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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
l’arrangement des sites, rien qui s’impose au regard et le retienne.
Ce renouveau de la peinture décorative marquera dans l’histoire
de l’art contemporain. Nous lui devons d’incontestables chefs-d’œuvre
et de pauvres pastiches. C’est un écueil pour les esprits superficiels,
car il ne suffit pas de faire vaste pour faire grand, et la dextérité qui
sait animer de petites toiles échoue dans les hautes entreprises. Le
triptyque de M. Flameng n’a rien qui puisse nous démentir. Une
certaine gaieté de lumière sur des fonds largement traités, l’habile
arrangement des architectures, l’exécution amusante des accessoires
prouvent l’adresse d’un praticien madré et n’annoncent pas encore
un artiste. Dans ces milieux qui restent vagues, on croit voir une
réunion de fantômes inconsistants et de réminiscences bigarrées. Des
musculatures boursouflées qui parodient Michel-Ange, des attitudes
violentes à la Signorelli, des poses naïves empruntées à Giotto,
jusqu’aux pittoresques fantaisies de Grasset dans ses illustrations du
moyen âge; tout cela forcé, grossi, poussé à la charge, donne l’idée
d’un pastiche singulièrement éclectique et dénué de toute conviction.
Ces personnages ne se prennent pas au sérieux, non, pas plus Abélard
hiératique et raide comme un pieu que le grand valet jaune et bleu
qui hanche complaisamment et montre le revers de sa semelle. Tous
ont la prétention agaçante de la fausse naïveté. Je ne sais comment
la grave Sorbonne accueillera son histoire ainsi travestie ; elle pourra
se consoler en voyant l’esprit humain si noblement glorifié par
M. Puvis de Chavannes. Il serait prématuré d’analyser cette œuvre
avant que le peintre ne l’ait revêtue d’une puissante et sereine
harmonie. Dès aujourd’hui elle nous apparaît dans toute sa beauté
intellectuelle. Rêverie, méditation, amour, ardeurs mystiques, ces
calmes figures expriment par leurs attitudes les plus nobles états de
l’âme. Le paysage largement déployé en hémicycle les encadre dans
ses lignes simples. Tout y est recueilli, empreint d’une grâce austère,
réglé par une musique intérieure. Cette admirable composition
suffirait à nous prouver que l’esprit de la Renaissance et de l’Anti-
quité n’a pas dit son dernier mot, qu’à côté des banalités académiques
notre Ecole garde le culte intelligent de la tradition, qu’on peut aimer
passionnément la nature et consulter les modèles, unir le rythme de
la statuaire à la profondeur expressive des primitifs, et la familiarité
gauloise à l’harmonieuse sérénité des anciens. Peut-être ces beautés
d’ordre supérieur nous rendent-elles injuste pour des œuvres à
sensation, de virtuosité contestable et d’expression mélodramatique.
La Théodora deM. Benjamin Constant est sans doute un chef-d’œuvre
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
l’arrangement des sites, rien qui s’impose au regard et le retienne.
Ce renouveau de la peinture décorative marquera dans l’histoire
de l’art contemporain. Nous lui devons d’incontestables chefs-d’œuvre
et de pauvres pastiches. C’est un écueil pour les esprits superficiels,
car il ne suffit pas de faire vaste pour faire grand, et la dextérité qui
sait animer de petites toiles échoue dans les hautes entreprises. Le
triptyque de M. Flameng n’a rien qui puisse nous démentir. Une
certaine gaieté de lumière sur des fonds largement traités, l’habile
arrangement des architectures, l’exécution amusante des accessoires
prouvent l’adresse d’un praticien madré et n’annoncent pas encore
un artiste. Dans ces milieux qui restent vagues, on croit voir une
réunion de fantômes inconsistants et de réminiscences bigarrées. Des
musculatures boursouflées qui parodient Michel-Ange, des attitudes
violentes à la Signorelli, des poses naïves empruntées à Giotto,
jusqu’aux pittoresques fantaisies de Grasset dans ses illustrations du
moyen âge; tout cela forcé, grossi, poussé à la charge, donne l’idée
d’un pastiche singulièrement éclectique et dénué de toute conviction.
Ces personnages ne se prennent pas au sérieux, non, pas plus Abélard
hiératique et raide comme un pieu que le grand valet jaune et bleu
qui hanche complaisamment et montre le revers de sa semelle. Tous
ont la prétention agaçante de la fausse naïveté. Je ne sais comment
la grave Sorbonne accueillera son histoire ainsi travestie ; elle pourra
se consoler en voyant l’esprit humain si noblement glorifié par
M. Puvis de Chavannes. Il serait prématuré d’analyser cette œuvre
avant que le peintre ne l’ait revêtue d’une puissante et sereine
harmonie. Dès aujourd’hui elle nous apparaît dans toute sa beauté
intellectuelle. Rêverie, méditation, amour, ardeurs mystiques, ces
calmes figures expriment par leurs attitudes les plus nobles états de
l’âme. Le paysage largement déployé en hémicycle les encadre dans
ses lignes simples. Tout y est recueilli, empreint d’une grâce austère,
réglé par une musique intérieure. Cette admirable composition
suffirait à nous prouver que l’esprit de la Renaissance et de l’Anti-
quité n’a pas dit son dernier mot, qu’à côté des banalités académiques
notre Ecole garde le culte intelligent de la tradition, qu’on peut aimer
passionnément la nature et consulter les modèles, unir le rythme de
la statuaire à la profondeur expressive des primitifs, et la familiarité
gauloise à l’harmonieuse sérénité des anciens. Peut-être ces beautés
d’ordre supérieur nous rendent-elles injuste pour des œuvres à
sensation, de virtuosité contestable et d’expression mélodramatique.
La Théodora deM. Benjamin Constant est sans doute un chef-d’œuvre