CINQUANTE-QUATRIÈME ANNÉE
Prix du Numéro : 25 centimes
MERCREDI 1er JUILLET 1885
ABONNEMENTS
PARIS
Trois mois. 18 fr.
Six mois. î° —
Un an. u ~
lus abonnements partent des t" et 46 de chaque mois
DIRECTION
Politique, Littéraire et Artistique
PIERRE VÉRON
Bédacleur en Chef
BUREAUX
DB U. RÉDACTION ET DE L’ADMINISTRATION
Rue de la Victoire, 20
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 20 fr.
Six mois. 40 —
Un an. 80 —
L’abonnement d'un an donne droit à la prime gratis
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Politique, Littéraire et Artistique
PIERRE VÉRON
Î5é«! acte «a r en Chef
ANNONCES
ADOLPHE EWIG, fermier dis la publicité
Eue Joquelet, 11
LE CHARIVARI
BULLETIN POLITIQUE
Tout ça, c'est très joli; mais je voudrais bien
savoir en quoi nous sommes plus avancés après
ces petites comédies d’indignation que joue la Jus-
tice, sans que la Police daigne y prendre garde.
L’autre jour, au cours de l’affaire Marchandon,
on vit soudain le président tout plein de majesté,
tout flamboyant de courroux.
A ce moment-là, il avait affaire à la directrice du
bureau de placement qui avait offert de confiance
notre sympathique Marchandon à Mme Cornet.
11 se dressa donc, le président, et de son ton
le plus sévère saboula le témoin, qui certes ne
l'avait pas volé.
Il lui démontra que son incurie était une sorte
si de complicité, d’autant plus grave que la princesse
Poniatowska s’était dérangée pour la prévenir que
noire sympathique Marchandon était un aimable
faussaire.
Tenir une agence qui place les faussaires n’est
évidemment pas une fonction digne d’encourage-
ment. Il est incontestable aussi que, si cette direc-
trice sans façon avait pris la peine de prévenir
Mme Cornet, celle-ci serait vivante encore. Elle a,
par conséquent, aidé à l’assassiner; ce qui fait
que son bureau de placement s’est transformé, en
cette circonstance, en bureau de crime.
Il y avait de quoi échauffer la bile d’un prési-
dent et celle d’un avocat général par-dessus le
marché.
Celui-ci, en effet, surgit à son tour. Il eut des
paroles âpres. Après quoi, il se rassit.
N i ni, c’est fini. Te voilà bien protégée, ma
vieille société !
Des mots, des mots, rien que des mots. Mais
lorsqu’il s’agit de passer aux actes, plus personne.
L'anathème du président, le contre-anathème
, du ministère public ont suffi au besoin de mise en
scène. On estime, dès lors, qu'il n’y a plus à s’oc-
cuper de cette question.
La directrice fantaisiste continuera son petit
commerce sans être autrement inquiétée. Les do-
mestiques munis de faux certificats peuvent sans
crainte s’adresser à elle. Je réponds qu’elle les
accueillera à bras ouverts, tout comme si rien ne
s’était passé.
J’en réponds, car l'ordre et la marche sont inva-
riables.
Rappelez-vous le procès Morin.
Ce n’étaient pas les bureaux de placement, cette
fois-là, qui étaient en cause ; c'étaient les agences
de surveillance et de recherches. Il y eut un tollé
général contre ces bouges.
Tout le monde s’en mêla. Les journalistes don-
nèrent avec ardeur. Le parquet manifesta une
sainte colère.
Qu’en est-il advenu?
Absolument rien.
Lesdites agences fleurissent à l’abri des tempê-
tes. Non seulement la Préfecture de police ne les
a pas taquinées, mais encore il semble qu’elle les
encourage et les patronne.
Ce qui s’est produit là va se reproduire ici, n’en
doutez pas une minute.
Il a été beau de révolte, M. le président. Il a été
beau de colère, M. l’avocat général. Ils ont été
beaux tous les doux. Mettons superbes, si vous
voulez; je ne marchande pas. Seulement, leur pe-
tit effet produit, ils ont aussitôt pensé à autre
chose.
Ne serait-il pas temps de protester contre ces
sévérités d’apparat, auxquelles succède la plus
apathique des tolérances?
Je me moque pas mal de la rhétorique qui se
débite au Palais de justice, si !,a Préfecture de po-
lice continus
A ne bouger pas plus qu’une souche de bois.
Tous ceux qu’on houspille en séance publique
chez Mme Thémis, comme dit notre ami Pothey,
se gardent bien de s’en formaliser.
Pas de danger qu’ils protestent. Us savent que
ça ne tire pas à conséquence ; ils savent que, la
main tournée, on n’y pensera plus.
C'est l’important pour eux. Les paroles désa-
gréables glissent sur leur carapace. Pourvu qu’on
leur permette leurs cyniques exploitations, c’est
tout ce qu’il leur faut.
Ce désaccord de la Police et de la Justice tirant
à hue et à dia est une calamité. Ne cherchez pas
ailleurs la cause de tant d’abus invétérés.
Mais je commence à être las, pour ma part, de
ces solennelles mystifications.
En ce qui concerne particulièrement les agences
de placement, il ne me suffit pas qu’on leur dise
des choses désagréables.
Je veux qu'on les empêche d’approvisionner la
place de domestiques qui volent, de domestiques
qui tuent.
Je veux qu’il y ait une sanction à leur petit trafic.
Je veux que,si une gredinerie est commise, celui
qui a fourni le gredin soit responsable dans une
certaine mesure.
11 s’agit de savoir si, oui ou non, avec les lois
existantes, la répression est possible de ce côté.
L’est-elle ?
Qu’un député se lève dès demain et demande à
interpeller le ministre de l’intérieur sur ses inten-
tions et sur l'inaction coupable de la Police, sa
subordonnée.
Ne l'est-elle pas?
Qu’un autre député se lève — ou le même, ça
m’est égal — et qu'il dépose un projet aux termes
duquel la sécurité des foyers ne sera plus livrée
aux hasards d’une sorte de loterie dont les lots
gagnants sont des coups de couteau.
J’en ai assez des indignations platoniques non
suivies d’effet. Ces questions-là nous touchent in-
finiment plus que les jongleries du parlementa-
risme s’évertuant à raccommoder, avec le ciment
électoral, les groupes décollés.
Pierre Véron.
FLAMMÈCHES
Le Sénat a cassé l’élection sénatoriale du Fi-
nistère.
Un fragment de l’enquête pour édifier ceux qui
ne sont pas au courant des procédés ecclésiasti-
ques en ces parages :
— « Quelques jours avant l’élection, M. le curé,
prêchant en breton, a débuté ainsi : — Aujour-
d'hui, je m'adresse aux hommes, à ceux qui vo-
tent. Ne votez pas pour les républicains, qui tous,
comme vous le savez, veulent la destruction de la
religion. Si vous votiez pour ces gens, vous seriez
aussi coupables qu'eux, car celui qui tient le sac
du voleur est aussi voleur que lui. »
Ceci se passait au Conquet.
Et le budget des cultes coûte plusieurs millions.
Elle est bonne fille, la République!
Les évêques viennois ne sont pas moins à la jé-
rémiade que nos prélats.
Ils viennent de fabriquer une doléance collective
sur les signes des temps.
Même antienne que chez nous.
En souhaite-t-on un échantillon ?
Eccolo :
« Notre époque se reflète bien dans notre presse
et notre littérature actuelle, et nous montre bien
celte société sans Dieu. Telle presse, tel courant
d'opinion. Notre littérature, à part quelques excep-
tions honorables, ne vise en tout et pour tout que
la destruction de la foi chrétienne ; elle enlève au
cœur humain toute idée de Dieu et du monde
surnaturel pour le courber vers la terre. Au point
de vue moral, cette presse exerce une influence
détestable ; elle parle do périodiques, de pamphlets
et de livres immoraux; le suicide, le duel, l'adul-
tère et les crimes de toutes sortes y sont réhabi-
lités et même souvent entourés d’une auréole de
gloire.
» Nous ne pouvons comprendre que des catho-
liques achètent et lisent de tels journaux. »
Là-dessus la lamentation ajoute :
« Espérons que nos paroles ne seront pas comme
la voix qui crie dans le désert. »
Us espèrent en désespérant, je crois.
Ainsi, partout ils constatent leur impuissance —
sans s'apercevoir qu’ils constatent en même temps
l’impuissance des oremus.
Car si Dieu partout les laisse réciter des chape-
lets et psalmodier des prières sans en tenir nul
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BULLETIN POLITIQUE
Tout ça, c'est très joli; mais je voudrais bien
savoir en quoi nous sommes plus avancés après
ces petites comédies d’indignation que joue la Jus-
tice, sans que la Police daigne y prendre garde.
L’autre jour, au cours de l’affaire Marchandon,
on vit soudain le président tout plein de majesté,
tout flamboyant de courroux.
A ce moment-là, il avait affaire à la directrice du
bureau de placement qui avait offert de confiance
notre sympathique Marchandon à Mme Cornet.
11 se dressa donc, le président, et de son ton
le plus sévère saboula le témoin, qui certes ne
l'avait pas volé.
Il lui démontra que son incurie était une sorte
si de complicité, d’autant plus grave que la princesse
Poniatowska s’était dérangée pour la prévenir que
noire sympathique Marchandon était un aimable
faussaire.
Tenir une agence qui place les faussaires n’est
évidemment pas une fonction digne d’encourage-
ment. Il est incontestable aussi que, si cette direc-
trice sans façon avait pris la peine de prévenir
Mme Cornet, celle-ci serait vivante encore. Elle a,
par conséquent, aidé à l’assassiner; ce qui fait
que son bureau de placement s’est transformé, en
cette circonstance, en bureau de crime.
Il y avait de quoi échauffer la bile d’un prési-
dent et celle d’un avocat général par-dessus le
marché.
Celui-ci, en effet, surgit à son tour. Il eut des
paroles âpres. Après quoi, il se rassit.
N i ni, c’est fini. Te voilà bien protégée, ma
vieille société !
Des mots, des mots, rien que des mots. Mais
lorsqu’il s’agit de passer aux actes, plus personne.
L'anathème du président, le contre-anathème
, du ministère public ont suffi au besoin de mise en
scène. On estime, dès lors, qu'il n’y a plus à s’oc-
cuper de cette question.
La directrice fantaisiste continuera son petit
commerce sans être autrement inquiétée. Les do-
mestiques munis de faux certificats peuvent sans
crainte s’adresser à elle. Je réponds qu’elle les
accueillera à bras ouverts, tout comme si rien ne
s’était passé.
J’en réponds, car l'ordre et la marche sont inva-
riables.
Rappelez-vous le procès Morin.
Ce n’étaient pas les bureaux de placement, cette
fois-là, qui étaient en cause ; c'étaient les agences
de surveillance et de recherches. Il y eut un tollé
général contre ces bouges.
Tout le monde s’en mêla. Les journalistes don-
nèrent avec ardeur. Le parquet manifesta une
sainte colère.
Qu’en est-il advenu?
Absolument rien.
Lesdites agences fleurissent à l’abri des tempê-
tes. Non seulement la Préfecture de police ne les
a pas taquinées, mais encore il semble qu’elle les
encourage et les patronne.
Ce qui s’est produit là va se reproduire ici, n’en
doutez pas une minute.
Il a été beau de révolte, M. le président. Il a été
beau de colère, M. l’avocat général. Ils ont été
beaux tous les doux. Mettons superbes, si vous
voulez; je ne marchande pas. Seulement, leur pe-
tit effet produit, ils ont aussitôt pensé à autre
chose.
Ne serait-il pas temps de protester contre ces
sévérités d’apparat, auxquelles succède la plus
apathique des tolérances?
Je me moque pas mal de la rhétorique qui se
débite au Palais de justice, si !,a Préfecture de po-
lice continus
A ne bouger pas plus qu’une souche de bois.
Tous ceux qu’on houspille en séance publique
chez Mme Thémis, comme dit notre ami Pothey,
se gardent bien de s’en formaliser.
Pas de danger qu’ils protestent. Us savent que
ça ne tire pas à conséquence ; ils savent que, la
main tournée, on n’y pensera plus.
C'est l’important pour eux. Les paroles désa-
gréables glissent sur leur carapace. Pourvu qu’on
leur permette leurs cyniques exploitations, c’est
tout ce qu’il leur faut.
Ce désaccord de la Police et de la Justice tirant
à hue et à dia est une calamité. Ne cherchez pas
ailleurs la cause de tant d’abus invétérés.
Mais je commence à être las, pour ma part, de
ces solennelles mystifications.
En ce qui concerne particulièrement les agences
de placement, il ne me suffit pas qu’on leur dise
des choses désagréables.
Je veux qu'on les empêche d’approvisionner la
place de domestiques qui volent, de domestiques
qui tuent.
Je veux qu’il y ait une sanction à leur petit trafic.
Je veux que,si une gredinerie est commise, celui
qui a fourni le gredin soit responsable dans une
certaine mesure.
11 s’agit de savoir si, oui ou non, avec les lois
existantes, la répression est possible de ce côté.
L’est-elle ?
Qu’un député se lève dès demain et demande à
interpeller le ministre de l’intérieur sur ses inten-
tions et sur l'inaction coupable de la Police, sa
subordonnée.
Ne l'est-elle pas?
Qu’un autre député se lève — ou le même, ça
m’est égal — et qu'il dépose un projet aux termes
duquel la sécurité des foyers ne sera plus livrée
aux hasards d’une sorte de loterie dont les lots
gagnants sont des coups de couteau.
J’en ai assez des indignations platoniques non
suivies d’effet. Ces questions-là nous touchent in-
finiment plus que les jongleries du parlementa-
risme s’évertuant à raccommoder, avec le ciment
électoral, les groupes décollés.
Pierre Véron.
FLAMMÈCHES
Le Sénat a cassé l’élection sénatoriale du Fi-
nistère.
Un fragment de l’enquête pour édifier ceux qui
ne sont pas au courant des procédés ecclésiasti-
ques en ces parages :
— « Quelques jours avant l’élection, M. le curé,
prêchant en breton, a débuté ainsi : — Aujour-
d'hui, je m'adresse aux hommes, à ceux qui vo-
tent. Ne votez pas pour les républicains, qui tous,
comme vous le savez, veulent la destruction de la
religion. Si vous votiez pour ces gens, vous seriez
aussi coupables qu'eux, car celui qui tient le sac
du voleur est aussi voleur que lui. »
Ceci se passait au Conquet.
Et le budget des cultes coûte plusieurs millions.
Elle est bonne fille, la République!
Les évêques viennois ne sont pas moins à la jé-
rémiade que nos prélats.
Ils viennent de fabriquer une doléance collective
sur les signes des temps.
Même antienne que chez nous.
En souhaite-t-on un échantillon ?
Eccolo :
« Notre époque se reflète bien dans notre presse
et notre littérature actuelle, et nous montre bien
celte société sans Dieu. Telle presse, tel courant
d'opinion. Notre littérature, à part quelques excep-
tions honorables, ne vise en tout et pour tout que
la destruction de la foi chrétienne ; elle enlève au
cœur humain toute idée de Dieu et du monde
surnaturel pour le courber vers la terre. Au point
de vue moral, cette presse exerce une influence
détestable ; elle parle do périodiques, de pamphlets
et de livres immoraux; le suicide, le duel, l'adul-
tère et les crimes de toutes sortes y sont réhabi-
lités et même souvent entourés d’une auréole de
gloire.
» Nous ne pouvons comprendre que des catho-
liques achètent et lisent de tels journaux. »
Là-dessus la lamentation ajoute :
« Espérons que nos paroles ne seront pas comme
la voix qui crie dans le désert. »
Us espèrent en désespérant, je crois.
Ainsi, partout ils constatent leur impuissance —
sans s'apercevoir qu’ils constatent en même temps
l’impuissance des oremus.
Car si Dieu partout les laisse réciter des chape-
lets et psalmodier des prières sans en tenir nul