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ÉGLISES ROMANES DES VOSGES
Devançant de beaucoup la renaissance artistique, une renaissance littéraire très considé-
rable, et très remarquable, en avance sur bien d’autres pays, s’y était produite dès le Xe siècle.
L’instruction y était très répandue : des femmes, des religieuses, des princesses étaient très
lettrées ; certaines savaient le latin \
L’action de Cluny, puis de Cîteaux fut à peu près la même en Lorraine que partout1 2; mais,
Cluny et Cîteaux ne furent pas les seuls liens qui mirent la Lorraine en relations avec la Bour-
gogne. Sans parler du voisinage, elle s’est trouvée un lieu de passage et un point de transit par
terre très fréquenté pour le commerce,et le mouvement qui se faisait tant par terre à travers les
passages des Alpes, que par eau sur le Rhône, la Saône et la Moselle, entre l’Italie, la Méditer-
ranée et les villes du Rhin3. Des maçons ont pu venir de la Lombardie. On sait au surplus com-
bien est grande l’influence des voies commerciales sur le développement artistique d’un pays.
Pour leurs affaires, pour leur dévotion, sinon pour leur agrément, grands seigneurs, prélats,
marchands, manants même, voyageaient beaucoup, fort loin et relativement vite. Les premiers
emmenaient avec eux une suite nombreuse. Ils entretenaient une correspondance très active dont
il ne nous reste que des débris. On savait fort bien ce qui se passait en dehors de chez soi. Ces
voyages incessants eurent au point de vue artistique des résultats beaucoup plus féconds que les
expéditions militaires qui ont fait plus de bruit dans l’histoire.
Ainsi nous venons de parler du bienheureux Richard, abbé de Saint-Vanne ; il avait un goût
très prononcé pour les constructions somptueuses. Il fit venir de l’abbaye de Saint-Amand en
Flandre des colonnes et des tables de la fameuse pierre noire de Tournai, pour le cloître de
son abbaye. Elles furent amenées par divers chemins, puis par l’Escaut et par la Meuse4.
On a certes singulièrement exagéré en prétendant, comme l‘a fait Viollet-le-Duc, par
exemple, que, jusqu’à l’avènement, du style gothique, l’art n’avait été pratiqué que par les
moines. Mais de tout temps les grands seigneurs ecclésiastiques ont été pour la plupart de
grands amateurs d’art et de grands bâtisseurs. Déjà, en plein VDI6 siècle, saint Chrodegand,
évêque de Metz (742-766), construisant l’église de Gorze, faisait apporter chaque jour sa chaire
épiscopale au milieu du chantier, d’où il dirigeait lui-même les ouvriers5. Plus tard, au mi-
lieu du XIe siècle, l’archevêque de Trêves, Poppon, gagna une insolation en suivant lui-même
sur place les travaux d’agrandissement de sa cathédrale 6. Les magnifiques prélats du XVIe siècle
n’agissaient, pas autrement.
Les évêques et les abbés ont dû surtout avoir sur la renaissance artistique de la première moi-
tié du XIIe siècle, une grande influence sinon toujours personnelle, du moins indirecte. Il leur
fallait un art plus complet, plus raffiné, et ils avaient davantage à exiger des artistes. Plus d’un
a tenu à être plus ou moins son propre architecte, soit en traitant directement avec les maçons,
les tailleurs de pierres, les charpentiers et tous les autres corps de métiers dont il pouvait avoir
1. On peut citer la duchesse Adélaïde, femme de Simon Ier, duc de Lorraine (v. 1133), personne fort mondaine,
mais qui comprit fort bien des réflexions en latin échangées à son sujet en sa présence entre saint Bernard et un
autre personnage.
2. Le bienheureux Guillaume, abbé de St-Bénigne de Dijon, lombard d’origine, aussi célèbre par ses vertus que par
les constructions qu’il a élevées dans son abbaye et ailleurs, exerça une influence, religieuse du moins, très considé-
rable sur la Lorraine, mais il est un peu ancien pour nous(-j- 1031). — Sur cette question, V. notamment R. de Lastey-
rie, L'architecture religieuse en France à l'époque romane, p. 236.
3. V. G. Wolfram, L'influence des orientaux sur le développement de la civilisation et du christianisme dans le pays
Alosellan, dans Mém. de la Soc. d'Archéol. lorr., t. LV, 1905, p. 381.
4. « Columnas claustri seu tabulas ejusdem materiei ab abbatia Sancti Amandi cui, auctore Deo, tune praesidebat,
per varios itineris anfractus, perque Scaldum fluvium Mosae tenus devehi fecit. » Vita S. Richardi abb., dans Acta SS.
O. S. B., t. VIII, p. 526.
5. Vita Chrodegangi, dans Monumenla Germ. SS., t. X, p. 569.
6. Gesta Treverorum, dans Monum. Germ. SS., t. VIII, p. 181.
ÉGLISES ROMANES DES VOSGES
Devançant de beaucoup la renaissance artistique, une renaissance littéraire très considé-
rable, et très remarquable, en avance sur bien d’autres pays, s’y était produite dès le Xe siècle.
L’instruction y était très répandue : des femmes, des religieuses, des princesses étaient très
lettrées ; certaines savaient le latin \
L’action de Cluny, puis de Cîteaux fut à peu près la même en Lorraine que partout1 2; mais,
Cluny et Cîteaux ne furent pas les seuls liens qui mirent la Lorraine en relations avec la Bour-
gogne. Sans parler du voisinage, elle s’est trouvée un lieu de passage et un point de transit par
terre très fréquenté pour le commerce,et le mouvement qui se faisait tant par terre à travers les
passages des Alpes, que par eau sur le Rhône, la Saône et la Moselle, entre l’Italie, la Méditer-
ranée et les villes du Rhin3. Des maçons ont pu venir de la Lombardie. On sait au surplus com-
bien est grande l’influence des voies commerciales sur le développement artistique d’un pays.
Pour leurs affaires, pour leur dévotion, sinon pour leur agrément, grands seigneurs, prélats,
marchands, manants même, voyageaient beaucoup, fort loin et relativement vite. Les premiers
emmenaient avec eux une suite nombreuse. Ils entretenaient une correspondance très active dont
il ne nous reste que des débris. On savait fort bien ce qui se passait en dehors de chez soi. Ces
voyages incessants eurent au point de vue artistique des résultats beaucoup plus féconds que les
expéditions militaires qui ont fait plus de bruit dans l’histoire.
Ainsi nous venons de parler du bienheureux Richard, abbé de Saint-Vanne ; il avait un goût
très prononcé pour les constructions somptueuses. Il fit venir de l’abbaye de Saint-Amand en
Flandre des colonnes et des tables de la fameuse pierre noire de Tournai, pour le cloître de
son abbaye. Elles furent amenées par divers chemins, puis par l’Escaut et par la Meuse4.
On a certes singulièrement exagéré en prétendant, comme l‘a fait Viollet-le-Duc, par
exemple, que, jusqu’à l’avènement, du style gothique, l’art n’avait été pratiqué que par les
moines. Mais de tout temps les grands seigneurs ecclésiastiques ont été pour la plupart de
grands amateurs d’art et de grands bâtisseurs. Déjà, en plein VDI6 siècle, saint Chrodegand,
évêque de Metz (742-766), construisant l’église de Gorze, faisait apporter chaque jour sa chaire
épiscopale au milieu du chantier, d’où il dirigeait lui-même les ouvriers5. Plus tard, au mi-
lieu du XIe siècle, l’archevêque de Trêves, Poppon, gagna une insolation en suivant lui-même
sur place les travaux d’agrandissement de sa cathédrale 6. Les magnifiques prélats du XVIe siècle
n’agissaient, pas autrement.
Les évêques et les abbés ont dû surtout avoir sur la renaissance artistique de la première moi-
tié du XIIe siècle, une grande influence sinon toujours personnelle, du moins indirecte. Il leur
fallait un art plus complet, plus raffiné, et ils avaient davantage à exiger des artistes. Plus d’un
a tenu à être plus ou moins son propre architecte, soit en traitant directement avec les maçons,
les tailleurs de pierres, les charpentiers et tous les autres corps de métiers dont il pouvait avoir
1. On peut citer la duchesse Adélaïde, femme de Simon Ier, duc de Lorraine (v. 1133), personne fort mondaine,
mais qui comprit fort bien des réflexions en latin échangées à son sujet en sa présence entre saint Bernard et un
autre personnage.
2. Le bienheureux Guillaume, abbé de St-Bénigne de Dijon, lombard d’origine, aussi célèbre par ses vertus que par
les constructions qu’il a élevées dans son abbaye et ailleurs, exerça une influence, religieuse du moins, très considé-
rable sur la Lorraine, mais il est un peu ancien pour nous(-j- 1031). — Sur cette question, V. notamment R. de Lastey-
rie, L'architecture religieuse en France à l'époque romane, p. 236.
3. V. G. Wolfram, L'influence des orientaux sur le développement de la civilisation et du christianisme dans le pays
Alosellan, dans Mém. de la Soc. d'Archéol. lorr., t. LV, 1905, p. 381.
4. « Columnas claustri seu tabulas ejusdem materiei ab abbatia Sancti Amandi cui, auctore Deo, tune praesidebat,
per varios itineris anfractus, perque Scaldum fluvium Mosae tenus devehi fecit. » Vita S. Richardi abb., dans Acta SS.
O. S. B., t. VIII, p. 526.
5. Vita Chrodegangi, dans Monumenla Germ. SS., t. X, p. 569.
6. Gesta Treverorum, dans Monum. Germ. SS., t. VIII, p. 181.