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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 3.1870

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Ménard, René: Un portrait de Rembrandt
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https://doi.org/10.11588/diglit.21406#0483

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UN PORTRAIT DE REMBRANDT.

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antiques; le catalogue de sa collection en fait foi. Tout ce qu'il gagne, et
il gagnait beaucoup, passait dans sa chère collection. Sa passion va
toujours croissant. En 1653, nous le voyons criblé de dettes; en 1656, il
est en faillite. A ce moment, la guerre avec les Français avait ruiné tout
le monde en Hollande, et on comptait à Amsterdam trois mille maisons
vides d'habitants. La rareté du numéraire était telle, que la prodigieuse
collection de Rembrandt, son mobilier, ses armes et ses costumes ne
produisirent, en y ajoutant soixante-dix tableaux, un grand nombre
d'études et de dessins du maître, et toutes ses eaux-fortes, que la misé-
rable somme de h,9Qk florins et h sous !

Rembrandt, dénué de toutes ressources, se retira dans le Roosgracht,
un des plus pauvres quartiers d'Amsterdam, vécut dans un isolement
complet, tout en s'acharnant au travail, et « finit, dit M. Villot, par de-
voir l'aumône d'un cercueil à la charité publique. L'enterrement du
grand homme auquel on élève maintenant des statues ne coûta que
15 florins. » C'est à M. Scheltema, archiviste d'Amsterdam, qu'on doit
la communication des pièces officielles qui constatent ces faits. Ainsi
tombent ces récits qu'on trouve encore répétés dans bon nombre de
biographies, où Rembrandt est représenté comme un avare sordide, se
privant de tout, se faisant passer pour mort afin de vendre ses tableaux
plus cher, et raillé par ses élèves eux-mêmes, qui s'amusaient à peindre
des pièces d'or sur le parquet pour le voir pris au piège et tâchant de
les ramasser.

De plus en plus oublié et misérable, Rembrandt eut pourtant, dans
son extrême vieillesse, quelques instants de bonheur, puisqu'il se repré-
sente riant! C'est quand il peignait! Le «vieux lion», comme l'appelle
Biirger, vient sans doute de poser une touche qu'il trouve réussie, et il
oublie qu'il n'a pas de quoi dîner.

Le portrait que possède M. Double n'est donc pas seulement une
œuvre d'art, c'est un souvenir historique, ou, comme on dit, un objet
de haute curiosité, et la Gazette des Beaux-Arts ne pouvait se dispenser
de le faire connaître à ses lecteurs. M. J. Jacquemart, dont la pointe
fine aime ordinairement à retracer les délicates ciselures du métal et les
transparences limpides des cristaux, s'est passionné pour le chef-d'œuvre
du vieux maître, qui serait capable de montrer sa joie encore une fois s'il
se voyait traduit de la sorte.

RENÉ MÉNARD.
 
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