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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Les Arts libéraux sont, comme il convient, figurés par des
femmes. Assises sur de hautes chaires dont le dossier très élevé se
découpe d’une façon bizarre à la recherche d’une ébénisterie idéale,
les quatre virtuoses ont auprès d’elles un personnage historique ou
légendaire dont les travaux résument et glorifient l’art spécial qu’elles
symbolisent. Ces personnages ne sont pas là comme des maîtres, mais
comme des disciples attentifs aux leçons que leur donne chaque Muse.
Priscien, le pédagogue de Césarée, écrit sous la dictée de la Gram-
maire. La Logique, ayant aux mains un lézard et un scorpion,
emblèmes des arguments de la scolastique, inspire Aristote qui
discute avec elle. Cicéron est assis aux pieds de la Rhétorique armée
d’un instrument où l’on est tenté de reconnaître une lime. Enfin la
Musique, tenant sur ses genoux un petit orgue portatif, a auprès
d’elle le rude ouvrier du métal, Tubalcaïn, qui frappe sur son enclume
et fait de l’harmonie à sa façon.
Bien qu’il y ait de la fantaisie dans leurs coiffures et dans leurs
ajustements luxueux, ces femmes ne sont nullement chimériques.
Elles sont vivantes et individuelles. Si Anne de Bretagne était venue
au Puy, elle les aurait saluées comme des contemporaines et presque
comme des parentes. De même que la reine, elles ont le front légère-
ment bombé, ce qui est l’idéal du temps, car, n’hésitons pas à le dire,
l’auteur inconnu des Arts libéraux est un maître qui a voyagé et qui
a respiré l’air ambiant. Les tètes des philosophes ne sont pas moins
remarquables : on y reconnaît aussi des portraits, et il en est une,
celle d’Aristote, qui est d’une beauté surprenante. C’est un visage
spirituel, maigre, austère; c’est l’enveloppe extérieure d’une âme
brûlée du feu scientifique. Ce masque parlant est un chef-d'œuvre.
Qui nous dira le nom du savant docteur dont le peintre de Pierre
Odin a éternisé ici le type intelligent et la profonde conviction
morale?
L’artiste ignoré qui a conçu et exécuté cette peinture, une des plus
curieuses du xve siècle finissant, est un coloriste à la recherche du
beau ton et des délicatesses harmonieuses. Dans un article sur Jehan
Perréal, publié jadis par la Gazette, un de nos amis, analysant le pré-
cieux tableau donné au Louvre par M. Bancel, a fait remarquer
l’accord que l’auteur a su établir entre la robe rose de la Vierge et
le tapis vert du premier plan. Le peintre des Arts libéraux semble
obéir à des préoccupations analogues. Il ne croit plus aux notes
intenses, aux violentes découpures du jeu de cartes. Il rompt lestons,
ou du moins il les calme. La Grammaire est une brune sympathique
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Les Arts libéraux sont, comme il convient, figurés par des
femmes. Assises sur de hautes chaires dont le dossier très élevé se
découpe d’une façon bizarre à la recherche d’une ébénisterie idéale,
les quatre virtuoses ont auprès d’elles un personnage historique ou
légendaire dont les travaux résument et glorifient l’art spécial qu’elles
symbolisent. Ces personnages ne sont pas là comme des maîtres, mais
comme des disciples attentifs aux leçons que leur donne chaque Muse.
Priscien, le pédagogue de Césarée, écrit sous la dictée de la Gram-
maire. La Logique, ayant aux mains un lézard et un scorpion,
emblèmes des arguments de la scolastique, inspire Aristote qui
discute avec elle. Cicéron est assis aux pieds de la Rhétorique armée
d’un instrument où l’on est tenté de reconnaître une lime. Enfin la
Musique, tenant sur ses genoux un petit orgue portatif, a auprès
d’elle le rude ouvrier du métal, Tubalcaïn, qui frappe sur son enclume
et fait de l’harmonie à sa façon.
Bien qu’il y ait de la fantaisie dans leurs coiffures et dans leurs
ajustements luxueux, ces femmes ne sont nullement chimériques.
Elles sont vivantes et individuelles. Si Anne de Bretagne était venue
au Puy, elle les aurait saluées comme des contemporaines et presque
comme des parentes. De même que la reine, elles ont le front légère-
ment bombé, ce qui est l’idéal du temps, car, n’hésitons pas à le dire,
l’auteur inconnu des Arts libéraux est un maître qui a voyagé et qui
a respiré l’air ambiant. Les tètes des philosophes ne sont pas moins
remarquables : on y reconnaît aussi des portraits, et il en est une,
celle d’Aristote, qui est d’une beauté surprenante. C’est un visage
spirituel, maigre, austère; c’est l’enveloppe extérieure d’une âme
brûlée du feu scientifique. Ce masque parlant est un chef-d'œuvre.
Qui nous dira le nom du savant docteur dont le peintre de Pierre
Odin a éternisé ici le type intelligent et la profonde conviction
morale?
L’artiste ignoré qui a conçu et exécuté cette peinture, une des plus
curieuses du xve siècle finissant, est un coloriste à la recherche du
beau ton et des délicatesses harmonieuses. Dans un article sur Jehan
Perréal, publié jadis par la Gazette, un de nos amis, analysant le pré-
cieux tableau donné au Louvre par M. Bancel, a fait remarquer
l’accord que l’auteur a su établir entre la robe rose de la Vierge et
le tapis vert du premier plan. Le peintre des Arts libéraux semble
obéir à des préoccupations analogues. Il ne croit plus aux notes
intenses, aux violentes découpures du jeu de cartes. Il rompt lestons,
ou du moins il les calme. La Grammaire est une brune sympathique