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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
tienne dut songer, malgré l’amertume de son ressentiment, à se rappro-
cher de l’héritier légitime du trône, le cardinal don Ferdinando.
A quelque temps de là, le cardinal, sur l’invitation qui lui en fut
faite, alla rendre visite à son frère et à sa belle-sœur, alors en villégiature
à Poggio a Gaiano. Cette réunion, qui devait, au moins en apparence,
être un témoignage de la complète harmonie rétablie dans la maison des
Médicis, eut un dénouement tragique et imprévu. Le grand-duc mourut
le 19 octobre 1587, la grande-duchesse expira le lendemain.
Si Ton s’en rapportait à certaine rumeur populaire, — le peuple ne
pouvait croire aux morts naturelles dans cette famille des Médicis, —
Bianca aurait tenté d’empoisonner son beau-frère en lui offrant d’une cer-
taine tourte qu’elle avait coutume de préparer de ses propres mains pour
Francesco, et cette machination aurait accidentellement tourné contre son
mari et contre elle-même. D’après une autre version, qui suppose aussi
l’empoisonnement, le cardinal aurait médité et accompli le crime. Mais
ce sont là de pures hypothèses, ne reposant sur aucun fondement. 11 pa-
raît avéré, au contraire, que Francesco mourut de maladie : atteint de
fièvre tierce, il commit l’imprudence, suivant les uns, de prendre trop de
glace, suivant d’autres, de manger trop de champignons. Quant à Bianca,
le régime d’aliments auquel elle s’était soumise, et les préparations mé-
dicinales quelle avait absorbées pendant plusieurs mois pour se gonfler
et arriver à simuler la grossesse, avaient sérieusement atteint sa santé.
Elle était donc déjà malade, quand la mort inattendue de son mari lui
porta un coup d’autant plus violent qu’elle comprit à quelles inimitiés
implacables elle allait tout aussitôt se trouver en butte. Elle s’affaissa sous
ce choc moral, et la vie l’abandonna. D’après l’ordre du cardinal, sou-
cieux de faire taire les bruits qui coururent aussitôt sur la cause de cette
mort, le cadavre de la grande-duchesse fut ouvert en présence de sa fille
Pellegrina *, de son gendre et des médecins de la cour.
On transporta le corps de Francesco à Florence, on l’habilla dans ses
vêtements d’apparat, et, avec la couronne ducale sur la tête, il fut exposé
dans l’église de San-Lorenzo. Ensuite on le déposa dans le sépulcre de
ses ancêtres, auprès de Jeanne d’Autriche.
Bianca ne fut conduite que deux jours après à Florence, et, comme on
demandait à don Ferdinando si elle devait être exposée avec la couronne
ducale : « Elle ne Ta que trop portée déjà », répondit le prince. On le
pria de déterminer le lieu de la sépulture: « Partout où Ton voudra, ré-
pliqua-t-il, pourvu que ce ne soit pas dans le monument de la maison
t. Pellegrina, qui avait épousé le comte Ulysse Bontivoglio Manzoli, de Bologne,
mourut assassinée, par ordre de son mari, pour avoir trahi la foi conjugale.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
tienne dut songer, malgré l’amertume de son ressentiment, à se rappro-
cher de l’héritier légitime du trône, le cardinal don Ferdinando.
A quelque temps de là, le cardinal, sur l’invitation qui lui en fut
faite, alla rendre visite à son frère et à sa belle-sœur, alors en villégiature
à Poggio a Gaiano. Cette réunion, qui devait, au moins en apparence,
être un témoignage de la complète harmonie rétablie dans la maison des
Médicis, eut un dénouement tragique et imprévu. Le grand-duc mourut
le 19 octobre 1587, la grande-duchesse expira le lendemain.
Si Ton s’en rapportait à certaine rumeur populaire, — le peuple ne
pouvait croire aux morts naturelles dans cette famille des Médicis, —
Bianca aurait tenté d’empoisonner son beau-frère en lui offrant d’une cer-
taine tourte qu’elle avait coutume de préparer de ses propres mains pour
Francesco, et cette machination aurait accidentellement tourné contre son
mari et contre elle-même. D’après une autre version, qui suppose aussi
l’empoisonnement, le cardinal aurait médité et accompli le crime. Mais
ce sont là de pures hypothèses, ne reposant sur aucun fondement. 11 pa-
raît avéré, au contraire, que Francesco mourut de maladie : atteint de
fièvre tierce, il commit l’imprudence, suivant les uns, de prendre trop de
glace, suivant d’autres, de manger trop de champignons. Quant à Bianca,
le régime d’aliments auquel elle s’était soumise, et les préparations mé-
dicinales quelle avait absorbées pendant plusieurs mois pour se gonfler
et arriver à simuler la grossesse, avaient sérieusement atteint sa santé.
Elle était donc déjà malade, quand la mort inattendue de son mari lui
porta un coup d’autant plus violent qu’elle comprit à quelles inimitiés
implacables elle allait tout aussitôt se trouver en butte. Elle s’affaissa sous
ce choc moral, et la vie l’abandonna. D’après l’ordre du cardinal, sou-
cieux de faire taire les bruits qui coururent aussitôt sur la cause de cette
mort, le cadavre de la grande-duchesse fut ouvert en présence de sa fille
Pellegrina *, de son gendre et des médecins de la cour.
On transporta le corps de Francesco à Florence, on l’habilla dans ses
vêtements d’apparat, et, avec la couronne ducale sur la tête, il fut exposé
dans l’église de San-Lorenzo. Ensuite on le déposa dans le sépulcre de
ses ancêtres, auprès de Jeanne d’Autriche.
Bianca ne fut conduite que deux jours après à Florence, et, comme on
demandait à don Ferdinando si elle devait être exposée avec la couronne
ducale : « Elle ne Ta que trop portée déjà », répondit le prince. On le
pria de déterminer le lieu de la sépulture: « Partout où Ton voudra, ré-
pliqua-t-il, pourvu que ce ne soit pas dans le monument de la maison
t. Pellegrina, qui avait épousé le comte Ulysse Bontivoglio Manzoli, de Bologne,
mourut assassinée, par ordre de son mari, pour avoir trahi la foi conjugale.