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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 8.1892

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Nr. 1
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Pottier, Edmond: Les Salons de 1892, 2, La sculpture
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https://doi.org/10.11588/diglit.24661#0021

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LES SALONS DE 1892.

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noyée en de veules dégénérescences. Combien sont-ils, les sculpteurs
contemporains qui ont regardé face à face des œuvres grecques et qui
les ont comprises? Je n’oserais pas les compter. La plupart ont vu
l’antique à travers le xvme ou le xvne siècle; plus rares sont ceux
qui s'élèvent jusqu’aux fortes interprétations dues aux maîtres de la
Renaissance; plus rares encore ceux qui ont remonté jusqu’aux copies
gréco-romaines des chefs-d’œuvre grecs. Je cherche en vain qui a
franchi le dernier échelon, celui qui amène directement à Praxitèle,
à Polyclète et à Phidias. Nous avons si peu l’habitude du corps nu
qu’il reste ordinairement une matière inerte ou inexpressive aux
mains de nos artistes, en dépit de toute leur habileté technique. Bon
gré, mal gré, c’est toujours à l’expression de la tète, à l’intensité du
regard, aux contractions de la bouche qu’ils ont recours pour faire
dire au marbre ce qu’ils veulent.

Je ne parle pas ici de ceux qui cherchent à créer, après Puget
et Rude, la sculpture dramatique et que le choix des sujets autorise
en quelque manière à prêter aux visages une mimique violente. Il
est clair que le Naufragé de M. Laheudrie, les Derniers secours
de M. Pierre, le Déluge de M. Capellaro et En détresse de M. Cordon-
nier ont tous les droits à l’énergie et même à la brutalité des jeux
de physionomie, tout autant que les Géants foudroyés de Pergame
ou le Laocoon. Mais il faut user discrètement de ces effets tragiques
et ne les employer qu’à bon escient. Le défaut commun à beaucoup
d’artistes modernes est de mettre toute leur éloquence dans la
tête, là où le corps devrait être l’agent principal d’expression.
Regardez les Lutteurs de M. Perrin; leur musculature a beau saillir
en paquets et en boules sur toute la surface du corps, elle reste
cotonneuse et molle. Pour avoir idée de leur effort, il faut regarder
les yeux effroyablement creusés sous l’arcade sourcilière, la pupille
dilatée, la bouche entr’ouverte. Ce n’est pas ainsi que les jeunes
Lapithes qui combattent sur le fronton d’Olympie ou sur les métopes
du Parthénon font sentir leur force musculaire : leur visage reste
presque impassible et c’est à peine si une simple ride barrant le
front révèle leurs angoisses intérieures.

M. Hansen-Jacobsen a certainement pensé au Discobole de Myron
en exécutant son Joueur de boule. Il serait curieux de mettre côte à
côte l’œuvre ancienne et la variante moderne. Quel est le plus
difficile, de lancer une masse de fer pesant plusieurs kilogrammes
ou de jouer au « cochonnet »? Pourtant il n’y a pas dans le Discobole
le quart de l’effort musculaire, ni de la contention dans tous les
 
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