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31 Mars 1877.

Dix-NEÜVIÈMB ANNEE-

N° 6.

JOURNAL DES BEAUX-ARTS

ET DE E A I4TTERATURE

Paraissant deux fois par mois, sous Ja direction de M. Ad. S1RET, membre de l’Académie royale de Belgique, membre correspondant
de la Commission royale des monuments, membre de l’Institut des provinces de France, de la Société française d’Archéologie, etc.

ON S’-A-BOîsriN’IC : à Anvers, chez TESSAEO, éditeur; à Bruxelles, chez DECQ et
DUHENT et chez MUQUARDT; à Gand, chez HOSTE et chez ROGGHÉ ; à Liège, chez DE SOER
et chez DECQ ; à Louvain, chez Ch. PEETERS ; dans les autres villes, chez tous les libraires. Pour
l’Allemagne, la Russie et l’Amérique : C. MUQUARDT. La France : DUSACQ et Cie, Paris. Pour
la Hollande : MARTINÜS NYHOFF, à la Haye. — PRIX D'ABONNEMENT :
pour toute la Belgique (port compris). Par an, 9 fr. — Etranger (port compris) : Allemagne, Angle-

terre, France, Hollande, Italie et Suisse, 12 fr. Pour les autres pays, même prix, le port en sus. —
3?Jri-IX ^TJ]\PïSPi.O :50 c. — RECLAMES et Insertions extraordi-

naires : 2 fr. la ligne. — Pour les grandes annonces on traite à forfait. — ANNONCKS :
40 c. la ligne. — Pour tout ce qui regarde l’Administration ou les annonces s’adresser à l’Admi-
nistration, rue du Progrès, 28, a St-Nicolas (Flandre orientale) ou à Louvain, rue Marie-Thérèse, 22.
— Il pourra être rendu compte des ouvrages dont un exemplaire sera adressé à la rédaction.

SOMMAIRE : Belgique : L’art et les artistes (fin).
— Les grandes publications modernes : Le musée
impérial de Vienne. — Bibliothèque de feu
M. de Coussemaker (suite et fin). — Table des
matières du Journal des Beaux-Arts. — Con-
cours. — Chronique générale. — Annonces.

Bclqiquc.

L’ART ET LES ARTISTES
par M. Emile Leclercq.

{Fin.)

On le sait : M. Leclercq a horreur de la
grande peinture; il n’aime que la petite. La
grande peinture est un art qui ne nous rap-
pelle que la tradition, l’histoire, Theroïsme, le
dévouement, la vertu, défroque usée jusqu’à
la corde, rebus enfantins, blagues idiotes,
diraient MM Zola et de Goncourt, ces écri-
vains aux livres faits sur le vif et l’ignoble.
Mais donnez-nous de la modernité, c’est-à-
dire quelque cocotte aux cheveux jaunes et
au regard canaille; quelque rouge trogne de
Prêtre en goguette lutinant sa servante, ou
an mari faisant sauter la cervelle de l’amant
de sa femme. A la bonne heure ! Voilà ce qui
s’appelle marcher avec son époque et se
montrer à la hauteur des circonstances ! Plus
Uen de nos aïeux; ils sont morts, bien morts;
on ne les connait plus. Ou ne les a jamais
Vus ; comment donc pourrait-on les peindre?

Voilà qui est bien convenu. Encore si
c’était Torquemada mettant le feu à un bûcher
farci convenablement de Calvinistes, je ne dis
Pas, mais peindre, par exemple, Rubens et sa
famille allant à la messe, fi donc! Et ainsi
du reste. Plus rien du passé, pas même le
souvenir. Le comble pour cette école dont
M. Emile Leclercq est le rude prophète,
serait de pouvoir oublier, oublier tout
Pour ne se préoccuper que de l’heure pré-
sente et encore moins de l’heure de demain
car pour ceux qui n’ont pas de passé il est
évident qu’il n’y a pas d’avenir. Ainsi pour
ce monde-là, depuis Homère jusqu’à Victor
Hugo,qui lui aussi a cultivé le passé et même
avec plus de succès que le présent, ainsi
Pour ce monde-là l’ancienne humanité intel-
ligente n’existe point. Tous ceux que nous
aPpellons grands hommes, chimère et néant;
joutes les splendeurs de l’intelligence dans
le passé, néant et chimère ; il n’y a rien de
vrai que la bête, vive la bête!

Eli bien, c’est du propre ! Et étonnez-vous
encore quand vous voyez crouler autour de
vous toutes les institutions et tous les éta-
blissements d’un pays et d’un siècle où la
bête fait la loi. Étonnez-vous... Mais en vé-

rité, me voilà en train de provoquer un rap-
pel à l’ordre de la part de M. Jacques qui se-
rait du reste dans son droit. Revenons donc
au plus tôt à nos moutons, s’il nous est per-
mis d’employer une expression que le passé
nous a léguée.

La troisième partie du livre de M. Leclercq
est consacrée à l’esthétique. Le premier
article est intitulé : le principe de l’art contem-
porain, et divisé lui-même en plusieurs sec-
tions. La première : la situation, dépeint en
couleurs empâtées la société actuelle. Cette
esquisse serait juste de tons sans les inci-
dentes criardes contre les prêtres et la tra-
dition. C’est l’école de David qui dans l’art
européen a fait tout le mal. C’est de là que
part l’auteur pour établir ses prémisses. La
seconde section : l'allégorie et la philosophie
découvre la morale artistique de l’écrivain.
La voici : La queue de l’école de David a essayé
de fondre ensemble, d'unir l’art à la philoso-
phie, la politique, les questions qui sont surtout
du domaine de l’idée. Là est la décadence pour
les arts plastiques, parce qu’on veut qu’ils aient
une influence sur l’esprit des peuples, tandis
qu’ils doivent, au contraire, refléter les mœurs
et le caractère des nations et des individus.
C’est-à-dire, si nous comprenons bien : l’art,
n’est pas un enseignement, mais une satis
faction. Réduire l’art au rôle de miroir ré-
fléchissant les choses du jour, nous semble
une idée peu féconde en jouissances, car
la réalité que l’on voit sera toujours plus
saisissante que celle qu’on transporte sur la
toile. A ce compte, le photographe serait le
grand artiste de l’époque. — Pour publier,
pour propager, pour vulgariser les idées, ni la
peinture, ni la sculpture ne sont les moyens à
employer; M. Leclercq supprime d’un trait
de plume l’art tout entier dans son rôle
moralisateur, au bénéfice du livre qu’il met
à cent coudées au-dess'us du tableau. —
Dans un tableau, l’idée, le fait, quelquefois
le caractère, homme ou chose, sont diffus.
Mais, cher M. Leclercq, croyez-vous par
hasard qu’il y ait des livres qui ne le soient
pas, diffus? — L’auteur tombe de son haut
sur l’Allemagne : la Grèce du temps d'IIo-
mère (de Kauibach,) est une réunion de per-
sonnages célèbres groupés tels quels, sans
raison, sans logique.—L'histoire satirique de
l’humanité (de Kauibach) est une longue frise
enjolivée d’arabesques, sur lesquelles des
amours singent tant bien que mal, les hom-
mes qui ont illustré les sciences et les arts.
Peste! comme il y va.On voitbien qu’il n’y a
pas de chef-d’œuvre pour cet austère réaliste
à moins que ce ne soit la Tondeuse de mou-
tons dont on s’est amusé à faire la clef de
voûte d’une philosophie artistique et sociale
des plus folâtres. Cette section est d’un bout
à l’autre, comme on le pense bien, une croi-
sade contre l’imagination, contre l’idée. Il

faudrait relever ligne par ligne, et presque
mol par mot, tout ce que l’auteur entasse de
hardiesses excessives pour ne pas dire plus.
C’est l’Allemagne qui paie les pots cassés et
cela devait être : le pays de l’idéal n’est
point le pays de M. Leclercq.

Si nous avions le temps comme il ferait
bon de répondre à ce mensonge que je ren-
contre page 235 : Ni Michel-Ange ni Léonard
de Vinci n’ont pu songer à moraliser les masses.
Je me demande si celui qui a osé écrire cela
o’a pas abusé de son public, et s’il a lu les
biographies des deux hommes qu’il cite.
A coup sûr il n’a pas parcouru le livre de
Rio, ce livre si sage, si pondéré, si magnifi-
que en un mot, qui est le bilan de Y Art chré-
tien depuis huit siècles. Mais passons, pas-
sons vite.

Troisième section : influence de l'art.
Toujours la comparaison illogique entre le
tableau et le livre au bénéfice naturellement
de ce dernier. Il y a là une très-saisissante
description de la situation agitée des esprits.
Après quoi il faut s’arrêter court : cela de-
vient brutal et blasphématoire. Qu’on en juge
par cette phrase (p. 238; que je transcris la
rougeur au front :

« Qui donc oserait essayer de prouver que

LES ÉVANGILES ONT RENDU L’HOMME MEILLEUR? »

Plaignons ce malheureux qui a un cœur
pour haïr et des yeux pour regarder à côté.

La quatrième section est intitulée : La
peinture d’histoire religieuse. C’est à ne pas
lire. C’est une polémique de bas étage toute
pleine de haine oû l’art sert de prétexte à
un jet continu de sarcasmes systématiques
contre les dogmes de l’Eglise catholique non
moins que contre l’idée chrétienne en géné-
ral. Tout cela est débité avec cet aplomb de
rhéteur infaillible que l’on sait. Je pourrais
vaincre le sentiment que soulève en moi la
lecture de cette section, mais il me serait
bien difficile, pour ne pas dire impossible,
de séparer la Foi de l’Art, d’autant plus que
l’auteur a fait de ce passage bien plus une
déclaration de principes qu’une discussion
réellement artistique. Ecoutez plutôt ces
audacieux travestissements de la vérité. A
propos de Y Adam et Ève de Jean Van Eyck :
Ces premiers humains sont nus; il n’y a rien
en eux de mystique ; c’est au contraire la
réalité la plus brutale et la plus naïve (î) ;

ON OBSERVE DANS CE TRAVAIL PLUTOT LA CON-
SCIENCE l)F. l’homme que l’aspiration du chrétien
vers l’idéal évangélique.... L’art religieux
n'est mystique que pendant la période d’igno-
rance sous la pression absolue des prêtres....

(1) Voici ce que dit le meme M. Leclercq à propos
du même tableau p. 371 : La pensée de Van Eyck était
pudique. 11 parait que nous varionss d’opinion eu peu
de temps.
 
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