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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
d’orfèvrerie, et le triomphe du morceau brillant. Mais cet art brutal
et scintillant éblouit sans charmer; la figure est creuse et manque
d’intérêt. Son Orphée, compact et opaque, se dresse lourdement comme
une statue de grès dans un paysage pétrifié : on éprouve une sensation
opprimante et l’on cesse de plaindre Eurydice.
M. Rochegrosse s’obstine à écrire de mauvais drames dans une langue
baroque et prétentieuse. La Mort de César (acquise par l’État !), où l’on
remarque des marbres exactement veinés, et des mosaïques fignolées
au trompe-l’œil, est aussi dépourvue de style que de couleur; un chœur
mal réglé de figurants mal drapés ébauchant des grimaces niaises dans
une cacophonie de tons sales et criards. La Salomé, d’une rouerie plus
amusante^ ne dépasse pas l’ordinaire blaireautage d’un genre qui a
fait son temps. Mais que dire de YArmide de M. Jacquet, sinon qu’elle
est d’un goût cruel et que l’infidèle Renaud est mille fois justifié?
L’Enchanteresse pourrait intenter au peintre un procès en diffamation.
L’Andromède de M. Carolus-Duran est adroitement modelée, mais
lisse, froide, indifférente de forme et d’expression : on regrette que
l’artiste n’ait pas réservé pour cette carnation savonneuse un peu de
l’éclat qu’il a répandu sur les fonds. Les bonnes études de nu se font
rares et je veux les noter en passant. Aux pastels, la fille rousse qui
démêle ses cheveux devant une psyché empire, par M. Doucet, est
d’un modelé très ferme, très ressenti, remarquable surtout dans le
torse. Le Miroir, par M. L. Carrier-Belleuse, une figure de femme
mollement couchée, accoudée à gauche et qui se mire, est d’une souple
exécution, malgré quelques accents trop anguleux.
Le portrait fut toujours le fond résistant de l’École française, un
terrain de conciliation où se rapprochaient les tendances les plus
divergentes. Aux époques d’engouement classique comme à celles
de fantaisie trop chimérique, il a ramené plus d’un peintre à l’obser-
vation directe de la nature, au sens du réel et du présent. Et n’est-ce
pas là que se mesure au plus juste la puissance de pénétration d’un
artiste, sa finesse psychologique et la souplesse de ses facultés? A
vrai dire les portraitistes brevetés n’apportent rien cette année qui
soit d’un puissant intérêt. M. Carolus-Duran, plus simple et plus
recueilli qu’à l’ordinaire, a sacrifié quelque chose de sa virtuosité
expéditive; la qualité des tons et la justesse des valeurs y ont peu
gagné, et l’étude des physionomies s’arrête à des à peu près.
En revanche, M. Bonnat n’a jamais décrit un caractère avec une
plus âpre insistance que le jour où il burina le portrait de M. Dumas.
Mais cette volonté trop tendue dessèche la vérité. Le modelé métal-
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
d’orfèvrerie, et le triomphe du morceau brillant. Mais cet art brutal
et scintillant éblouit sans charmer; la figure est creuse et manque
d’intérêt. Son Orphée, compact et opaque, se dresse lourdement comme
une statue de grès dans un paysage pétrifié : on éprouve une sensation
opprimante et l’on cesse de plaindre Eurydice.
M. Rochegrosse s’obstine à écrire de mauvais drames dans une langue
baroque et prétentieuse. La Mort de César (acquise par l’État !), où l’on
remarque des marbres exactement veinés, et des mosaïques fignolées
au trompe-l’œil, est aussi dépourvue de style que de couleur; un chœur
mal réglé de figurants mal drapés ébauchant des grimaces niaises dans
une cacophonie de tons sales et criards. La Salomé, d’une rouerie plus
amusante^ ne dépasse pas l’ordinaire blaireautage d’un genre qui a
fait son temps. Mais que dire de YArmide de M. Jacquet, sinon qu’elle
est d’un goût cruel et que l’infidèle Renaud est mille fois justifié?
L’Enchanteresse pourrait intenter au peintre un procès en diffamation.
L’Andromède de M. Carolus-Duran est adroitement modelée, mais
lisse, froide, indifférente de forme et d’expression : on regrette que
l’artiste n’ait pas réservé pour cette carnation savonneuse un peu de
l’éclat qu’il a répandu sur les fonds. Les bonnes études de nu se font
rares et je veux les noter en passant. Aux pastels, la fille rousse qui
démêle ses cheveux devant une psyché empire, par M. Doucet, est
d’un modelé très ferme, très ressenti, remarquable surtout dans le
torse. Le Miroir, par M. L. Carrier-Belleuse, une figure de femme
mollement couchée, accoudée à gauche et qui se mire, est d’une souple
exécution, malgré quelques accents trop anguleux.
Le portrait fut toujours le fond résistant de l’École française, un
terrain de conciliation où se rapprochaient les tendances les plus
divergentes. Aux époques d’engouement classique comme à celles
de fantaisie trop chimérique, il a ramené plus d’un peintre à l’obser-
vation directe de la nature, au sens du réel et du présent. Et n’est-ce
pas là que se mesure au plus juste la puissance de pénétration d’un
artiste, sa finesse psychologique et la souplesse de ses facultés? A
vrai dire les portraitistes brevetés n’apportent rien cette année qui
soit d’un puissant intérêt. M. Carolus-Duran, plus simple et plus
recueilli qu’à l’ordinaire, a sacrifié quelque chose de sa virtuosité
expéditive; la qualité des tons et la justesse des valeurs y ont peu
gagné, et l’étude des physionomies s’arrête à des à peu près.
En revanche, M. Bonnat n’a jamais décrit un caractère avec une
plus âpre insistance que le jour où il burina le portrait de M. Dumas.
Mais cette volonté trop tendue dessèche la vérité. Le modelé métal-