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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
d’Ét/it, toute une correspondance entre Bianca et le patricien Francesco
Bembo1. C’est surtout un échange de propos intimes, un commerce de
bel esprit. Les lettres signées de la grande-duchesse sont au nombre de
seize, et datées du 26 décembre 1579 au 1er août 1587.
Dans l’une, de Florence, 7 mars 1586, nous relevons ce passage :
« Je vous adresse les deux petites boites d’ivoire pour que vous ayez l’obligeanre
de faire placer dedans deux portraits : dans i’un, celui de la signora Labia, qu’on me
dit être très-gracieuse et très-belle ; dans l'autre, celui d'une des plus belles patri-
ciennes qui soient à Venise. Et vous prendrez soin que tous deux soient exécutés de
très bonne main, car je désire en orner ma petite salle. »
Une autre lettre, du 1er août 1587, contient ces quelques lignes sur le
même sujet :
« J’ai remis à mon Très-Sérénissime Seigneur la belle figure de femme nue avec
votre lettre, et pour moi j’ai prélevé le portrait de la signora Labia et celui de la
Maddalenina, de la main du Titien. Son Altesse saura vous dire, pour sa part, combien
ces présents nous ont été agréables; mais, pour moi, je ne me risque pas à vous en
écrire le moindre mot, parce que tout ce que j’en pourrais dire ne s’approcherait
jamais, à beaucoup près, de la beauté du portrait, de la louange que l’on doit au
peintre d’avoir si excellemment imité l’original, de l’infinie satisfaction que j’en ai
éprouvée, et de l’obligation d'autant plus grande que j’en ai à votre zèle et à votre
jugement, grâce auxquels ma galerie va s’embellir à ce point par un si beau portrait..
Cependant, pour que mon obligation envers vous soit encore doublée, j’attendrai
l’autre portrait, celui de la signora Marina Marcello, avec d’autant plus de désir de le
posséder, que vous m’avez à ce point célébré cette dame comme la plus belle qui soit
à Venise... »
Les lettres de ce Bembo, qui fut d’ailleurs un poète de quelque
talent, sont pleines d’obséquieux respects pour la grande-duchesse de
Toscane, et de compliments excessifs sur ses grâces et sa beauté. Était-il
déjà pensionné par Francesco? En toutes circonstances, il proteste de son
désintéressement. Pourtant on découvrit plus tard qu’il était aux gages
du grand-duc Ferdinando, et, pour avoir révélé des secrets d’État à un
prince étranger, il fut condamné à la peine capitale par le conseil des Dix.
Il eut la tête tranchée le 6 juillet 15992.
Dans sa correspondance avec Bianca, on ne rencontre cependant 4
4. M. Armand Baschet, qui, pour le très grand profit de la science historique, fut
des premiers à explorer en curieux et en érudit les Archives de Venise, avait pris
autrefois copie de cette correspondance. Avec sa bienveillance habituelle pour ses
confrères en recherches, il nous Ta communiquée. Cicogna, qui en eut aussi connais-
sance, a cité trois lettres de Bianca. (Inscrizioni Veneziane, t. V, p. 364 et 363.)
2. Cicogna. Inscrizioni Veneziane, t. V, p. 363, notes.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
d’Ét/it, toute une correspondance entre Bianca et le patricien Francesco
Bembo1. C’est surtout un échange de propos intimes, un commerce de
bel esprit. Les lettres signées de la grande-duchesse sont au nombre de
seize, et datées du 26 décembre 1579 au 1er août 1587.
Dans l’une, de Florence, 7 mars 1586, nous relevons ce passage :
« Je vous adresse les deux petites boites d’ivoire pour que vous ayez l’obligeanre
de faire placer dedans deux portraits : dans i’un, celui de la signora Labia, qu’on me
dit être très-gracieuse et très-belle ; dans l'autre, celui d'une des plus belles patri-
ciennes qui soient à Venise. Et vous prendrez soin que tous deux soient exécutés de
très bonne main, car je désire en orner ma petite salle. »
Une autre lettre, du 1er août 1587, contient ces quelques lignes sur le
même sujet :
« J’ai remis à mon Très-Sérénissime Seigneur la belle figure de femme nue avec
votre lettre, et pour moi j’ai prélevé le portrait de la signora Labia et celui de la
Maddalenina, de la main du Titien. Son Altesse saura vous dire, pour sa part, combien
ces présents nous ont été agréables; mais, pour moi, je ne me risque pas à vous en
écrire le moindre mot, parce que tout ce que j’en pourrais dire ne s’approcherait
jamais, à beaucoup près, de la beauté du portrait, de la louange que l’on doit au
peintre d’avoir si excellemment imité l’original, de l’infinie satisfaction que j’en ai
éprouvée, et de l’obligation d'autant plus grande que j’en ai à votre zèle et à votre
jugement, grâce auxquels ma galerie va s’embellir à ce point par un si beau portrait..
Cependant, pour que mon obligation envers vous soit encore doublée, j’attendrai
l’autre portrait, celui de la signora Marina Marcello, avec d’autant plus de désir de le
posséder, que vous m’avez à ce point célébré cette dame comme la plus belle qui soit
à Venise... »
Les lettres de ce Bembo, qui fut d’ailleurs un poète de quelque
talent, sont pleines d’obséquieux respects pour la grande-duchesse de
Toscane, et de compliments excessifs sur ses grâces et sa beauté. Était-il
déjà pensionné par Francesco? En toutes circonstances, il proteste de son
désintéressement. Pourtant on découvrit plus tard qu’il était aux gages
du grand-duc Ferdinando, et, pour avoir révélé des secrets d’État à un
prince étranger, il fut condamné à la peine capitale par le conseil des Dix.
Il eut la tête tranchée le 6 juillet 15992.
Dans sa correspondance avec Bianca, on ne rencontre cependant 4
4. M. Armand Baschet, qui, pour le très grand profit de la science historique, fut
des premiers à explorer en curieux et en érudit les Archives de Venise, avait pris
autrefois copie de cette correspondance. Avec sa bienveillance habituelle pour ses
confrères en recherches, il nous Ta communiquée. Cicogna, qui en eut aussi connais-
sance, a cité trois lettres de Bianca. (Inscrizioni Veneziane, t. V, p. 364 et 363.)
2. Cicogna. Inscrizioni Veneziane, t. V, p. 363, notes.