PROPAGANDE DE LA RENAISSANCE EN ORIENT. 289
Les tapisseries surtout éveillaient d’ardentes convoitises chez les
Orientaux, si accessibles, dès la plus haute antiquité, à l’appréciation
des merveilles de l’art textile. Seulement, ici, c’étaient les Flamands,
non les Italiens, qui entraient en scène. Dès 1396, nous raconte-t-on,
à la suite de la bataille de Nicopolis, on envoya à Bajazet Ier pour la
rançon de plusieurs seigneurs français faits prisonniers à cette
malheureuse journée, des tapisseries d’Arras, représentant l'Histoire
d’Alexandre, des serges de Reims, des toiles de Hollande et de
Cambrai : « Et fut sçu et demandé à messire Jacques de Helly quels
joyaux on pourrait transmettre et envoyer de par le roi de France
au dit roi Basaach qui mieux lui pussent complaire, afin que le
comte deNevers et tous les autres seigneurs qui prisonniers estoient
en vaulsissent mieux. Le chevalier respondit à ce et dit que l’Amo-
rath prendroit grand plaisance à voir draps de haute lisse ouvrés à
Arras en Picardie, mais qu’ils fussent de bonnes histoires anciennes...
Aecques tout, il pensait que fines blanches toiles de Rheims seraient
de l’Amorath et de ses gens recueillies à grand gré, et fines escar-
lates ; car de draps d’or et de soie, en Turquie, le roi et les seigneurs
avaient assez et largement; et prenaient en nouvelles choses leur
esbattemens et plaisances1 2. »
Cette admiration pour les merveilleux produits de la haute-lisse
ne semble pas avoir diminué avec le temps. Au xvie siècle encore,
en 1553, le peintre Couke d’Alost fonda avec succès à Constantinople
une fabrique de tapisseries s.
Si j’en croyais des amis aussi obligeants qu’autorisés, j’étendrais
mes investigations à la Perse, à l’Inde, voire à la Chine, avec des
chances sérieuses de trouver plus d’un indice de la propagande
exercée parla Renaissance jusque dans ces contrées lointaines. Mais
j’avoue que je ne me sens pas suffisamment aguerri pour tenter une
expédition de ce genre et que je craindrais de voir à tout instant le
sol se dérober sous mes pas. Nul doute que nos érudits orientalistes
de Paris, MM. Schefer, Barbier de Meynard, Henri Cordier, Hartvvig,
Derenbourg, pour peu qu’ils consentent à porter leur attention sur
ce point, ne parviennent à découvrir une infinité d’autres emprunts
faits par l’Orient à la Renaissance italienne du xve siècle : telle est en
1. Francisque-Michel, Recherches sur le Commerce, la Fabrication et l'Usage des
étoljes de soie, d’or, etc., t. I, p. 97-98.
2. Voy. l’Histoire de la Tapisserie en Italie, p. 30 (Paris, Dalloz, 1884).
vin. — 3' période. 37
Les tapisseries surtout éveillaient d’ardentes convoitises chez les
Orientaux, si accessibles, dès la plus haute antiquité, à l’appréciation
des merveilles de l’art textile. Seulement, ici, c’étaient les Flamands,
non les Italiens, qui entraient en scène. Dès 1396, nous raconte-t-on,
à la suite de la bataille de Nicopolis, on envoya à Bajazet Ier pour la
rançon de plusieurs seigneurs français faits prisonniers à cette
malheureuse journée, des tapisseries d’Arras, représentant l'Histoire
d’Alexandre, des serges de Reims, des toiles de Hollande et de
Cambrai : « Et fut sçu et demandé à messire Jacques de Helly quels
joyaux on pourrait transmettre et envoyer de par le roi de France
au dit roi Basaach qui mieux lui pussent complaire, afin que le
comte deNevers et tous les autres seigneurs qui prisonniers estoient
en vaulsissent mieux. Le chevalier respondit à ce et dit que l’Amo-
rath prendroit grand plaisance à voir draps de haute lisse ouvrés à
Arras en Picardie, mais qu’ils fussent de bonnes histoires anciennes...
Aecques tout, il pensait que fines blanches toiles de Rheims seraient
de l’Amorath et de ses gens recueillies à grand gré, et fines escar-
lates ; car de draps d’or et de soie, en Turquie, le roi et les seigneurs
avaient assez et largement; et prenaient en nouvelles choses leur
esbattemens et plaisances1 2. »
Cette admiration pour les merveilleux produits de la haute-lisse
ne semble pas avoir diminué avec le temps. Au xvie siècle encore,
en 1553, le peintre Couke d’Alost fonda avec succès à Constantinople
une fabrique de tapisseries s.
Si j’en croyais des amis aussi obligeants qu’autorisés, j’étendrais
mes investigations à la Perse, à l’Inde, voire à la Chine, avec des
chances sérieuses de trouver plus d’un indice de la propagande
exercée parla Renaissance jusque dans ces contrées lointaines. Mais
j’avoue que je ne me sens pas suffisamment aguerri pour tenter une
expédition de ce genre et que je craindrais de voir à tout instant le
sol se dérober sous mes pas. Nul doute que nos érudits orientalistes
de Paris, MM. Schefer, Barbier de Meynard, Henri Cordier, Hartvvig,
Derenbourg, pour peu qu’ils consentent à porter leur attention sur
ce point, ne parviennent à découvrir une infinité d’autres emprunts
faits par l’Orient à la Renaissance italienne du xve siècle : telle est en
1. Francisque-Michel, Recherches sur le Commerce, la Fabrication et l'Usage des
étoljes de soie, d’or, etc., t. I, p. 97-98.
2. Voy. l’Histoire de la Tapisserie en Italie, p. 30 (Paris, Dalloz, 1884).
vin. — 3' période. 37