrait faire du préfet de Tours un
simple sous-préfet.
Autre singularité, celle-là sur l’affiche du Palais-
Royal.
Dans Elle et Lui je relève, presque à la queue leu leu
les noms d’artistes suivants :
Debay,
Debray,
Davray,
Daubray.
L’auteur de Dora, Fœdora, Théodora, aurait-il commu-
niqué a sou collaborateur M. de Najac sa superstition
des consonnances ?
La presse a unanimement, et avec raison, loué la ré-
serve des journalistes refusant de déposer dans le pro-
cès des anarchistes et de se faire ainsi les auxiliaires
de la police.
Et cependant, au premier abord, il est plaisant d’en-
tendre aes reporters se retrancher derrière la discrétion
professionnelle.
Il faudra donc dire désormais : discret comme un re-
porter?
Dernièrement un incendie, qui avait éclaté au rez-
de-chaussée, a causé une véritable panique au cercle
des Deux-Mondes.
II m’a été donué, jadis, d’assister dans un cercles , à
une débandade de ce genre.
Le banquier venait de perdre six coups pleins.
Je vous laisse à penser si les pontes gorgés d’or pro-
filèrent des cris : Au feu ! pour faire Charlemagne.
En un clin d’œil, billets de banque, louis et jetons
s’engloutirent dans leur « profonde ».
Seul, le banquier, moitié assis, moitié debout, ne lâ-
chait pas les carœs et disait d’un ton larmoyant :
— Messieurs, je vous en supplie... le dernier coupl
Selon l’usage, une jeune communiante entre dans une
— Avec des patins à roulette?, alors ?
— A roulettes? fii Didier penché sur son épaule. Pour
nager... je n’ai nui besoin de roulettes ; les bras et les
jambes me suffisent.
— Mais je vous parle de patiner, monsieur.
— Oh! mille pardons, madame!... Je croyais... je
voyais... Oui, oui, je patine très bien.
— J’ai essayé, moi, sans pouvoir y réussir. Je ne suis
arrivée qu’à tomber et à me faire des bleus partout.
— Des bleus sur une peau si blanche 1 Quelle profa-
nation 1
La chaleur avec laquelle le jeune homme protesta
contre ce mélange de tons embarrassa Yaloutine. Un
léger tremblement de son fauteuil la fit se retourner
et regarder Didier.
— Seriez-vous souffrant, monsieur?
— Non... non, madame... Pourquoi cette demande?
— Il m'a semblé que vous frissonniez.
— Oui... peut-être... Mais la souffrance n’est pour
rien dans cette agitation... au contraire!... Ah! voici
une val-e... Si j’osais... vous la demander?...
— Osez, monsieur, dit Mme des Atours en souriant,
flattée du trouble que ses charmes causaient à un jeune
homme agréable.
Ce fut bien pis après quelques tours de valse! Sans
cesser d’être respectueux, son trémolo augmenta telle-
ment qu’il en devint gênant pour la valseuse. Bile le
lui fit comprendre on s’arrêtant brusquement.
— Je vous assure, monsieur, que vous n’êtes pas bien-
Cessons; voulez-vous?
premier : Saint-Galmier, en tournée à Caen ; Bibo-
chet et Granier Darc, le baron de Bois-Têtu, vieux
sigisbée dont la femme, en s’aventurant chez Saint-
Galmier; a provoqué l’accès jaloux de la petite —
et par conséquent fait la pièce.
Scènes désopilantes, chassés-croisés, chansons à
l’emporte-pièce, duo exquis... Bref, succès à mettre
le feu aux planches.
Le troisième acte, qui paraît un peu froid après
ces inénarrables drôleries, marie Saint-Galmier et
mam'zelle Gavroche.
Et le nom de MM. Gondinet, Blum, Saint-Albin
sont couverts de bravos.
Elle est pleine de fantaisie, cette édition nouvelle
des Saltimbanques. Bien moderne, originale et jouée
de verve.
Jeanne Granier est absolument charmante de ga-
minerie, avec une pointe de sensibilité, quand il le
faut. Et comme elle chante ! Elle a détaillé sa tyro-
lienne d’Asnières en diseuse hors ligne. La musique
en est, du reste, trouvée, tout comme celle d’un
duettino qui ferait figure à l’Opéra-Comique.
Dupuis est le Saint-Galmier idéal. Baron donne au
Bois-Têtu un type et des allures inoubliables.
Je résume mes éloges en une phrase qui vous en
garantira la sincérité :
— Je retournerai voir Mam'zelle Gavroche.
Pierre Véron.
PAGES D’ALBUM
Combien de gens qui se croient modestes, et qui ne
sont que timides 1
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Certaines personnes ont tellement le talent de se di-
minuer, dès qu’il est question d’elles, que si on les
appelait pour leur donner la couronne de France, elles
trouveraient moyen de se faire renvoyer avec une
place de garde champêtre ou un bureau de tabac.
De ces deux contraires, vanité et modestie, le premier
est peut-être encore celui qui offre le moins d'incon-
vénients. Comme les autres ne sont que trop portes à
rabattre de vos mérites, le vaniteux qui se grandit est
vite réduit à sa vraie taille. Le modeste qui se diminue
est toujours cru sur parole.
Lejeune homme cherche le bonheur dans l’imprévu,
le vieillard dans l’habitude.
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On ne connaît pas assez Calino penseur, et Ton a
tort.
Voici quelques lignes de son album, qui donnerait
une idée de sa force comme émule de La Bochefoucaul
et de Vauvenargues :
« Ne soyons pes égoïstes, et ne nous arrêtons pas de
faire une chose bonne par elle-mètne parce qu’elle ne
nous profi era pas personnellement de. notre vivant.
Songeons que les générations sont solidaires, et que si
nos pères n'avaient pas planté de chênes, aujourd'hui
nous ne mangerions pas de glands I »
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# *
Avez-vous remarqué, lorsque vous voyagez en che-
min de fer, que les compagnons de route les plus
agréables descendent toujours à la première station,
tandis que les importuns vous suivent jusqu’à la fin
de votre course?
C’est là la parfaite image du plaisir et de la douleur,
ces deux compagnons de route de l’homme dans son
voyage sur la terre.
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t
De son fils, une mère seule peut tout savoir, parce
que, seule, elle peut tout pardonner.
Paul Courty.
TPT TPTTR rlû n A QQTQ médaille cor
JB JÜJCj U Jtt) 0.6 vADÛiU Amsterdam 1883
L\PKSÜUE ROUVIÈRE Fils, Dijon
DÉPÔT A. PARIS : 7, Rue de Chàteaudun, 7*
LES FRÈRES GROS, Dijon. Moutarde estimée, 2nsines.
La gde marqua RHUM desuPlan tâtions St-J AME S. se Tend parlon
MdSPONT-NEUFHabit doublé satin 1S(
CHRONIQUE DU JOUR
Tous les archéologues connaissent la vieille tour d’en-
ceinte qui fait face a la rue des Francs-Bourgeois.
Philippe-Augusle l’avait fait elever, en Tau 1200, pour
protéger Paris contre les entreprises des Anglais.
Ou la démolit actuellement pour agrandir les bureaux
d’un mont-de-piété.
Un mout-de-pieté 1 Etait-il donc indispensable de don-
ner à Jean-sans-Terre cette satisfaction posthume?
Au fait, ne négligeons pas les morts, puisque les
morts sont si aimables pour nous.
Un champion du spiritisme, M. Damiani, offre de pa-
rier deux mille livres sterling :
1» Que les revenants ne sont pas de simples ombres,
mais se manifestent a nous en chair et en os ;
2° Qu'ils nous serrent la main;
3» Qu’ils consentent à poser devant un objectif et à
laisser prendre leur photographie.
Notez que ce M. Damiani n’est pas le premier venu ;
c’est un archi-millionnaire qui peut perdre vingt-cinq
mille francs comme un londrès.
Quel honneur pour nous, minces plumitifs, de pou-
voir serrer la main a des confrères tels qu’Ho.mère, Vir-
gile et Corneille 1
Et quelle gloire pour Pierre Petit de pouvoir dire
l’impérieux Ne longeons plus 1 à des autocrates aussi re-
muants qu’Alcxandre le Grand Attila et Napoléon Ier M1
LES RAVAGES D'UNE GOUTTE D'EAU
A son entrée dans les salons, la belle M,no des Atours
produisit son effet habituel : tous les regards, braqués
sur elle, témoignaient chez les hommes d’une très vive
admiration; chez les femmes, d’une légère envie de
mordre celle qui accaparait ainsi l’attention à leur dé-
triment.
Elles cherchaient en vain le défaut d’une cuirasse de
soie audacieusement échancrée ; ce qu’elle laissait voir
était irréprochable de rondeur et de solidité.
Placé dans une embrasure de fenêtre, Didier de Beau-
jeu avait déjà essuyé son monocle deux ou trois fois
pour mieux ob-erver cette étoile de première grandeur,
lorsque son attention fut attirée par les commentaires
de deux observatrices d'uni bienveillance douteuse.
— Sa robe a-t-elle un corsage? disait l’une. D’ici, il
m’échappe complètement.
— Ce décolletage, ajoutait l'autre, est d’une indé-
cence révoltante ! Elle en arrivera à s'habiller avec un
collier et des bracelets, à l’instar des jeunes personnes
de la Nouvelle-Calédonie... La trouvez-vous vraiment
aussi belle qu’on le dit, cette Valentine ?
— On exagère beaucoup. Elle a de la ligne ; sa taille
est fine; ce qu’elle étale si généreusement semble
assez ferme. Eh bien, ma chère, malgré tout cela, elle
ne produit qu’un effet de curiosité sur les hommes. Elle
a les qualités du marbre et sa froideur. C'est au point
qu'elle avouait naïvement à une de ses amies qu’on ne
lui avait jamais fait une cour sérieuse. Elle étonne, on
l’admire, mais on en reste là.
— C’est invraisemblable. Car enfin... elle en vaut la
peine.
— Elle ne trouble pas. C'est toujours très tranquille-
ment qu'on l’accable de comp'iments, de galanteries.
Sa beauté marmoréenne fige, glace. Personne ne balbu-
tie en lui pailant, ne tremble a sa vue ; et c’est ce qui
la désole. Mon beau-frère, un garçon très mal élevé qui
ne mâche pas ses paroles, assure qu’elle ne porte pas à
la peau.
— Oh 1...
— C’est cynique et vrai. Allez, le galant qui doit être
son vainqueur n’est pas encore dégelé.
Didier l’était furieusement, lui ! Car en écoutant les
bonnes langues, il dévorait des yeux la beauté de
Mm0 des Atours et ne se sentait pas le moins du monde
sous l’influence réfrigérante en question.
Un instant après, il se faisait présenter à la jolie fem-
me, avec l’intention machiavélique de lui donner de
l’émotion à revendre.
Aux premiers mots d’une conversation banale, il pa-
rut conserver son sang-froid ; mais peu à peu il s’em-
barrassa et répondit tout de travers à ce qu’elle lui di-
sait.
— Patinez-vous, monsieur?
— Oui, madame... L’été .. c’est mon sport favori.
Elle le regarda en riant :
Le litige entre les directeurs de l’Académie nationale
de musique ei M. Bonnard est encore pendant.
Il s’agii de savoir si le bail du buffet concédé par
M. Vaucorbeil doit ou non survivre à l’ancien cahier
des charges.
MM. Ritt et Gailhard disent non.
M. Bonnard dit oui, car il paraît que l'on boit sec
pendant lesentr'actes de l’Opéra.
Pourquoi l’Etat ne terminerait-il pas le différend en
donnant à M. Bonnard une très large compensation : la
buvette du Palais-Bourbou, par exemple?
Le nom des personnages d'Antoinette Rigaud, de
M. Raimond Dcslandes, a déjà été donne.
On y voit figurer, en dernière place, M. le préfet de
Tours.
C’est évidemment un rôle épisodique, peut-être même
purement décoratif et n'ayant à sou actif qu’une phrase
sonore et creuse, quelque chose comme un : « Je m'en
lave les mains ! »
A la Gomedie-Française, le prestige de l’autorité ne
sera pas compromis par l’artiste chargé de la personni-
fier. Il n y pas de non-valeurs chez M. Perrin.
Mais, lorsque la pièce émigrera en province ou dans
la banlieue, par le temps de naturalisme qui court, je
ne suis pas rassuré.
Quel chagrin pour les Tourangeaux, siépris desbelles
manières et du beau langage, sl leur premier magistrat
départemental, incarné par un figurant de BAIeville ou
de Montparnasse, modifiait ainsi son rôle : « Jem'enliu•
mecte les ahitis 1 »
Dans un cas analogue, Emile Augier, pour bien mar-
quer que son personnage était imaginaire, n’hésita pas
a élever au rang de préfecture la" sous-préfecture du
Havre.
M. Deslandes pourrait faire du préfet de Tours un
simple sous-préfet.
Autre singularité, celle-là sur l’affiche du Palais-
Royal.
Dans Elle et Lui je relève, presque à la queue leu leu
les noms d’artistes suivants :
Debay,
Debray,
Davray,
Daubray.
L’auteur de Dora, Fœdora, Théodora, aurait-il commu-
niqué a sou collaborateur M. de Najac sa superstition
des consonnances ?
La presse a unanimement, et avec raison, loué la ré-
serve des journalistes refusant de déposer dans le pro-
cès des anarchistes et de se faire ainsi les auxiliaires
de la police.
Et cependant, au premier abord, il est plaisant d’en-
tendre aes reporters se retrancher derrière la discrétion
professionnelle.
Il faudra donc dire désormais : discret comme un re-
porter?
Dernièrement un incendie, qui avait éclaté au rez-
de-chaussée, a causé une véritable panique au cercle
des Deux-Mondes.
II m’a été donué, jadis, d’assister dans un cercles , à
une débandade de ce genre.
Le banquier venait de perdre six coups pleins.
Je vous laisse à penser si les pontes gorgés d’or pro-
filèrent des cris : Au feu ! pour faire Charlemagne.
En un clin d’œil, billets de banque, louis et jetons
s’engloutirent dans leur « profonde ».
Seul, le banquier, moitié assis, moitié debout, ne lâ-
chait pas les carœs et disait d’un ton larmoyant :
— Messieurs, je vous en supplie... le dernier coupl
Selon l’usage, une jeune communiante entre dans une
— Avec des patins à roulette?, alors ?
— A roulettes? fii Didier penché sur son épaule. Pour
nager... je n’ai nui besoin de roulettes ; les bras et les
jambes me suffisent.
— Mais je vous parle de patiner, monsieur.
— Oh! mille pardons, madame!... Je croyais... je
voyais... Oui, oui, je patine très bien.
— J’ai essayé, moi, sans pouvoir y réussir. Je ne suis
arrivée qu’à tomber et à me faire des bleus partout.
— Des bleus sur une peau si blanche 1 Quelle profa-
nation 1
La chaleur avec laquelle le jeune homme protesta
contre ce mélange de tons embarrassa Yaloutine. Un
léger tremblement de son fauteuil la fit se retourner
et regarder Didier.
— Seriez-vous souffrant, monsieur?
— Non... non, madame... Pourquoi cette demande?
— Il m'a semblé que vous frissonniez.
— Oui... peut-être... Mais la souffrance n’est pour
rien dans cette agitation... au contraire!... Ah! voici
une val-e... Si j’osais... vous la demander?...
— Osez, monsieur, dit Mme des Atours en souriant,
flattée du trouble que ses charmes causaient à un jeune
homme agréable.
Ce fut bien pis après quelques tours de valse! Sans
cesser d’être respectueux, son trémolo augmenta telle-
ment qu’il en devint gênant pour la valseuse. Bile le
lui fit comprendre on s’arrêtant brusquement.
— Je vous assure, monsieur, que vous n’êtes pas bien-
Cessons; voulez-vous?