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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
point de ressemblance avec le Sahara et le Sahel de l’auteur des
Maîtres d’autrefois. Ces Tableaux sont d’une simplicité absolue ; on y
chercherait vainement un effort de styliste, de philosophe, de critique,
une thèse, une digression; tandis que l’œuvre de Fromentin est
éminemment subjective. Une amitié illustre, une admiration litté-
raire, l’induisirent à écrire sur l’Orient de nouvelles Lettres d’un
voyageur plutôt que des notes et des impressions de voyage. Nous y
avons gagné quelques pages qui sont des chefs-d’œuvre... Quoi qu’il
en soit, les articles de Guillaumet ont pour nous l'intérêt d’être une
succession de tableaux complets en eux-mêmes, où chaque étape,
chaque heure du jour est décrite avec une vérité pénétrante. Nous
leur ferons de fréquents emprunts, car ils expliquent à notre igno-
rance toutes les choses inconnues que l’artiste a peintes avec une
sincérité adéquate. Il n’avait, pour tout secret de bien dire, qu’à
regarder les dessins qu’il avait rapportés de là-bas.
Le charme le plus puissant de l’Orient est celui des contrastes ;
ils y sont plus accusés qu’ailleurs ; on les sent mieux; on en jouit
plus. Sur les mornes horizons rectilignes, les collines prennent
l’importance de montagnes; au milieu de lieues de pays semées de
rocaille ingrate, un bouquet d’arbres devient une forêt, un torrent à
demi desséché devient un fleuve; parmi les tons fauves et gris des
choses, un peu de rouge éclate et brille dix fois plus que dans la nature
multicolore de l’Occident. L’Algérie offre en résumé tous les aspects
de l’Orient. Alger, c’est « un immense bloc d’albâtre, échelonnant
ses degrés jusqu’à la mer ». La chaîne du Djurjura, ce sont des rocs
abrupts aux pentes à demi boisées, aux déchirures profondes, impo-
sante et charmante à la fois par la hère dentelure de ses pics que
blanchit la neige des hivers et qui prennent la couleur des lilas et
des roses aux premières ardeurs du printemps. Puis viennent les
steppes couverts d’alfa, et les collines pelées, les ondulations des
dunes dorées, et enfin les oasis, les villages qu’on appelle ksour ou
douar, les campements, la plaine sans borne qui est la patrie des
derniers Kabyles et des premiers nomades.
Le désert séduisit Guillaumet d’abord. Il voulut, en 1867, tirer un
grand effet de cette uniformité sans pitié. Il avait dessiné, comme à
la règle, un segment de la grandiose table rase qui est au cœur de
l’Afrique, et, sous un ciel morne, placé le cadavre d’un chameau.
C’était trop... ou trop peu; l’impression désirée dépassait presque les
limites où peut atteindre la peinture; mais il avait été mieux inspiré,
quatre ans avant, en peignant la Prière du soir, aujourd’hui au Musée
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
point de ressemblance avec le Sahara et le Sahel de l’auteur des
Maîtres d’autrefois. Ces Tableaux sont d’une simplicité absolue ; on y
chercherait vainement un effort de styliste, de philosophe, de critique,
une thèse, une digression; tandis que l’œuvre de Fromentin est
éminemment subjective. Une amitié illustre, une admiration litté-
raire, l’induisirent à écrire sur l’Orient de nouvelles Lettres d’un
voyageur plutôt que des notes et des impressions de voyage. Nous y
avons gagné quelques pages qui sont des chefs-d’œuvre... Quoi qu’il
en soit, les articles de Guillaumet ont pour nous l'intérêt d’être une
succession de tableaux complets en eux-mêmes, où chaque étape,
chaque heure du jour est décrite avec une vérité pénétrante. Nous
leur ferons de fréquents emprunts, car ils expliquent à notre igno-
rance toutes les choses inconnues que l’artiste a peintes avec une
sincérité adéquate. Il n’avait, pour tout secret de bien dire, qu’à
regarder les dessins qu’il avait rapportés de là-bas.
Le charme le plus puissant de l’Orient est celui des contrastes ;
ils y sont plus accusés qu’ailleurs ; on les sent mieux; on en jouit
plus. Sur les mornes horizons rectilignes, les collines prennent
l’importance de montagnes; au milieu de lieues de pays semées de
rocaille ingrate, un bouquet d’arbres devient une forêt, un torrent à
demi desséché devient un fleuve; parmi les tons fauves et gris des
choses, un peu de rouge éclate et brille dix fois plus que dans la nature
multicolore de l’Occident. L’Algérie offre en résumé tous les aspects
de l’Orient. Alger, c’est « un immense bloc d’albâtre, échelonnant
ses degrés jusqu’à la mer ». La chaîne du Djurjura, ce sont des rocs
abrupts aux pentes à demi boisées, aux déchirures profondes, impo-
sante et charmante à la fois par la hère dentelure de ses pics que
blanchit la neige des hivers et qui prennent la couleur des lilas et
des roses aux premières ardeurs du printemps. Puis viennent les
steppes couverts d’alfa, et les collines pelées, les ondulations des
dunes dorées, et enfin les oasis, les villages qu’on appelle ksour ou
douar, les campements, la plaine sans borne qui est la patrie des
derniers Kabyles et des premiers nomades.
Le désert séduisit Guillaumet d’abord. Il voulut, en 1867, tirer un
grand effet de cette uniformité sans pitié. Il avait dessiné, comme à
la règle, un segment de la grandiose table rase qui est au cœur de
l’Afrique, et, sous un ciel morne, placé le cadavre d’un chameau.
C’était trop... ou trop peu; l’impression désirée dépassait presque les
limites où peut atteindre la peinture; mais il avait été mieux inspiré,
quatre ans avant, en peignant la Prière du soir, aujourd’hui au Musée