DOI issue:
Nr. 1
DOI article:Jouin, Henry: Le Salon de 1883, [3], La sculpture
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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
nous avons sous les yeux ont-ils compris la portée politique de la résis-
tance de Mirabeau? Pas encore. Beaucoup se montrent surpris. D’autres
marquent un certain effroi ; les nuances les plus diverses de la passion
trahissent chez plusieurs l’indécision de l’esprit. Cependant quelques-uns
se sont fièrement lévés, ils menacent du regard l’envoyé royal; l’un
d’eux a pris une pose de bélier et paraît prêt à se ruer sur Dreux-Brézé.
Tel est le haut-relief de M. Dalou. Plus encore que dans sa Républi-
que, M. Dalou donne ici la mesure d’une fertilité de pensées qui lui fait
une place de choix dans l’école. L’artiste est lui-même, il n’a imité per-
sonne. De là son succès, que la médaille d'honneur est venue sanction-
ner. Mais être soi, c’est bien ; ne relever de personne est le propre des
maîtres. Toutefois, les maîtres ne s’affranchissent jamais des lois de
leur art. M. Dalou confond les genres avec une indépendance d’esprit qui
lui sera funeste; d’autre part, son penchant pour l’anecdote semble
irrésistible. Ici, c’est un enfant qui veut se saisir d’une arme, là, une
banquette qu’on emporte, ailleurs un député qui a sa tabatière ouverte.
Il ne faut point abuser de l’anecdote.
Les historiens de Lysippe racontent que chaque œuvre du sculpteur
grec lui permit de mettre en réserve un denier d’or. Comme Lysippe,
M. Dalou a reçu un denier d’or ; c’est l’acclamation publique qui le lui a
décerné. Le conservera-t-il? Le succès d’hier sera-t-il durable? Lorsque
le bronze aura enlevé aux États généraux cette lumière indispensable à
toute page bruyante, lumière que la teinte blanche du plâtre appelle et
retient, tandis que le bronze éteint toute clarté ; lorsque les hauts-reliefs
de M. Dalou, soumis à des examens réfléchis, auront été l’objet de cri-
tiques approfondies, le renom de leur auteur se sera-t-il maintenu? Oui,
si leur auteur sait assagir son esprit et sa main ; oui, s’il compose d’après
les lois respectées depuis Phidias jusqu’à nos jours ; oui, si le succès
d’hier n’est pour lui qu’un point de départ et non pas la réalisation d’un
programme. Florus a dit d’Annibal : Quuni Victoria possel uti, frui ma-
luit. « Il pouvait se servir de la victoire, il aima mieux en jouir. » Espé-
rons pour M. Dalou qu’il fera mentir Florus.
HENRY JOUIN.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
nous avons sous les yeux ont-ils compris la portée politique de la résis-
tance de Mirabeau? Pas encore. Beaucoup se montrent surpris. D’autres
marquent un certain effroi ; les nuances les plus diverses de la passion
trahissent chez plusieurs l’indécision de l’esprit. Cependant quelques-uns
se sont fièrement lévés, ils menacent du regard l’envoyé royal; l’un
d’eux a pris une pose de bélier et paraît prêt à se ruer sur Dreux-Brézé.
Tel est le haut-relief de M. Dalou. Plus encore que dans sa Républi-
que, M. Dalou donne ici la mesure d’une fertilité de pensées qui lui fait
une place de choix dans l’école. L’artiste est lui-même, il n’a imité per-
sonne. De là son succès, que la médaille d'honneur est venue sanction-
ner. Mais être soi, c’est bien ; ne relever de personne est le propre des
maîtres. Toutefois, les maîtres ne s’affranchissent jamais des lois de
leur art. M. Dalou confond les genres avec une indépendance d’esprit qui
lui sera funeste; d’autre part, son penchant pour l’anecdote semble
irrésistible. Ici, c’est un enfant qui veut se saisir d’une arme, là, une
banquette qu’on emporte, ailleurs un député qui a sa tabatière ouverte.
Il ne faut point abuser de l’anecdote.
Les historiens de Lysippe racontent que chaque œuvre du sculpteur
grec lui permit de mettre en réserve un denier d’or. Comme Lysippe,
M. Dalou a reçu un denier d’or ; c’est l’acclamation publique qui le lui a
décerné. Le conservera-t-il? Le succès d’hier sera-t-il durable? Lorsque
le bronze aura enlevé aux États généraux cette lumière indispensable à
toute page bruyante, lumière que la teinte blanche du plâtre appelle et
retient, tandis que le bronze éteint toute clarté ; lorsque les hauts-reliefs
de M. Dalou, soumis à des examens réfléchis, auront été l’objet de cri-
tiques approfondies, le renom de leur auteur se sera-t-il maintenu? Oui,
si leur auteur sait assagir son esprit et sa main ; oui, s’il compose d’après
les lois respectées depuis Phidias jusqu’à nos jours ; oui, si le succès
d’hier n’est pour lui qu’un point de départ et non pas la réalisation d’un
programme. Florus a dit d’Annibal : Quuni Victoria possel uti, frui ma-
luit. « Il pouvait se servir de la victoire, il aima mieux en jouir. » Espé-
rons pour M. Dalou qu’il fera mentir Florus.
HENRY JOUIN.