LES SALONS DE 1892.
39
résolus les problèmes les plus difficiles, comme l’emploi de l’or mat,
incorporé à la pâte même de la poterie et rehaussant de ses tons
brillants les sombres parois du grès.
Mais nous louerons surtout M. Carriès de n’avoir point considéré
des imitations, si parfaites qu’elles soient, comme le but suprême de
ses efforts. Il a compris qu’une fois la méthode conquise, il fallait
l’appliquer à un art véritablement national. La Porte qu’il projette
pour Mme Singer est composée d’éléments gothiques et rappelle le
décor de certains portails d’église. Le centre sera occupé par un
monstre dont la gueule effroyablement ouverte forme une sorte de
niche où reposera une statuette gracieuse de femme debout. De chaque
côté, parmi des rinceaux fleuris ou à travers des barreaux de logettes,
apparaîtront des têtes humaines, masques douloureux ou rieurs,
contractés par de diaboliques grimaces. Ici la réminiscence des mas-
ques japonais, si fertiles en bouffonneries et en contorsions, est de
nouveau manifeste; mais regardez de près les figures imaginées par
le sculpteur français et vous verrez comme elles s’éloignent du type
oriental pour garder je ne sais quel air de parenté avec les Tabarins
de la foire, les Fous des Mystères et les gargouilles des cathédrales.
Remarquez-y encore un certain aspect de boursouflure générale, de
moisissure blanchâtre; faites attention au grouillement des monstres
à corps de batracien, des crapauds qui traînent sur le sol leurs
ventres gonflés; vous comprendrez ce qu’il y a de peu banal et de peu
imité dans la céramique de M. Carriès. Nous attendrons avec
curiosité la mise en place de tous ces fragments épars, certain que de
l’œuvre achevée se dégagera un étrange parfum de naturalisme
mystique.
J’ai dit, en parlant de la peinture, quelle influence profonde
l’Extrême-Orient et surtout le Japon exercent sur nos contempo-
rains. J’ai même esquissé, dans un précédent article de la Gazette,
un parallèle entre les oeuvres grecques et les œuvres japonaises, pour
montrer que ces deux races, supérieures à toutes les autres pour
l’habileté du dessin, se sont souvent rencontrées dans leurs procédés
techniques et dans leur façon d’observer la nature. Il faut bien
reconnaître qu’aujourd’hui la balance penche en faveur de l’art
japonais, surtout dans nos produits industriels. La classique fabri-
cation des vases faits d’après des modèles antiques est presque éteinte.
La Manufacture de Sèvres elle-même change peu à peu son répertoire
officiel et semble, tout acquise aux recherches tournées du côté des
céramiques orientales. Je ne m’en plains pas, mais je crois qu’on
39
résolus les problèmes les plus difficiles, comme l’emploi de l’or mat,
incorporé à la pâte même de la poterie et rehaussant de ses tons
brillants les sombres parois du grès.
Mais nous louerons surtout M. Carriès de n’avoir point considéré
des imitations, si parfaites qu’elles soient, comme le but suprême de
ses efforts. Il a compris qu’une fois la méthode conquise, il fallait
l’appliquer à un art véritablement national. La Porte qu’il projette
pour Mme Singer est composée d’éléments gothiques et rappelle le
décor de certains portails d’église. Le centre sera occupé par un
monstre dont la gueule effroyablement ouverte forme une sorte de
niche où reposera une statuette gracieuse de femme debout. De chaque
côté, parmi des rinceaux fleuris ou à travers des barreaux de logettes,
apparaîtront des têtes humaines, masques douloureux ou rieurs,
contractés par de diaboliques grimaces. Ici la réminiscence des mas-
ques japonais, si fertiles en bouffonneries et en contorsions, est de
nouveau manifeste; mais regardez de près les figures imaginées par
le sculpteur français et vous verrez comme elles s’éloignent du type
oriental pour garder je ne sais quel air de parenté avec les Tabarins
de la foire, les Fous des Mystères et les gargouilles des cathédrales.
Remarquez-y encore un certain aspect de boursouflure générale, de
moisissure blanchâtre; faites attention au grouillement des monstres
à corps de batracien, des crapauds qui traînent sur le sol leurs
ventres gonflés; vous comprendrez ce qu’il y a de peu banal et de peu
imité dans la céramique de M. Carriès. Nous attendrons avec
curiosité la mise en place de tous ces fragments épars, certain que de
l’œuvre achevée se dégagera un étrange parfum de naturalisme
mystique.
J’ai dit, en parlant de la peinture, quelle influence profonde
l’Extrême-Orient et surtout le Japon exercent sur nos contempo-
rains. J’ai même esquissé, dans un précédent article de la Gazette,
un parallèle entre les oeuvres grecques et les œuvres japonaises, pour
montrer que ces deux races, supérieures à toutes les autres pour
l’habileté du dessin, se sont souvent rencontrées dans leurs procédés
techniques et dans leur façon d’observer la nature. Il faut bien
reconnaître qu’aujourd’hui la balance penche en faveur de l’art
japonais, surtout dans nos produits industriels. La classique fabri-
cation des vases faits d’après des modèles antiques est presque éteinte.
La Manufacture de Sèvres elle-même change peu à peu son répertoire
officiel et semble, tout acquise aux recherches tournées du côté des
céramiques orientales. Je ne m’en plains pas, mais je crois qu’on