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L’étrange, c’est qu’il soit besoin de nous le dire. Le livre de Tolstoï (i),
ne signifiait pas autre chose. Il est venu à une heure douloureuse,
alors que fortement armés par notre enquête, mais désorientés devant
les horizons qu’elle ouvre et nous apercevant que notre effort s’est
dispersé, nous cherchons à confronter les résultats acquis pour nous
unir dans une foi commune et marcher de l’avant. Nous pensons et
nous croyons ce que nous avons besoin de penser et de croire, c’est
ce qui donne à nos pensées et à nos croyances, au cours de notre his-
toire, ce fond indestructible d’humanité qu’elles ont toutes. Tolstoï
a dit ce qu’il était nécessaire de dire à l’instant où il l’a dit.
L’art est l’appel à la communion des hommes. Nous nous recon-
naissons les uns les autres aux échos qu’il éveille en nous, que
nous transmettons à d’autres que nous par l’enthousiasme et qui
retentissent en action vivante dans toute la durée des générations sans
parfois qu’elles le soupçonnent. Si quelques-uns d’entre nous entendent
seuls cet appel aux heures d’incompréhension et d’affaissement
général, c’est qu’ils représentent à ces heures l’effort idéaliste qui
ranimera l’héroïsme endormi dans les multitudes. On a dit que l’ar-
tiste se suffit à lui-même. Ce n’est pas vrai. L’artiste qui le dit est
atteint d’un orgueil mauvais. L’artiste qui le croit n’est pas un artiste.
S’il n’avait pas eu besoin du plus universel de nos langages, l’artiste
ne l’aurait pas créé. Dans une île déserte, il bêcherait la terre pour
faire pousser son pain. Nul n’a plus besoin que lui de la présence et
de l’approbation des hommes. Il parle parce qu’il les sent autour de
lui, et dans l’espoir souvent déçu et jamais découragé qu’ils finiront
par l’entendre. C’est sa fonction de répandre son être, de donner le
plus possible de sa vie à toutes les vies, de demander à toutes les vies
de lui donner le plus possible d’elles, de réaliser avec elles, dans une
collaboration obscure et magnifique, une harmonie d’autant plus
émouvante qu’un plus grand nombre d’autres vies viennent y parti-
ciper. L’artiste, à qui les hommes livrent tout, leur rend tout ce qu’il
leur a pris.
Rien ne nous touche, hors de ce qui nous arrive ou de ce qui peut
nous arriver. L’artiste, c’est nous-mêmes. Il a derrière lui les mêmes
profondeurs d’humanité enthousiaste ou misérable, il a autour de
lui la même nature secrète qu’élargit chacun de ses pas. L’artiste,
(i) Qu’est-ce que l’art?

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