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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2. Pér. 35.1887

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Nr. 2
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Lostalot, Alfred de: Revue musicale
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https://doi.org/10.11588/diglit.24189#0188

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172

GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

symphonies : le piano, l’orgue, le contrebasson, le tuba et les cymbales.
Le public, habitué depuis Berlioz aux formes hétéroclites de certains de ces
instruments et à leurs étranges sonorités n’avait pas à être surpris, et du
reste, le parti extraordinaire que M. Saint-Saëns a su tirer de ses nouveaux
collaborateurs, ne pouvait que leur rallier tous les suffrages; les voilà dès
à présent admis dans cette grande maison du Conservatoire, que Ton accuse
à tort d’être obstinément fermée aux idées nouvelles et même aux simples
progrès de la technique instrumentale.

L’auteur de Patrie nous semble être également de l’école du bon sens;
M. Paladillie fait de son mieux, sans parti pris, sans engouement pour un
système quelconque et en s’efforçant de mettre à profit toutes les découvertes
dont s’enorgueillit l’art moderne. Son œuvre commande le respect comme
toute œuvre de bonne volonté où se révèlent une conscience d’artiste et les
ambitions les plus nobles. Il est manifeste que le beau drame de M. Sardou
avait vivement frappé son imagination. De fait, on ne saurait inventer un
sujet plus propice au développement traditionnel de l’opéra; Meyerbeer et
Verdi l’eussent accueilli avec enthousiasme, et sans demander aucun chan-
gement notable, car l’action s’enchaîne et les personnages se groupent
suivant la poétique qui leur était chère. L’amour, la jalousie, la haine y
sont exprimés à tour de rôle par la voix des solistes auxquels viennent se
mêler à propos les masses chorales des comparses dont l’intervention toujours
justifiée par les événements amène de grandes explosions vocales, couron-
nement rationnel des différentes scènes de l’ouvrage.

Cette justice rendue à la puissante création de M. Sardou, je crois que
les grands compositeurs dont je viens de citer les noms eussent prié l’auteur
du drame de ne pas s’occuper du livret de Patrie. M. Sardou, très naturel-
lement pénétré de la valeur de ses écrits, ne pouvait pas les immoler de ses
propres mains; comment exiger de lui qu’il transformât en monstres d’opéra,
— c’est le terme consacré, — les belles phrases françaises tombées de sa
plume? Un autre devait se charger de cette pénible besogne. L’on a choisi
pour la remplir M. Louis Gallet. J’estime au plus haut point le talent de
M. Gallet, mais à mon sens, ce n’était pas l’écrivain qui convenait au labeur
imposé; il est lui-même de trop bonne race comme littérateur et comme poète
pour consentir certaines défaillances de langage qui s’imposent fatalement
au librettiste désireux de bien servir un musicien.

M. Paladilbe a beaucoup perdu à ne pas avoir sous la main quelque
descendant de Scribe façonné aux « Bonheur extrême, Moment suprême »,
sur lesquels tant d’inspirations exquises se sont librement envolées. Placée
entre un poète soucieux de ses vers et un dramaturge peu disposé à ralentir
par des fadaises littéraires l’action et l’enchaînement de son drame, la muse
de M. Paladilbe a dû cruellement souffrir. A moins d’être à la fois le poète
et le musicien de ses œuvres, comme l’ont été Berlioz et Wagner, il n’est
guère possible de donner pleine carrière à l’expression musicale sans porter
atteinte aux droits du poème : l’art ne s’accommode pas de contraintes, la
musique surtout, cet art le plus indépendant de tous et qui, semblable à
l’Esprit, souffle où il veut. Dans l’opéra de Patrie, si estimable en soi, on a
pleine conscience que la musique s’est faite l’humble servante du drame ;
 
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