LES SALONS DE 1892.
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le visiteur est accueilli par un chœur étrange de jeunes femmes
aux yeux peints, aux cheveux rouges, aux vêtements diaprés où se
mêlent les vermillons, les bleus, les verts et les noirs. Battus sur le
terrain de l’archaïsme grec, les contradicteurs se sont réfugiés dans
les périodes classiques. Sans doute, disent-ils, la Grèce de Pisistrate,
influencée par l’Egypte, a pu tolérer ce brutal badigeon, mais
comment admettre que Phidias ait peint les frontons du Parthénon,
que Praxitèle ait livré à un enlumineur l’admirable marbre de son
Hermès, et comment se figurer la Vénus de Milo avec des yeux noirs
et des lèvres rouges?
J’en ai peur : ces derniers retranchements seront bientôt forcés,
si j’en crois les nouvelles qui nous viennent d’Allemagne et d’Amé-
rique. Dès 1884, le conservateur du Musée de Dresde, M. Treu,
publiait une brochure intitulée : Devons-nous peindre nos statues?
Et à titre d’essais pratiques, il installait dans son musée des copies
d’antiques colorées. Plus récemment encore, en 1892, un conser-
vateur du Musée de Boston, M. Edward Robinson, vient, avec l’aide
d’un sculpteur, M. J. Lindon Smith, de reconstituer au moyen de
moulages peints deux chefs-d’œuvre de l’époque classique : l'Hermès
d’Olympie et la Vénus Genitrix du Louvre. A l’appui de cette expé-
rience, il publie dans le Century Illustrated de New York un article
où sont rassemblées avec beaucoup de science et d’adresse toutes les
preuves qui concourent à démontrer l’existence d’une plastique
peinte chez les Grecs et chez les Romains, à toutes les époques de
leur histoire. Les preuves sont de deux genres : d’abord les obser-
vations des fouilleurs, les traces de couleurs très visibles sur toutes
les sculptures archaïques du vie siècle, sur les métopes du temple
de Jupiter Olympien construit vers 450, sur la frise du mausolée
d’Halicarnasse exécutée vers 350, sur les beaux sarcophages de
Sidon où l’on croit retrouver une représentation d’Alexandre à
cheval, sur une statuette d’Aphrodite trouvée à Pompéi, sur une
grande statue d’Auguste au Vatican (je ne cite que les principaux
monuments pour chaque période historique); ensuite les textes des
auteurs parmi lesquels il convient de signaler l’histoire du peintre
Nicias que Praxitèle préférait à tous pour son adresse à patiner les
statues de marbre, et un long passage de la République de Platon
faisant allusion aux gens qui peignent les statues, exécutent les
yeux en noir et cherchent à donner à chaque partie du corps la
couleur qui lui convient afin de produire un bel effet d’ensemble.
Voici les conclusions de M. Robinson : 1° les Grecs et les Romains
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le visiteur est accueilli par un chœur étrange de jeunes femmes
aux yeux peints, aux cheveux rouges, aux vêtements diaprés où se
mêlent les vermillons, les bleus, les verts et les noirs. Battus sur le
terrain de l’archaïsme grec, les contradicteurs se sont réfugiés dans
les périodes classiques. Sans doute, disent-ils, la Grèce de Pisistrate,
influencée par l’Egypte, a pu tolérer ce brutal badigeon, mais
comment admettre que Phidias ait peint les frontons du Parthénon,
que Praxitèle ait livré à un enlumineur l’admirable marbre de son
Hermès, et comment se figurer la Vénus de Milo avec des yeux noirs
et des lèvres rouges?
J’en ai peur : ces derniers retranchements seront bientôt forcés,
si j’en crois les nouvelles qui nous viennent d’Allemagne et d’Amé-
rique. Dès 1884, le conservateur du Musée de Dresde, M. Treu,
publiait une brochure intitulée : Devons-nous peindre nos statues?
Et à titre d’essais pratiques, il installait dans son musée des copies
d’antiques colorées. Plus récemment encore, en 1892, un conser-
vateur du Musée de Boston, M. Edward Robinson, vient, avec l’aide
d’un sculpteur, M. J. Lindon Smith, de reconstituer au moyen de
moulages peints deux chefs-d’œuvre de l’époque classique : l'Hermès
d’Olympie et la Vénus Genitrix du Louvre. A l’appui de cette expé-
rience, il publie dans le Century Illustrated de New York un article
où sont rassemblées avec beaucoup de science et d’adresse toutes les
preuves qui concourent à démontrer l’existence d’une plastique
peinte chez les Grecs et chez les Romains, à toutes les époques de
leur histoire. Les preuves sont de deux genres : d’abord les obser-
vations des fouilleurs, les traces de couleurs très visibles sur toutes
les sculptures archaïques du vie siècle, sur les métopes du temple
de Jupiter Olympien construit vers 450, sur la frise du mausolée
d’Halicarnasse exécutée vers 350, sur les beaux sarcophages de
Sidon où l’on croit retrouver une représentation d’Alexandre à
cheval, sur une statuette d’Aphrodite trouvée à Pompéi, sur une
grande statue d’Auguste au Vatican (je ne cite que les principaux
monuments pour chaque période historique); ensuite les textes des
auteurs parmi lesquels il convient de signaler l’histoire du peintre
Nicias que Praxitèle préférait à tous pour son adresse à patiner les
statues de marbre, et un long passage de la République de Platon
faisant allusion aux gens qui peignent les statues, exécutent les
yeux en noir et cherchent à donner à chaque partie du corps la
couleur qui lui convient afin de produire un bel effet d’ensemble.
Voici les conclusions de M. Robinson : 1° les Grecs et les Romains