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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 8.1892

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Nr. 5
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Leprieur, Paul: Burne-Jones, décorateur et ornemaniste: artistes contemporains
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https://doi.org/10.11588/diglit.24661#0420

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384

GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

vibrante à la fois, c’est combien elle est habilement construite, en vue
de l'effet pittoresque autant que dramatique, et faite pour satisfaire
en même temps le regard et l’esprit. Le moment choisi, suivant la
formule classique, est celui qui précède le crime, où tout est à pré-
voir et même à demi exécuté, mais où l’imagination surtout complète
l’acte et augmente encore l’émotion par l’apparente tranquillité des
lignes. C’est ainsi que Delacroix dans sa Médée, pour une fois fidèle à
l’enseignement traditionnel, et oublieux de sa turbulente agitation
romantique, savait être à la fois éloquent et calme. Ici, il n’est pas
un détail qui ne serveà l’expression, et pas un, non plus, qui n’ait son
but ornemental. À la silhouette inclinée de Circé qui se détache au
centre, nette et précise comme une figure de bas-relief, dosant goutte
à goutte le poison d’une main savante, répondent, par leurs souples
ondulations et leur férocité caressante, les deux panthères noires
qui glissent vers elle à pas sourds. C’est comme l’emblème de sa
cruauté froide et de ses perfides séductions, en même temps que la
contre-partie mollement sinueuse de son corps rigidement tendu par
une implacable volonté. Partout se retrouve ce balancement de lignes
assouplies et de contours fermes. Aux fleurs de tournesol, lourdes
sur leurs tiges tombantes, s’oppose, brillant et droit, le grand vase
d’or où se mêle au vin la liqueur magique; au feuillage de l’oranger,
l’éclat métallique et glacé du trône mystérieux, que soutiennent des
griffons accroupis, ou du trépied qui fume, à la base duquel s’en-
roulent des serpents. Autour de la principale figure, ce sont des
rappels de notes harmoniques dont elle forme la dominante, et, de
même que du sentiment, elle dirige l’accord du dessin et des tons. Sa
robe couleur de soleil se répercute, en teintes jaunes d’or plus ou
moins avivées ou pâlies, dans le vase ou les tournesols, le vélum et
les tentures drapées, les fruits de l’oranger, et jusque dans la légère
flamme qui monte du trépied, tandis que le noir velouté des panthères,
également répété çà et là en noirs intenses ou en gris froids, lui sert
de soutien et d’appui. En somme, dans ces lugubres apprêts, dans ces
solennelles et graves incantations, tout se combine et s’enchaîne
logiquement, ainsi que dans un théorème, dont l’arrivée des vaisseaux
d’Ulysse, aperçus au fond sur la mer glauque, serait le dernier
terme et l’explication suprême ; et tout s’ordonne aussi, sans heurt
ni violence, par séries de gradations choisies, suivant des lois presque
sculpturales, pour faire à la dangereuse magicienne un cadre digne
de sa beauté.

Cette science de la composition raisonnée et sage, des arrange-
 
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